La tournée du Monsieur nucléaire iranien, Ali Laridjani, dans les capitales arabes, suivie par l'arrivée du ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud Al-Fayçal à Téhéran, laissent comprendre que la préparation d'une nouvelle étape régionale est déjà mise sur les rails. Mais tout dépendra, en fin de compte, du deal avec les Américains. Au Caire, qui a constitué la première escale du responsable iranien, on tient à préciser qu'il est inconcevable de décrypter la visite du chef de la diplomatie saoudienne en Iran et sa rencontre avec son chef spirituel, Ali Khameneï, sans prendre en compte les deux positions suivantes. En effet, le 21 septembre 2005, le prince Saoud al-Fayçal, à l'étonnement du monde arabe, avait vivement critiqué la politique appliquée par les Etats-Unis en Irak : «Nous avons mené ensemble la guerre pour garder la République islamique hors de ce pays, notamment après la libération du Koweït» ; et d'ajouter :«Nous venons maintenant de le lui offrir sans aucune raison». Le 12 juin 2006, le même Saoud Al-Fayçal déclare à partir de Téhéran : «L'Iran n'est pas seulement un pays ami proche, mais l'ami le plus proche». Pour ceux qui connaissent de près le raisonnement des Saoudiens en matière de politique étrangère estiment que si ces drniers n'ont pas été très satisfaits des offres et des promesses de leurs interlocuteurs iraniens, ils ne seraient jamais aussi loin dans leurs déclarations. Surtout que la crise avec les Etats-Unis n'est pas encore dénouée. La nouvelle position de Riyad pourrait être considérée comme un changement de 180°. Les relations bilatérales passent de la haute tension en raison de laquelle le ministre iranien des Affaires étrangères avait reporté sa visite, il y a quelques mois, en Arabie Saoudite à l'intention de coopérer au niveau des affaires régionales avec la visite d'Al-Fayçal, la semaine dernière. Oubliant les attaques verbales très mal placées du ministre irakien de l'époque, Bayane Jabr Soulague, très proche de Téhéran, dans lesquelles il a soulevé le problème des chiites persécutés en Arabie Saoudite. Les responsables iraniens, tous sans exception – ce qui est d'habitude très rare - ont parlé de relations privilégiées avec le royaume voisin. Ils ont même appelé à une coopération «stratégique» entre les deux pays afin d'apaiser la situation en Irak. Et par là, contrecarrer la «fitna» entre Sunnites et Chiites. Ils ont été même, selon les observateurs, plus «généreux» que le prince Saoud Al-Fayçal en élargissant l'éventail de la future coopération. Ce, en évoquant la cause palestinienne, même la manière selon laquelle ils étaient prêts à aider pour que le mouvement Hamas accepte l'initiative de paix arabe qui n'est, en fait, que le projet présenté par le roi Abdallah ben Abdel Aziz au sommet arabe de Beyrouth, il y a quelques années. Les Iraniens sont même allés jusqu'à dire qu'il fallait coordonner les pas vis-à-vis du Liban et de la Syrie. Ils rappellent, à cet égard, que Damas avait toujours joué positivement un rôle d'intermédiaire entre l'Iran et l'Arabie Saoudite. De son côté, Al-Fayçal n'a pas hésité à affirmer le droit de la République islamique d'acquérir l'énergie nucléaire à des fins pacifiques. Il a confirmé son rôle régional et apprécié sa position à l'égard de l'initiative de paix arabe. De sources syrienne, on apprend qu'une initiative arabe visant à une entente avec Téhéran concernant les dossiers régionaux est aujourd'hui à l'ordre du jour. Les garanties données par les hautes sphères du pouvoir iranien aux Arabes à travers l'Arabie Saoudite, pour le contenu pacifique du programme nucléaire ainsi que le besoin de coordination de Riyad en Irak, ont sans doute aidé à ce rapprochement accéléré. Idem pour Téhéran qui, elle aussi, a un grand besoin des Saoudiens pour atténuer les positions très dures de certains Etats arabes, l'Egypte en premier, envers son programme nucléaire. Plus que des intentions En dépit de cette avancée saoudo-iranienne, l'entourage du responsable de la politique extérieure de l'Union européenne, Javier Solana, estime qu'il est prématuré de crier victoire que ce soit au niveau des négociations qu'il avait entamées à Téhéran ou sur le plan des déclarations d'intentions de la semaine dernière. Mais il faut, cependant, souligner que s'il n'y avait pas eu un quelconque changement de la position de Washington vis à vis de l'Iran, ni la visite de Solana était alors possible, moins encore celle de Saoud al-Fayçal. Ce qui veut dire qu'un grand marché est, à l'heure actuelle, en train d'être ficelé. Ce, malgré les quelques déclarations «décevantes» par ci et par là. Ce qu'on peut dire, c'est qu'on est en train d'assister à une étape de propositions réciproques variant entre les bonnes intentions et les capacités de concessions des uns et des autres. Comme si le «flirt» a franchi déjà des pas. La preuve, la qualification par Téhéran des opportunités occidentales de très positives. A cet égard, on ne peut cacher que l'offre présentée par les Européens va bien au-delà du dossier nucléaire pour arriver à un package-deal régional où le rôle de la République islamique sera bien défini et ses intérêts bien précisés. Mais pour ce qui est de la «coordination» entre les Etats de la région comme ce qui a été évoqué entre Riyad et Téhéran, il serait difficile de la voir se concrétiser avant que le grand marché avec les Etats-Unis sera mis en place. En tout état