La fuite des compétences marocaines à l'étranger n'est pas un phénomène récent. Valorisation insuffisante, inadéquation du marché du travail, manque d'infrastructures de recherche… Tant de raisons qui poussent d'année en année des profils clés au développement du royaume à mettre les voiles vers d'autres pays. Le Maroc intéresse-t-il peu ses compétences ? C'est ce qu'il parait, si on se basait sur les propos de Said Amzazi, ministre de l'Education nationale. En effet, le ministre avait indiqué, le 14 janvier, devant la chambre des représentants, qu'environ 600 ingénieurs marocains quittent le royaume annuellement. Ceux-ci privilégient des marchés tels que le Canada, les Etats-Unis, les Emirats Arabes Unis et l'Europe. Ce choix est justifié par le fait que ces marchés disposent d'offres en accord avec les attentes professionnelles des compétences marocaines, notamment pour ce qui est de l'évolution de leurs carrières. Phénomène de mode ou réalité amère ? Les compétences marocaines, notamment dans le secteur du digital, sont des plus performantes dans le monde. Le profil marocain est souvent multilingue, ce qui lui permet de s'adapter rapidement à son environnement, surtout du fait de sa maitrise de l'anglais, qui est une langue universelle. C'est d'ailleurs dans ce sens qu'Amzazi avait indiqué que la fuite des compétences locales est un signe de la « qualité de l'enseignement marocain », des propos qui ont été mal interprétés sur la toile nationale. Au-delà de cet aspect, les métiers du digital, aussi « attirants » qu'ils le soient, restent encore peu développés au sein du royaume. La transformation numérique au sein du Maroc se fait à petits pas, du fait qu'il faut déjà paver le chemin et établir des bases solides, afin de remplacer le système traditionnel. D'ailleurs, à cet égard, plusieurs entreprises internationales choisissent de s'établir ou d'implémenter des filiales locales au sein du royaume, notamment afin de profiter des compétences marocaines à prix moindres, par rapport à ce qui se fait à l'étranger. Dans ce sens, Saloua Kerkari Belakziz, présidente de la Federation des technologies de l'information, de télécommunication et de l'Offshoring (APEBI), avait indiqué que « trois entreprises étrangères viennent tous les 15 jours pour recruter une dizaine d'ingénieurs marocains ». Logiquement, cela devrait être un indicateur positif pour le royaume, sauf que ces recrutements sont souvent destinés à l'étranger. Une perte importante pour le marché national De son côté Hicham Ouazi, consultant en recrutement, a expliqué à Hespresse FR que le marché français est particulièrement friand de profils marocains et maghrébins. Les compétences marocaines qui choisissent de partir vers l'Europe le font surtout à cause du manque d'opportunités « intéressantes » au sein du royaume, mais aussi, car elles cherchent des postes à forte valeur ajoutée pour leur carrière. La motivation financière viendrait presque en dernier lieu pour eux. Ouazi nous explique que les profils jugés « juniors », au sein du royaume, se voient offrir des opportunités au sein des structures étrangères, généralement réservées à des « seniors » au Maroc. Dans ce sens, il nous a indiqué que certains candidats, à la recherche d'opportunités au Maroc, cherchent avant tout à être valorisés, et non pas de décrocher des salaires élevés. Cela dit, la majorité des profils marocains, dans le secteur des nouvelles technologies, sont souvent recrutés à destination de l'étranger. Le manque d'opportunités intéressantes dans ce domaine se veut comme le principal motif pour l'émigration des compétences. Egalement contacté par Hespress Fr, Mohamed Khachani, professeur d'économie et président de l'association marocaine d'études et de recherches sur les migrations (AMERM), on ne devrait plus parler de « fuite de cerveaux », mais de » fuite de compétences ». Cela dit, ce phénomène est le résultat de plusieurs facteurs, internes et externes, liés à l'environnement de travail général au sein du royaume. Celui-ci n'est pas « adéquat », car il ne permet pas à ces compétences de s'épanouir. Pour ce qui est de la réalité du marché du travail national, « on est très loin de la méritocratie », indique Khachani. Cela veut concrètement dire que les gens qui méritent quelque chose ne sont pas souvent gratifiés pour accéder aux postes de responsabilité, contrairement à d'autres, peu compétents, mais qui bénéficient de privilèges auxquels ils ne devraient pas avoir accès. De l'autre côté, le président de l'AMERM indique que les gens travaillent dans un environnement transparent, qui privilégie les compétences de chacun. Cela pousse les compétences à donner d'eux-mêmes pour le développement de n'importe quel projet ou structure auxquels ils adhérent. Mohamed Khachani nous a déclaré: « Nous avons un potentiel extraordinaire en termes de savoir-faire. Nous vivons dans un capitalisme de connaissances, qui fait qu'on a plus que jamais besoin de ces compétences, mais il faut leur créer les conditions idoines pour leur permettre de venir participer au développement du Maroc ». Ainsi, le manque d'opportunités et de valorisation serait donc les principaux motifs pour lesquels des centaines de jeunes choisissent de partir à l'étranger annuellement.