Vous êtes avec ou contre nous ? » La déclaration de Jamal Lokhnati, président du Conseil national de l'Ordre des architectes, résume la sensibilité du sujet auquel s'attaque le Conseil de la concurrence. En présentant, mercredi 20 février à Rabat, une étude sur les professions libérales réglementées, le Conseil a visiblement secoué le cocotier. Même si la liste compte 141 métiers, l'analyse s'est focalisée sur les médecins, les pharmaciens, les notaires, les avocats, les architectes et les experts-comptables. Le but étant de jauger « l'intensité concurrentielle » dans ces métiers. Il fallait donc décortiquer les conditions d'accès, le degré d'ouverture à d'autres professions, leur répartition géographique… Certaines professions ont des conditions d'accès « exagérées ». Il faut compter 7 ans pour les avocats et 10 ans pour les experts-comptables, formation et stages compris. Sans compter le « piège » du stage qui se referme sur les jeunes. Dans ces deux derniers métiers, la flexibilité des conditions d'accès « n'a pas eu de répercussion sur la qualité de l'offre », argue le Conseil qui balaie d'un revers de la main « la peur de tirer vers le bas » au nom de laquelle on justifie tout assouplissement. Bref, on retrouve là les vieux archaïsmes du modèle français dupliqués dans le système marocain. Le rapport Attali de 2008 sur « La libéralisation de la croissance » avait suggéré, sans lendemain, une plus grande compétition dans ces professions. Concernant la fluidité des passerelles professionnelles, prenons le cas des notaires. Entrée en vigueur en novembre 2012, la loi régissant le notariat a barré la route aux conservateurs fonciers adjoints. Le conservateur en chef, lui, doit justifier 10 ans d'expérience. Ce qui ne le dédouanera pas d'un stage de 4 ans et d'un examen final. Sans oublier que le conservateur foncier candidat au notariat doit préalablement démissionner de la fonction publique. Pour les experts-comptables, un seul établissement (l'Iscae) assure la formation et accueille une quarantaine d'aspirants par an. Au début des années 2000, la tentative d'ouverture via des passerelles aux comptables agréés avait soulevé un mouvement de protestation sans précédent qui avait fait reculer le gouvernement. Pour les architectes, 120 places sont ouvertes chaque année dans les deux écoles. A qui la faute ? « Ce sont les ministères de tutelle qui fixent les quotas », relève le Conseil. Le Conseil a secoué le cocotier. Même si la liste compte 141 métiers, l'analyse s'est focalisée sur les médecins, les pharmaciens, les notaires, les avocats, les architectes et les experts-comptables. Le but étant de jauger « l'intensité concurrentielle » dans ces métiers Dans le cas des comptables agréés, « la loi a réservé l'exercice d'une profession aux professionnels déjà en place ». Le moratoire « n'exclut pas la consécration du monopole » avec le cas symbolique d'un professionnel âgé de 90 ans. La vieillesse n'est pas un crime. Mais qu'en est-il de l'employabilité des nouvelles générations ? Chez les avocats, c'est le ticket d'entrée qui « est exorbitant ». Le Conseil met en avant l'arrêt du 6 avril 2006 de la Cour de cassation. En l'espèce, un jeune avocat doit débourser 60.000 dirhams à l'Ordre et 300.000 pour un avocat étranger ! Dans son arrêt n° 1499, la haute juridiction met en porte-à-faux le barreau de Tanger avec les règles de la concurrence. Endettés dès le début, il n'est pas étonnant de voir de jeunes avocats sans cabinets après des années d'exercice. Ce qui les met aussi dans une position très fragile : la radiation de l'Ordre. Dans les professions libérales réglementées, le monopole peut être de droit ou de fait : l'acte de bâtir pour les architectes, les contrats de vente du logement social pour les notaires, le commissariat aux comptes pour les experts-comptables, etc. Les barrières à l'entrée empêchent toute ouverture. Pour les avocats par exemple, il faut appartenir au même Ordre régional pour former un actionnariat. Comment expliquer une telle hérésie ? « Imaginez que les banques nous refusent d'ouvrir un compte au nom d'une société civile professionnelle (SCP) constituée par des avocats », regrette Fatouma Kdama, représentante de l'Ordre de Rabat. La géographie pèse par ailleurs sur la concurrence : une répartition géographique déséquilibrée des professionnels avec souvent une concentration dans l'axe Casa-Rabat. Est-ce à cause de l'interdiction d'ouvrir des représentations régionales ou des succursales pour les avocats, notaires, pharmaciens… ? Les lois et les codes de déontologie respectifs des professions libérales réglementées sont apparemment hors du temps et du processus de régionalisation. Benchmark à nuancer Dans son étude, le Conseil de la concurrence a établi un indice de restriction à la concurrence. Comparé à des pays européens comme l'Italie ou la Grande-Bretagne, le Maroc arrive en première place. Il est suivi par la France dont le modèle est visiblement « rigide » par rapport à celui des Anglo-Saxons. Par profession, ce sont les experts-comptables, puis les notaires et les avocats qui sont les plus fermés à la concurrence. Mais il ne faut pas en tirer des conclusions hâtives. Telle a été la principale observation faite par les représentants des professions libérales réglementées : « Chaque métier a son historique, sa spécificité et ses contraintes ». Ceux ayant assisté à l'étude présentée mardi par le Conseil de la concurrence ont fait valoir la règle de réciprocité avec l'UE qui ferme ses frontières et prône l'ouverture des marchés. Certes, l'étude a levé le voile sur certaines pratiques juridiquement discutables, mais n'a pas assez de prises avec la réalité du terrain. Le Conseil ne ferme pas pour autant sa porte pour les professionnels qui veulent reparamétrer les données et les conclusions de son étude. www.leconomiste.com