de cause, les Arabes, en prenant l'initiative de répondre présents à l'invitation iranienne de rapprochement, veulent anticiper sur l'avenir et, par là, éviter de rester sur le quai au moment où l'accord sera définitif avec les Occidentaux. Lorsque Saoud Al-Fayçal évoquait un rôle commun d'apaisement en Irak, c'est, d'une part, un message adressé aux Américains et, de l'autre, assure un retour en force du rôle arabe dans ce pays tout en sauvegardant son unité territoriale et mettant fin aux rêves des séparatistes aussi bien chiites que kurdes. C'est dans ce contexte qu'Abdel Aziz Al-Hakim, chef du Haut Conseil de la révolution islamique et de la milice armée, Faïlak Badr, a été convoqué mardi dernier à Téhéran. Ce dernier est le partisan le plus farouche de l'instauration d'une fédération chiite au sud de l'Irak. Les négociations accélérées entre l'Iran et les Etats Arabes du Machrek, notamment ceux qui s'opposaient à la stratégie de Téhéran aussi bien militaire que politique, visaient à se mettre d'accord d'avance sur les thèmes à aborder lors de l'éventuel congrès qui suivra l'accord avec les Occidentaux. Ce Congrès qui sera axé sur les questions de coopération en matière de sécurité régionale. Les Arabes et les Iraniens veulent mettre en place des accords économiques régionaux allant jusqu'à la création d'une zone de libre-échange entre Téhéran et les pays du CCG (Conseil de coopération du Golfe). On parle même de la participation de l'Iran aux réunions de La Ligue arabe en tant qu'observateur comme c'est le cas maintenant avec la Turquie. Ce qui permettra d'installer une confiance mutuelle à la place de la méfiance régnante. De plus, les pays arabes les plus avancés dans les domaines de la technologie de l'infirmation, comme les Emirats Arabes Unis, de l'agriculture, comme l'Egypte, misent sur une entrée par la grande porte au marché iranien. Ce dernier qui, après la levée de toutes les sanctions occidentales, entrera certainement dans l'économie de marché et adhèrera sans tarder et sans opposition de la part des Américains à l'OMC. Préserver les arrières Si les responsables iraniens tel que le chef de la diplomatie, Manouchahr Metteki, répètent que le bouquet de l'offre occidentale est logique, voire très positif, le pouvoir préfère préserver ses marges de manœuvres. En d'autres termes, garder plusieurs cartes géostratégiques en main. C'est sous cet aspect qu'il faut expliquer la visite à Téhéran, mercredi dernier, du ministre syrien de la Défense, le général Hassan Turkemani, et la signature conjointe le lendemain avec son homologue iranien, Moustapha Mohamed Najjar, d'un accord de défense face aux «menaces américano-israéliennes». Cet accord portera, à part la défense de la Syrie contre toute attaque étrangère, sur l'octroi d'avions et de missiles de longues portées. Des missiles russes modifiés par les Iraniens pour ressembler aux «Stingers» américains seront livrés bientôt à l'armée syrienne, également des avions «Hassa» de type 130, fabriqués dans les usiners d'Ispahan. Rappelons que la visite de Turkmeni a été précédée par un va -et-vient des généraux des deux pays. Dans ce cadre, le général Mohamed Nassif a été dépêché par le président Assad auprès de son homologue Mahmoud Ahmadinejad, alors que le chef iranien de l'armée de l'Air, le général Karim Kouami, s'est rendu à Damas où il a rencontré le chef d'Etat-major syrien, Ali Habib. Le plus important reste la déclaration du chef spirituel, Ali Khameneï, selon laquelle, il affirma que la «sécurité de la Syrie fait partie de la sécurité de l'Iran». Le pouvoir iranien aurait ainsi voulu faire passer ce message aux Occidentaux pour leur apprendre que le package-deal régional comprendra aussi la Syrie et ses intérêts stratégiques. Par ailleurs, la visite du secrétaire général du conseil suprême de la sécurité nationale d'Iran, Ali Laridjani, en Algérie, lundi dernier, juste après celle de l'Egypte, fait partie de cette préservation des arrières. Si les Algériens parlent d'une sollicitation pour une intermédiation, les Iraniens laissent entendre qu'ils n'en ont guère besoin. Car lorsqu'on a des amis tels que les Russes et les Chinois, il serait inutile d'impliquer nos amis algériens, disent-ils. Il faut donc situer cette visite à Alger dans le cadre des «relations d'amitié stratégiques solides», souligna Laridjani. De sources concordantes à Téhéran, on apprend que l'objectif de la visite du responsable iranien en Algérie consiste à savoir la position de cette dernière au cas où les négociations n'aboutissent pas. Mission accomplie positivement : l'Algérie renouvelle son soutien à l'Iran. Elle l'a conforté face aux fortes pressions des pays occidentaux qui veulent le contraindre à renoncer à ses activités nucléaires, notamment l'enrichissement de l'uranium. Ainsi, Téhéran a assuré ses arrières arabes. Cependant, il semble que les négociations ont avancé, ces derniers jours, un peu plus avec les Occidentaux. C'est ce que laisse comprendre l'ancien président Mohamed Khatami. Ce dernier indique que si l'Iran n'est pas d'accord à 100% avec les propositions européennes acceptées par les Etats-Unis, elles représentent, néanmoins, une base des négociations pour le dénouement de la crise. Pour ce qui est du rapprochement avec les pays arabes qui contestaient le programme nucléaire iranien tels que l'Arabie Saoudite, Khatami s'est contenté de dire que c'est une histoire du passé.