Par César Chelala New York – Un allié inattendu vient au secours des dirigeants politiques et religieux qui veulent œuvrer pour la paix : les musiciens d'orchestres contemporains. Un orchestre interreligieux composé de musiciens juifs, musulmans et catholiques vient de se former en Argentine, le premier de ce genre dans le pays. Il a vu le jour grâce aux efforts conjoints d'un prêtre catholique, Fernando Giannetti, du rabbin Sergio Bergman et du président du Centre islamique argentin, Sumir Noufouri. L'idée de base est de travailler ensemble tout en respectant la diversité des opinions. Le chef d'orchestre de cette formation oecuménique argentine est Luis Gorelik, musicien argentin à la brillante carrière internationale. Par leur travail, tant le chef que les musiciens veulent prouver que la collaboration peut fonctionner entre personnes de convictions religieuses différentes. L'orchestre s'appelle Armon ?as (Harmonies), et se compose de 34 musiciens provenant de différentes provinces d'Argentine. Plus tard, Gorelik se propose d'intégrer des musiciens d'autres pays d'Amérique latine. L'orchestre Armon ?as suit le chemin tracé par deux autres musiciens qui travaillent pour la paix au Moyen-Orient : Daniel Barenboïm et Miguel Angel Estrella. Avec le chercheur palestinien Edouard Saïd, Barenboïm a créé le West Eastern Divan Orchestra (ainsi nommé d'après le recueil de poèmes de Goethe « Le Divan »), composé de jeunes musiciens israéliens et palestiniens. L'orchestre s'est produit dans le monde entier et Barenboïm a donné des récitals de piano et des leçons de musique en Palestine. Miguel Angel Estrella, pianiste argentin et actuel ambassadeur de l'Argentine auprès de l'UNESCO, est le fondateur de Musique Espérance, un groupement qui œuvre pour la paix et la justice à travers la musique. Estrella a formé l'Orchestre pour la paix, composé de jeunes musiciens israéliens et arabes venant d'Israël, du Maroc, de Tunisie, d'Egypte, de Jordanie, d'Irak, de Syrie et de Palestine. Il affirme : "Si nous parvenons à créer un nouvel humanisme, nous serons plus crédibles aux yeux de nos enfants et de la jeunesse d'aujourd'hui". J'ai demandé à Estrella, qui est un ami de ma jeunesse, ce qui l'avait poussé à créer cet orchestre. "C'est à la suite d'une visite dans un camp de réfugiés à Gaza", m'a-t-il répondu. "J'y ai vu les choses les plus tristes de ma vie ". Il avait également visité un village où druzes, musulmans et chrétiens vivaient ensemble en parfaite harmonie. Ayant demandé à un villageois comment cela était possible, il se vit répondre : "Bien sûr, que c'est possible, après tout, ne sommes-nous pas tous des fils d'Abraham ?" De retour à Paris, où il vit désormais, Estrella avait déjà dans l'idée de former un orchestre composé de musiciens venant de contextes religieux différents. Toutefois, lorsqu'il a fait part de cette idée à des rabbins juifs, ou à des catholiques ou encore des musulmans, tous ont tenté de le dissuader, l'assurant que ce rêve était impossible à réaliser. François Mitterrand, qui était président à cette époque, alla même jusqu'à lui dire qu'il mettait sa vie en danger s'il poursuivait cette idée. "Plus on me disait qu'il n'y avait rien à faire, plus j'étais décidé à aller de l'avant", me dit Estrella. Finalement, il a pu constituer son orchestre avec le soutien de personnes provenant d'horizons et de confessions différents . "Aujourd'hui, nous jouons chaque fois que nous avons assez d'argent pour couvrir les dépenses, car cela coûte très cher de faire venir tous ces gens de pays très divers", ajoute Estrella, "mais je fais tout ce que je peux pour les aider, car ils tiennent beaucoup à jouer ensemble". Un ensemble musical peut-il constituer un modèle de coopération entre des personnes de religions différentes ? Oui, je le crois. Alors que le comportement des politiques aurait plutôt tendance à creuser le fossé entre différents groupes religieux, tout ce que font ces musiciens sert à le refermer. Leur travail fait la jonction entre le désir de paix des hommes et leur amour de la musique. Les efforts déployés dans la société civile, notamment dans le monde de la musique, nous permettront peut-être de parvenir à un niveau d'entente et de coopération qui pourrait éventuellement être porteur d'un monde moins violent. En multipliant le nombre de ces orchestres de la paix, en transformant en action la soif de paix qui les anime, les citoyens ordinaires pourront montrer aux marchands de guerre que la musique et la bonne volonté entre les peuples peuvent triompher de la destruction et de la mort.