S'inscrivant dans l'optique stratégique qu'il veut promouvoir à travers le monde, la visite du président Vladimir Poutine au Maroc après celle en Afrique du sud, est apparue à plus d'un titre comme un symbole à l'échelle continentale et une promesse de mutation des relations et des échanges entre les deux pays dans un contexte en pleine évolution. "Satisfaction partagée” : tel est le constat exprimé par les deux parties, marocaine et russe, à l'issue de la visite officielle du président Vladimir Poutine jeudi dernier à Casablanca. Les entretiens entre les deux chefs d'Etat et la signature d'une série d'accords sont en effet venus confirmer une amélioration des relations depuis la visite du roi Mohammed VI à Moscou en 2002 et la volonté de donner plus d'ampleur et de consistance aux échanges. Intervenant après une première étape en Afrique du sud, la visite de Poutine au Maroc a voulu illustrer l'optique stratégique d'un retour volontariste de la Russie en Afrique. Après le passage à vide résultant de l'effondrement de l'URSS, Moscou entend déployer une présence plus active en matière diplomatique et économique sur le continent africain après avoir repris pied au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique Latine. Pour le président Poutine, ainsi qu'il l'avait déclaré à la veille de la réunion du sommet du G8 à Saint Pétersbourg en juillet dernier, «les zones d'influence en Amérique Latine ou en Afrique appartiennent au passé et la Russie peut y trouver un nouveau champ de travail». Restituer à la Russie une image et une prégnance de grande puissance est, en effet, une préoccupation essentielle pour Poutine. Partisan d'un monde multipolaire, il considère que la Russie peut jouer un rôle plus décisif de contrepoids pour juguler les tensions actuelles et pour mieux faire valoir ses propres intérêts. Se voulant plus pragmatique, plus lucide et plus souple dans l'approche des relations internationales que l'Amérique de Georges Bush, le président russe accorde la primauté aux partenariats stratégiques à travers le monde. C'est dans cette optique que s'inscrit sa tournée africaine, avec ses deux étapes qui sont autant de symboles en Afrique du sud et au Maroc. Stratégie de Poutine Ce n'est pas un hasard si le Maroc, dont l'image s'est nettement améliorée au plan international ces dernières années, retient l'attention des Russes. Considéré depuis longtemps comme un partenaire stable, modéré et prévisible, le Maroc avait, même au cours de la guerre froide, été bien inspiré de conserver des relations amicales et équilibrées avec l'ex-URSS. L'attitude de Moscou envers la question du Sahara est, de ce fait, restée très prudente et tout aussi équilibrée entre Rabat et Alger qui, cependant passait pour une « alliée ». Aussi le président et les diplomates russes ont-ils prêté attention à la position actuelle du Maroc relative à un règlement politique négociable de ce différend, même s'ils ne se sont pas départis de leur prudente réserve. Il est évident que pour la Russie la stabilité de la région du Maghreb est indispensable. La perspective d'un accroissement des liens économiques avec les pays maghrébins en est une raison supplémentaire. La diplomatie qui fut déjà un domaine de coopération traditionnelle entre Rabat et Moscou est appelée à le devenir davantage. Qu'il s'agisse du Moyen-Orient, de la lutte contre le terrorisme ou de l'évolution des relations avec les pays et les marchés de l'Ouest africain, le champ de cette coopération ne peut que s'étendre davantage. Des observateurs russes rappellent que le Maroc avait offert son aide pour obtenir la libération de pilotes russes pris en otage par les rebelles de l'UNITA en Angola, il y a plusieurs années. L'exemple du Maroc en tant que pays musulman prônant l'ouverture tolérante, la réforme et la modernité autant que son enracinement historique et culturel a aussi de quoi séduire la Russie de Poutine. Parmi les nombreux journalistes russes qui sont venus couvrir l'événement, quelques uns ont relevé « le contraste saisissant » avec d'autres pays arabes qu'ils avaient visités, tant Casablanca leur était apparue «libre, variée, sans contrainte ». Autant de facteurs encourageants pour développer les échanges économiques et commerciaux. Ceux-ci qui se sont chiffrés en 2005 pour le Maroc à 12,19 milliards