« C'est donc ici que les gens viennent pour vivre », me suis-je dit avec une voix pleine d'ébahissement, Karine m'a répondu avec une telle spontanéité, comme si elle s'attendait à mon étonnement : « Tu n'as encore rien vu, mais faisons vite, la nuit ne va pas tarder à tomber et on va se retrouver dans une situation délicate », j'ai bougé ma tête en signe de compréhension puis j'ai balayé les lieux... Une énorme foule de garçons, de filles, de femmes et d'hommes entrain de mener leurs vies quotidiennes : ils n'avaient pas de maisons, c'est ici leur maison, ;ils n'avaient pas de métiers non plus, ils cherchaient seulement à vivre dans un monde où simplement le fait de vivre est devenu un vrais miracle ; ils partageaient tout... ils étaient communistes d'origine... « Masakine ! » j'ai murmuré, Karine m'a regardé curieusement, « Les pauvres » j'ai traduit, « Je n'aurais jamais pu imaginer qu'il puisse exister un monde comme cela ! » j'ai ajouté, avant de me souvenir que lors des quelques heures précédentes, le matin pour être précis, je suis sorti avec Karine à la recherche d'une petite fille à adopter : oui, il y a plein de filles dans les hôpitaux, les associations et les foyers, certes, mais elle cherchait quelqu'un de particulier, elle cherchait une fille de la rue... elle avait envie de sauver une petite âme... peut être un petit ange... et maintenant nous voila devant tout un monde qui a besoin d'être sauvé... ou au moins d'être adopté... « Hé ! Tu ne bouges pas ? », le cri de Karine m'a sorti de mes pensées, je ne suis plus motivé pour ce que nous voulions faire, apparemment elle aussi, c'est comme si on mettait une goutte d'eau dans un désert... un désert de misère. « Je n'ai pas envie de te décevoir, mais tu sais Karine... », elle a anticipé la suite, elle m'a fixé des yeux : « Oui je sais, mais faisons le quand même »... Elle l'a dit d'une manière drue d'aplomb et de fermeté, son style relatait toutes ses répercussions... il ne restait plus rien à discuter, c'est peut être un engagement citoyen, ou encore un appel à la conscience et la fraternité... mais une chose est sûre, sa décision était pleine d'humanisme. Elyz , c'était son prénom, ou du moins c'est ce qu'elle garde comme souvenir, on lui demande si elle se rappelle comment elle s'est retrouvée ici, elle se contente de nous regarder... doucement... lentement... vaguement... avant de céder la place à ses larmes... Karine me regarde, je comprends, ce n'est pas le moment de poser des questions... ce n'est surtout pas le moment... Le silence s'installe... un silence lourd... très lourd... et... le ciel décide de nous faire partager nos émotions... une goutte... deux gouttes... puis il pleut... Karine est concentrée sur son volant... la petite Elyz s'endort... je fais de même... enfin... je fais semblant... le regard d' Elyz est imprimé dans ma mémoire, comme cela est étrange ! Ce regard profond, ce regard transparent, ce regard plein d'émotions... et ensuite les petites larmes... le genre de larmes pour lesquelles vous vous sentez prêt à tout fournir pour ne pas les revoir... puis... puis je me suis endormi... cette fois pour de vrai. J'ai fait un rêve, des rêves, je ne m'en rappelle pas, je me réveille, je transpire, mon cœur bat, il bat plus que la normale, c'est clair, c'était un cauchemar ou des cauchemars... qui sait ? Et puis, qui s'y intéresse ?... Il fait déjà nuit, Elyz dort encore... je jette un coup d'œil par la vitre, nous y sommes presque... Mon téléphone sonne ! Il est quatre heure du matin... je reconnais la voix à l'autre bout du fil... Karine ... personne à part elle n'a cette tonalité, cette voix qu'on dirait venir de nulle part et de tout coin en même temps... cette voix qui rassemble joie et tristesse dans une incroyable symbiose digne d'un musée... mais cette voix était différente... elle pleurait... NON ! Pas au sens physique... pas au sens propre... Karine ne pleure jamais... du moins elle ne verse pas de larmes, mais j'étais capable de la comprendre... « Si tu peux être au poste du ‘Nord' à 8h !? » me dit-elle, « Bien entendu » je réponds... je la connais assez pour savoir qu'elle ne me dirait rien au téléphone... et puis ce n'était pas le moment. Le lendemain, on se retrouve au poste de police, elle m'explique en quelques mots que Eliz s'est enfuie avec quelques objets... j'étais surpris... plutôt étonné... pas parce que Eliz s'est sauvée mais en pensant que Karine va déclarer... « Ce n'est pas ce que tu penses, je n'ai pas déclaré pour vol... il faut la retrouver... ». C'est magique comme elle peut lire dans mes pensées... l'officier prend nos coordonnées... trente minutes plus tard nous étions dans un café... le même café habituel... la même vue éternelle sur le fleuve... la même table avec les deux tasses de ‘café au lait'... quelques éclairs qui illuminent le ciel, puis le silence, un silence aussi ancien que ce château au bout du fleuve... elle pensait à elle et je pensais à eux... à mon pays...à tous les enfants qui se retrouvent dans la rue... je me demandais si le monde était composé de gens comme Karine, ne serait-t-il pas le paradis ? Mais... ceci est une autre histoire. NB : Texte basé sur des faits réels. Par Mohammed SLIMANI Vraiment très touchant cet article. J'ai eu un grand pincement au coeur en le lisant... LA réalité, la réalité de "l'autre monde" est accablante. Ce monde, leur monde,...appelle à l'aide, crie pour qu'on puisse l'entendre... Mais malheureusement, Le monde s'est assez éloigné pour ne plus écouter, voir ou même remarquer toute cette détresse... Le monde se complait dans son confort et ignore la misère de l'autre monde, de leur monde... Nous avons besoin de "Karine", de toutes les Karines, des personnes généreuses et ouvertes aux autres, capables de donner de leur temps et de leur énergie au détriment de ses propres sentiments, de ses propres ressentiments ! C'est très dur de voir à quoi peut ressembler le quotidien de personnes qui n'ont pas eu la même chance que certains d'entre nous, la chance d'être élevé avec amour, chouchouté et dorloté dans un foyer douillet et chaleureux. Il est difficile de délaisser cette chance, ce grand confort pour un petit instant ou on aurait la chance de servir à quelque chose, pouvoir tendre la main à un inconnu qui souffre, à un enfant délaissé ou maltraité , à une personne dans le besoin... Je regrette et je crains toute l'indifférence que je vois autour de moi. D'autant plus que je suis ici en France. La chaleur des rapports humains est loin d'être une réalité de tous les jours. Cette chaleur est remplacée par un froid permanent, par l'indifférence dans la rue... Merci aux Karines d'apporter un semblant de chaleur à ces enfants, merci à ces Karines d'exister... Mais, la route est encore longue. Cette misère existe et existera demain même si demain dépend de nous...