Walid Joumblatt est né le 7 août 1949. Il est un des chefs politiques de la communauté druze du Liban et une personnalité très populaire chez les druzes du Proche-Orient. Il est l'héritier d'une grande famille féodale druze qui a joué un rôle important dans l'histoire de cette communauté depuis le XVIIe siècle et surtout le XIXe siècle. Surnommé affectueusement « Walid Bey il est le président du PSP (Parti socialiste progressiste). Son emprise incontestée sur la communauté druze lui permet de changer sa position et ses alliances et de rester en phase avec les retournements régionaux afin de préserver les intérêts de sa communauté. Il livre dans cet entretien exclusif à LGM, son point de vue sur la guerre au Liban, les positions syrienne et iranienne, le silence des pays arabes et l'avenir du Liban. La Gazette du Maroc : Votre commentaire sur la dernière boucherie en date commise par Israël contre Cana. Walid Joumblatt : Je dois dire et rappeler que ce n'est pas le premier génocide commis par Israël et son armée que cela soit au Liban ou en Palestine. Mais en fin de compte, et également après le génocide, il faut aller plus loin. Est-ce qu'on aura la possibilité en tant qu'Etat libanais de survivre entre l'enclume israélienne et le marteau syrien et iranien. Réfléchissons donc à tête reposée. J'admets, et je le dis clairement, que c'est le Hezbollah qui a remporté la victoire. Je dis donc que c'est très bien. Toutefois, la question qui se pose est la suivante : est-ce qu'il va dédier cette victoire à l'Etat libanais oui ou non ? Telle est la question surtout que l'Iran, par Hezbollah interposé, tente de régler ses problèmes au détriment du Liban. Absolument. Tout en passant par le régime syrien. C'est très simple, mais allez expliquer cela aux masses arabes excitées à juste titre et qui sont tellement frustrées par la politique de certains des leurs, de la politique américaine et de ce qu'on appelle les intellectuels arabes qui, ma foi, théorisent de loin alors que le Liban brûle. Les Arabes étaient heureux de Fairouz, des Rahbanis et de la Doce Vita et où sont-ils aujourd'hui face au mutisme honteux du Monde arabe ? Nabih Berri, l'actuel président du gouvernement libanais, a fait appel à la poésie arabe pour résumer la situation. Par ailleurs, le président égyptien, Hosni Moubarak, a poussé le bouchon plus loin en déclarant que «l'Egypte n'est pas prête à se battre à la place du Liban», qu'en pensez-vous ? Je ne peux pas maintenant critiquer le Président égyptien. Il a assez de problème. Ce n'est pas là, la question. Les oppositions arabes, les frères musulmans, les Egyptiens, les Jordaniens, bref tout le monde est pour la lutte. C'est très bien. Tout le monde est anti-américain, je le suis aussi à ma façon, mais je crois que le Liban a fait son devoir. Nous avons libéré notre territoire. Nous avons libéré le Liban de l'occupation syrienne. On voulait avoir un état libre. On avait un rêve que le Liban reste indépendant et libre. Maintenant on nous vole ce rêve ni plus ni moins grâce à l'axe syro-iranien. Que reste-t-il du Liban maintenant qu'ils ont tout détruit ? Je ne suis pas en mesure vraiment de théoriser. Ce qu'il faut maintenant, c'est un cessez-le-feu, et après on verra s'il y a possibilité de dialoguer à tête reposée avec le Hezbollah. Et comme je l'ai dit dans une interview, il y a deux jours, est-ce qu'il va offrir cette victoire à l'Etat libanais ou bien à Téhéran et à la Syrie ? Est-ce qu'il va l'offrir à lui-même ? N'est-ce pas que l'on sera dans une transition très imprécise ? Le Premier ministre libanais, Fouad Saniora, s'est rendu à Rome, et contrairement à l'adage populaire qui dit que « tous les chemins mènent à Rome », tous les chemins de la conférence de Rome ont mené à la destruction du Liban. Les Américains refusent l'instauration d'un cessez-le-feu et arment Israël. Pratiquement tous les jours les avions américains transitent par la Grande-Bretagne, bourrés de bombes dites «intelligentes» de type GB U 28 pesant chacune 2500 kgs. Condoleeza Rice se rend dans la région pour tenter de vendre son projet d'un « Nouveau Moyen Orient »… Je sais, je sais. Une autre question qui se pose : comme disait De Gaulle à propos de l'ONU, à quoi sert ce machin ? La même interrogation s'applique à la Ligue arabe. Qu'en pensez-vous ? Cela, c'est autre chose. Ce soir, je n'ai pas la tête à théoriser sur le futur du Monde arabe. Ce qui m'intéresse, c'est que mon pays est en train de brûler entre les surenchères des Arabes, l'expansionnisme iranien et le régime criminel israélien. Votre message pour conclure Mon seul message est le suivant : cela vaut la peine de préserver le Liban, l'unique région encore dans ce monde arabe pluraliste et démocratique. Si on détruit le Liban, si les radicaux vont l'emporter, ce serait dommage et dommageable pour tout le monde. Tout le monde est anti-américain, je le suis aussi à ma façon, mais je crois que le Liban a fait son devoir. Nous avons libéré notre territoire. Nous avons libéré le Liban de l'occupation syrienne. On voulait avoir un état libre. On avait un rêve que le Liban reste indépendant et libre. Maintenant on nous vole ce rêve ni plus ni moins grâce à l'axe syro-iranien.