de dirhams d'importations et 1,22 milliard d'exportations ont presque triplé depuis 2002. Le Maroc est ainsi devenu le premier partenaire commercial de la Russie dans le monde arabe et en Afrique. Les échanges restent il est vrai assez déséquilibrés en raison de l'importance des importations de pétrole russe alors que l'essentiel des exportations marocaines est encore constitué par les agrumes. Image du Maroc Cependant on mise sur une diversification et une augmentation des flux commerciaux. Le tourisme qui a fait l'objet d'un accord serait privilégié. La destination Maroc prisée par un nombre grandissant de touristes russes a besoin d'être mieux connue et un effort de promotion et de publicité est souhaité ainsi que la réouverture d'une ligne aérienne directe, laquelle avait été fermée depuis que la compagnie Aeroflot était passée sous la coupe de l'oligarque Berezovski, actuellement en fuite et poursuivi par la justice russe. Déjà le groupe financier russe « Métropole » participe à la réalisation d'un grand projet hôtelier près de Marrakech. La création de canaux bancaires et commerciaux plus directs et plus adaptés permettrait aussi de libérer les échanges de la férule des intermédiaires en négoce international. Un mémorandum d'entente a été, dans cette optique, signé entre la BMCE et la Banque russe des affaires économiques extérieures. L'un des accords les plus élaborés et qui rentrera provisoirement en application dès le 15 octobre prochain traduit la volonté d'une amélioration qualitative de la coopération en matière de pêche maritime (avec un quota modulé et contrôlé et l'emploi de marins marocains sur les bateaux russes). D'autres domaines sont aussi privilégiés comme celui de la formation, le Maroc avec plus de 3.500 étudiants en Russie vient en troisième place après l'Inde et la Chine. Nature des accords Le domaine de l'énergie, notamment pour la construction de centrales thermiques et à terme d'une centrale atomique, constitue un axe essentiel pour l'avenir et des projets en ce sens sont à l'étude. Il en est de même pour les nouvelles technologies, à l'exemple du lancement en décembre 2001 du premier satellite marocain à partir d'une base russe. Il y a cependant un domaine où les deux parties gardent une quasi-totale discrétion, celui des acquisitions d'armement. Au moment où l'Algérie a passé de grosses commandes à la compagnie «Rosoboronexport» ainsi d'ailleurs que la Jordanie, le Maroc serait aussi intéressé par l'acquisition de divers matériels militaires. Même si les analystes russes (comme V. Koudelev) relèvent que les disponibilités financières du Maroc sont limitées, ils n'excluent pas que celui-ci passe des commandes substantielles. Selon Alexei Malachenko, du Centre Carnegie à Moscou, « La Russie cherche de nouveaux marchés d'armement et cherche à rassurer le Maroc qui s'inquiète à cause de la coopération russo-algérienne dans ce domaine ». La visite du président Poutine est venue ainsi mettre en relief au-delà d'une certaine continuité, un potentiel plus important de relations politiques et économiques et de coopération. Tout dépendra désormais du dynamisme que la partie marocaine saura déployer. Les accords de coopération signés La visite officielle du président Poutine a été marquée par la signature des accords suivants : •Justice : Convention sur le transfèrement des personnes condamnées à des peines de prison (lesquelles pourront ainsi purger leur peine dans leur pays d'origine). •Pêche maritime : Accord pour une période de 3 ans autorisant 12 navires russes à pêcher dans les eaux marocaines. •Tourisme : Accord de coopération pour encourager les échanges touristiques •Coopération culturelle et scientifique : Accord en matière culturelle, éducative, de recherche scientifique et de transfert de savoir faire •Communication : Accord sur la coopération en matière de médias, de publicité et de propriété intellectuelle •Protection des végétaux : Accord sur la quarantaine végétale et la protection des végétaux (prévention et lutte contre les nouveaux parasites) •Sport : Mémorandum d'entente sur la coopération en matière d'éducation physique et de sports •Santé : Accord de coopération sur la santé et les sciences médicales •Banques : Mémorandum d'entente entre la BMCE et la Banque russe des affaires économiques extérieures.