Que peuvent avoir en commun Jamel Debbouz, Silvio Berlusconi, Tony Blair, Naomi Campbell, David Beckam, Brad Pitt, Jack Lang, Rich Mac Namara, Bill Gates, Strauss-Kahn, Gad El Maleh, Bandar Ben Soltane, Maniâ Saïd Al Outaïba et des centaines d'autres célébrités du globe sinon qu'ils portent en eux la passion de Marrakech et, pour nombre d'entre eux, celle d'Essaouira. Au-delà des jet-setteurs patentés, ce sont des capitaines d'industrie, des décideurs politiques, des artistes célébrissimes et des génies de la haute finance qui ont été séduits par la ville ocre. On est en face d'un phénomène attractif exceptionnel inédit. En effet, ni Ibiza, ni Venise, ni Deauville-Trouville, ni Vienne, ni Cannes ni même San Francisco n'en eurent bénéficié au summum de leur gloire. Nous sommes, en effet, en présence d'une alchimie qui s'apparente à de la magie. Tournant sa dernière émission (« J'ai rendez-vous avec vous ») de la saison à Jamaâ El Fna, Rachid Arhab ne s'y est point trompé en qualifiant la « ville-palmeraie » de « carrefour des tolérances ». En vérité, l'attractivité n'a pas élu domicile à Marrakech par quelque mystérieux hasard. Une conjonction de facteurs endogènes et exogènes a permis que cette ville puisse accéder à la prédilection fantasmagorique universelle. Pour identifier ces facteurs, mieux vaut d'abord raconter le tympo et le crescendo du préjugé extrêmement favorable dont jouit actuellement la Ville de par le monde. A l'aube des années 90 du siècle écoulé, la ville pouvait se satisfaire d'un contingent de visiteurs qui n'additionnait pas plus que 25 à 35% de remplissage des hôtels. Un train-train qui excluait toute dynamique d'excellence. Survint alors l'affreux attentat de l'hôtel Atlas Asni. Les annulations massives et les abandons de chambres tombèrent en avalanche. Durant six longues années, les hôtels croulaient sous un service de la dette fortement handicapant et, pour nombre d'établissements, purement et simplement mortel. De plus, des centaines de bazaristes, artisans, entrepreneurs de BTP, promoteurs immobiliers et patrons de TPE durent fermer boutique. En ces temps-là, la peur de l'attentat gouvernait les esprits et les comportements européens. Paris eut à souffrir d'un attentat particulièrement abject. Le détournement de l'airbus d'Air France ajouta à la psychose collective. Au plus profond de l'entendement populaire des nations occidentales, le Maghreb sera donc sali pour longtemps. On apprendra quelques années plus tard que les services de renseignement algériens étaient bel et bien derrière ces forfaits. La mort guettait notre économie et, conséquence directe du marasme, le volume des transferts des MRE baissa considérablement (moins de 10 milliards de dirhams). Marrakech souffrait atrocement d'être ainsi abandonnée par ses touristes. Le bâtiment succomba et des milliers de logements et de terrains ne trouvaient guère preneur. A l'acquisition comme à la location. Un homme eut le premier l'idée ingénieuse de profiter de cette période de reflux pour mettre à niveau les infrastructures de la ville. Il s'agit de l'ex-gouverneur de marrakech-médina et actuel wali au service central Moulay Mamoun Boufarès. Rejoint par Hassad, il mit en branle un volontarisme tellement contagieux que les professionnels, la société civile et les élus se mirent solidairement au chevet de la « belle agonisante » et prescrivirent une thérapie de choc. Un premier plan de relance du tourisme et de l'artisanat fut établi et validé par les autorités ministérielles. Parallèlement, l'Europe, plus particulièrement la France, affrontait dans la douleur les dures servitudes de la compétitivité d'après-guerre froide. Jardin Majorelle Exaspérés par le juridisme excessif, par les premières conséquences néfastes du mondialisme américanisant et, surtout, par les coûts