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Une journée de voyage
Publié dans Jeunes du Maroc le 12 - 07 - 2005

J'ai pris le car tôt le matin de la ville d'Oujda en direction d'Azrou. C'était la première fois que je me rendais dans cette belle ville perchée sur les hauteurs de l'Atlas.
Un ami de longue date et qui pique niquait ce jour-là en forêt avec sa famille, était venu me chercher quelques minutes après mon arrivée. On a refait le trajet ensemble en voiture. Une belle et gigantesque forêt s'offrait à nous et étalait sa richesse et son charme tout au long d'une route sinueuse qui serpentait à travers des paysages naturels d'une grande beauté. Le cèdre se dressait majestueusement et s'élevait indéfiniment au ciel. Des dizaines de singes agrippés aux ramures se balançaient d'arbre en arbre avec des mouvements acrobatiques d'une grande finesse.
Les petits garçons, captivés par la beauté des lieux et les gesticulations incessantes des singes, s'en donnaient à cœur joie au plaisir et au dépaysement. Ils jetaient des cacahuètes ou des morceaux de pastèques que les petits animaux prenaient au vol avant de les broyer avec leurs puissantes mâchoires. Un peu plus loin campait la famille dans un lieu dégagé et bien ombragé. Tout le monde dansait au rythme d'une chanson chaâbi sauf la maman occupée qu'elle était à préparer le thé. L'ambiance était à la fête et le premier jour des vacances s'annonçait exceptionnel, tellement la magie du décor environnant était enivrante et féerique.
Sur le chemin du retour, on a emprunté une piste poussiéreuse et si délabrée que les deux voitures ont eu beaucoup de peine à remonter. Il aura fallu faire descendre tout le monde et déployer des techniques de conduites ingénieuses et intelligentes pour y parvenir. Un peu plus loin se dressait le cèdre Gourou, un arbre gigantesque et dont le tronc était si gros qu'il nécessitait la présence de six personnes pour en faire le tour de bras. De là, on a regagné Azrou où nous attendait un délicieux goûter de baghrir.
La nuit, après le dîner, on est parti à quatre dans un hôtel de luxe situé à six kilomètres en dehors de la ville. C'est un café, bar, restaurant, hôtel, boîte de nuit et je ne sais quoi encore ! Il y avait là beaucoup de monde et l'animation était au rendez-vous. Plusieurs groupes de cheikhates déliraient à longueur de nuit. On les entendait de loin hurler pour les quelques brochettes de centimes que le patron leur déversait sur la figure en fin de nuit. Des centaines de voitures étaient parquées à l'extérieur, la plupart d'entre elles immatriculées à l'étranger. A l'intérieur régnait une anarchie et un désordre à faire retourner l'estomac. De vielles chaises, des tables qui sentaient l'alcool, des toits jaunis par la nicotine, des murs lugubres et un plancher sale, puant et répugnant. Et les cheikhates, indifférentes au bruit infernal et au brouhaha insupportables qui régnaient au sein de ce haut lieu de misère, continuait à hurler. Les clients, dont une grande partie dépasse largement la quarantaine, continuaient à bavarder et à boire.
De temps en temps, quand un rythme dansant emplit la pièce, un pochard se levait, la bouteille à la main, tentant vainement de dominer un corps vacillant qui, par l'effet conjugué de la boisson et de la fatigue, ne semblait plus être le sien. Et au milieu de toute cette triste cohorte évoluaient les filles de joie, capables à elles seule d'embraser un département. Elles étaient là bien sûr pour déchaîner les passions et enflammer les foules. Certaines d'entre elles étaient encore à la fleur de l'âge ne dépassant guère les seize dix-sept ans et elles étaient d'une beauté terrible.
Il était pratiquement impossible pour un petit être venant de l'oriental, comme moi, qui n'était pas habitué à ce genre de surprises et qui se trouvait par un curieux hasard en pleine nuit dans cette zone qui semblait vivre en dehors du temps, de composer facilement avec ces airs qui venaient de nulle part. Des filles trop jeunes et belles à croquer se retrouvaient ici par on ne sait quel miracle entre les bras de quinquagénaires. Elles s'offraient au premier venu prêt à casquer. L'argent coule à flot et la fesse s'affaisse et s'aplatit comme une carpette. Plus question de parler amour ou de courtiser, seul le fric est maître à bord, le seul qui souffle le chaud et le froid. Et, malgré les beaux sourires que ces belles créatures distribuaient à gauche et à droite, les décolletés d'enfer et les collants qui moulent leurs reliefs, on les voyait, le moment d'une pause, le regard hagard, plongé dans le vide, et l'on imaginait alors facilement la mort qui secouait leurs petites âmes déchirées et déchiquetées par tant de misère, de remords et de regrets... Le monsieur est là pour les rappeler à l'ordre et on fait semblant d'oublier et on boit et on danse jusqu'à la déchirure...


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