fiscaux exorbitants de l'assistanat hexagonal et communautaire, quelques notoriétés élirent Marrakech pour souffler de temps à autre. Alain Delon, Bernard-Henry Lévy, Philippe Sollers et tant d'autres rejoignirent le pensionnaire du jardin Majorelle, Yves Saint-Laurent, en achetant (puis restaurant) des riads pour une bouchée de pain. Ces pionniers purent bénéficier d'une période où la nécessité commandait la généreuse disponibilité des Marrakchis. Le bouche-à-oreille fonctionna à merveille. Constatant que les professionnels et les autorités étaient à pied d'œuvre et que le visage de la ville s'embellissait de jour en jour, les médias européens, particulièrement français, diffusèrent reportage après reportage. Les chaînes de télévision, la presse people, les magazines en papier glacé rivalisaient en enquêtes audiovisuelles et autres articles élogieux. La notoriété de Marrakech était en voie de restauration. Mais cette restauration ne fut réellement définitivement bouclée qu'à l'initiative du nouveau Souverain. Mohamed VI fixa le cap et transmit à l'adresse de son peuple et du monde les signaux forts que sont le respect des droits humains, le nouveau concept de l'autorité, le choix démocratique et modernitaire irréversible, la franche reconnaissance et la lutte frontale contre la grande pauvreté et l'analphabétisme…etc. Bâtie sur les agrégats de tolérance, d'ouverture et d'universalisme, la ville de Youssef Ibn Tachfine pouvait à nouveau dévoiler ses charmes pour séduire outre Méditerranée et ailleurs. Le Souverain la choisit alors pour donner le coup d'envoi (2001) des grands chantiers de restructuration et de développement du secteur touristique en fixant l'objectif de 10 millions de visiteurs en 2010. Aujourd'hui, elle s'honore d'être la première destination du Royaume en arrivées et en nuitées. A fin 2006, les projections minimalistes chiffrent les arrivées à 1,7 millions (+23%), les nuitées à 7 millions (+40%), la durée minimum de séjour (DMS) à 4 jours et le taux d'occupation à 72% (+4 points). Motivations des étrangers pour Marrakech Mais tout cela ne nous renseigne que partiellement sur les motivations concrètes des étrangers qui ont choisi de lier leur destin à la ville des sept saints. Pionnier de cette «immigration à rebours», ex-voyagiste, Paul F. fait une analyse qui ne manque pas de pertinence : «Même si elle a généreusement persévéré dans la protection sociale, l'Europe a été forcée de suivre le mouvement mondialiste dont l'épine dorsale est faite de compétition et de compétitivité. La guerre des parts de marché a épuisé les classes moyennes et même les retraités, honteusement associés aux coûts exorbitants du traitement social du chômage. L'atmosphère sociale est devenue irrespirable et il ne fait plus bon vivre à l'intérieur des frontières de l'Union européenne. A deux heures et demi de Paris, Marrakech offre une sérénité que nous avons peut-être à jamais perdue». Cette sérénité se trouve sur les terrasses des cafés, dans les restaurants, tout au long des rues tortueuses de la Médina et sur les allées-promenades des artères fleuries de la ville moderne. Mais c'est avant tout dans le regard convivial des autochtones que la sérénité s'offre à ces flots de prétendants à la résidence principale. C'est peut-être pour cela qu'Agadir s'essouffle à suivre la courbe touristique ascensionnelle de Marrakech (35% contre 29% en 2005). Le phénomène anglais Avec 52% de parts de marché en arrivées et 62% en nuitées, la France continue à figurer au premier rang des pays pourvoyeurs. En cela, elle dépasse le tourisme intérieur de 300% en termes d'arrivées et de …508% en nuitées. Mais un phénomène nouveau vient de faire son apparition depuis 2004. Il s'agit de l'arrivée de plus en plus massive des Britanniques. L'année dernière, ils étaient près de 70.000 (+44% par rapport à 2004) à visiter la ville. Cela pourrait paraître anodin si le phénomène ne s'est pas confirmé au chapitre de la résidence définitive des sujets de la Reine Elisabeth. Anglais originaire de l'ex-Rhodésie, lui-même propriétaire depuis un an et demi d'une belle demeure seigneuriale non loin de Ouirgane, Mikael S. explique son choix : «Durant près de deux décennies, mes compatriotes ont investi massivement la Bretagne et la Normandie françaises pour fuir la morosité climatique de la campagne anglaise. Aujourd'hui, la ceinture de l'Atlas et le reste de la région Tensift-Haouz offre une qualité de vie sans pareil à trois heures de Londres. On peut donc y établir sa résidence principale sans trop s'éloigner de la famille et des amis laissés là-bas». En tous cas, le premier ministre britannique a franchi le pas en acquérant une belle propriété à Marrakech. Suivra-t-il, avant ou après sa retraite politique, son auguste prédécesseur, le plus illustre peintre du dimanche et défunt amoureux de la Mamounia qu'était Churchill ? A ce phénomène anglais s'ajoute un «exode civilisationnel» digne d'intérêt. Il s'agit du retour des jeunes MRE dans le pays de leurs racines. Majoritairement dégoûtés des (par les) sophismes politiciens, législatifs, réglementaires et populistes triomphants en Europe, fatigués de devoir prouver leur intégration plus que tous les autres, les jeunes «Marocains d'ailleurs» regagnent une nation qui se regarde en face et remet ses pendules politiques, sociales, économiques, éthiques et cultu(r)els à l'heure …de la modernité. «Les émeutes banlieusardes de l'année dernière ont fini par me décider. J'ai fait ma valise et suis venu le mois d'après. Pourquoi continuer à subir les humiliations systémiques d'une intégration fallacieuse ? Je suis là et heureux d'y être» En fait, Samir B. n'a pas cherché bien loin pour trouver une occupation lucrative. Il a tout bonnement repris son activité d'électromécanicien. Brigitte, sa compagne, a sablé le champagne il y a deux mois. Pour la première fois depuis trois ans et demi de vie commune, il lui dit son désir de mariage. Il a donc retrouvé ses aises et s'est séparé avec de angoisses sans le moindre dégât. L'humiliation due au faciès n'a plus droit de cité dans cette ville certes ocre, mais ô combien multicolore. Des milliers de Samir et même de jeunes filles encore célibataires ont fait le choix d'accompagner l'émergence du pays. Un autre phénomène – car tout cela est assurément phénoménal – marquera cette période de l'histoire de Marrakech. Il s'agit de l'arrivée des enfants et petits enfants des juifs marocains partis en Israël ou ailleurs du lendemain de l'indépendance jusqu'en 1966. Ils sont des centaines à visiter le mellah de Marrakech et aller à la chasse des témoignages. Un projet de «mellah» autour du tombeau d'un saint juif situé à la commune d'Aït Imour est, semble-t-il très avancé. «Cette ville est l'une des très rares au monde où le sentiment de la peur est quasiment inexistant. La nature et l'homme s'allient chaque jour pour procurer la sérénité et la joie à l'étranger», nous dit Samy B C'est peut-être ce sentiment de sécurité intérieure qui provoque la décision de préférer Marrakech à un monde tourmenté qu'on ne peut plus supporter. Ici, l'homme n'a pas encore brisé les os de sa foi, pas plus qu'il n'a transgressé les mystérieuses lois du hasard au profit du cynisme. Français, Marocains d'ici et d'ailleurs, Espagnols, Britanniques, Juifs d'origine marocaine… ne peuvent faire abstraction de l'impressionnante variété de couleurs au sein d'une population partagée entre la berbérité, l'arabité, l'andalousité, la francophilie, la judaïté et tant d'autres appartenances. La ville a été faite d'ouverture et de coexistence dynamique. Et elle le restera. Le secret est peut-être là.