Il y a trente ans, en 1995, la Déclaration et le Programme d'action de Beijing ont marqué un tournant historique. Pour la première fois, 189 gouvernements se sont engagés d'une seule voix à affirmer un principe fondamental : les droits des femmes sont des droits humains. Cet élan a abouti à un programme ambitieux et une feuille de route visionnaire qui, encore aujourd'hui, démontre sa pertinence et oriente les efforts pour surmonter les obstacles à l'autonomisation des femmes à travers le monde. Trente ans plus tard, où en sommes-nous ? Le constat reste mitigé : si des avancées ont été réalisées, les progrès sont lents et, dans certains domaines, des reculs sont constatés. En trente ans, la parité dans l'éducation des filles devient progressivement une réalité, plus de femmes ont accès à la protection sociale, des réformes juridiques ont fait avancer l'égalité des sexes avec des lois qui protègent les femmes et les filles – notamment contre les violences et les discriminations – et la représentation politique des femmes a doublé. Toutefois, ces progrès restent insuffisants et les inégalités persistent – et ce, à tous les niveaux. Les femmes gagnent encore 20 % de moins que les hommes à travail égal, elles effectuent trois fois plus de travail de soins non rémunéré, la représentation des femmes dans la population active n'a pas changé et un tiers des femmes dans le monde subissent des violences au cours de leur vie. La fracture numérique restreint des millions de femmes et de filles d'opportunités économiques et éducatives. À ce rythme, une fille née aujourd'hui ne connaîtra jamais une réelle égalité, car il faudra 134 ans pour atteindre la parité totale, soit environ cinq générations au-delà de la cible de l'Objectif de développement durable (ODD) 2030. Face à ces défis, il ne suffit plus de parler d'engagements : il faut des actions collectives et concrètes. Le 30e anniversaire de la Déclaration et du Programme d'action de Beijing (Beijing+30) n'est donc pas seulement un bilan des progrès accomplis, c'est un appel à accélérer les efforts collectivement pour l'atteinte de l'égalité. Pour cela, le programme d'action B+30 fixe six domaines d'action prioritaires. Beijing+30 : six domaines d'action pour accélérer le changement Une révolution numérique : Le numérique doit être un levier d'émancipation en prenant garde à ne pas perpétuer les stéréotypes et en garantissant la sécurité en ligne des femmes et des filles. Au Maroc, 16,1% des femmes et des filles âgées de 15 à 74 ans ont été victimes de violence électronique au cours des 12 mois précédant l'enquête du HCP en 2019 sur la prévalence de la violence faites aux femmes et fille. Garantir un accès équitable et sécurisé aux technologies, encourager les filles dans les filières STEM et lutter contre la cyberviolence sont des impératifs. L'élimination de la pauvreté : à travers l'investissement dans la protection sociale et des services publics de qualité, notamment dans la santé des femmes, éducation, et les soins. La pauvreté revêt de multiples dimensions, allant bien au-delà du manque de revenus et de biens, elle englobe également la faim, l'accès limité aux services d'éducation et de santé, les opportunités d'emploi restreintes et des conditions de logement précaires, entre autres. Intégrer l'égalité des sexes dans l'ensemble des politiques sociales et économiques, afin de garantir à toutes les femmes un accès équitable aux ressources et aux opportunités est fondamental. Ces investissements peuvent générer des d'emplois décents et verts. Éliminer les violences faites aux femmes et aux filles : 90 % des pays ont adopté des lois contre les violences faites aux femmes et aux filles, mais leur application effective et leur financement restent faibles et les normes sociales discriminatoires freinent leur élimination. Il est essentiel d'agir à tous les niveaux : renforcer les services de prévention et de protection, tenir les auteurs responsables, investir dans des solutions efficaces pour protéger les femmes et les filles partout, développer des stratégies nationales intégrées et renforcer la coordination avec la société civile et les organisations locales. Un accès égal à la prise de décision : Les femmes restent encore largement sous-représentées dans les sphères de leadership. Elles ne représentent que 27 % des parlementaires et 23 % des ministres. Dans le monde des affaires, moins de 5 % des PDG sont des femmes. Au Maroc, dans l'administration publique, les femmes n'occupent que 22 % des postes de responsabilité et 13% des emplois supérieurs, elles représentent 5% des administrateurs des entreprises publiques et 7% pour les grandes entreprises privées. Sur le plan politique, le Maroc compte 6 femmes ministres et une secrétaire d'Etat sur 30 membres du gouvernement en 2024. Une gouvernance plus inclusive dans les domaines privé et public est un levier fondamental pour une société plus performante et résiliente. Intégrer les femmes dans les processus de paix : Lorsque les femmes participent aux processus de paix, les accords ont 35 % plus de chances de durer au moins 15 ans. Pourtant, elles ne représentent que 10 % des négociateurs de paix. La participation des femmes dans ces processus de paix et de sécurité et leur implication dans la gestion des crises et conflits sont nécessaires pour construire des solutions durables et inclusives. Placer les femmes au cœur de l'action climatique : Le changement climatique exacerbe les inégalités. 80 % des personnes déplacées par le climat sont des femmes et des filles. Investir dans des solutions climatiques portées par les femmes et dans le renforcement de leurs compétences pour accéder à des emplois verts, et renforcer leur participation à l'action climatique et à la conservation de la biodiversité sont des leviers essentiels pour une transition verte et juste. Ces six actions prioritaires doivent être soutenues par une intégration effective des jeunes au cœur des efforts – une priorité absolue qui permettra de multiplier l'impact du changement. Un 8 mars pour un engagement renouvelé et revitalisé Les chiffres sont là. Les solutions existent. Il reste à agir. En cette Journée internationale des droits des femmes, rappelons-le : le 8 mars ne doit pas être une simple célébration. C'est un appel à la mémoire, un engagement renouvelé, un rappel urgent à l'action collective qui doit durer toute l'année. Chaque action, chaque décision, chaque initiative en faveur de l'égalité contribue à bâtir un monde plus juste et plus inclusif. Et ce combat ne peut être mené seul. Les hommes et les garçons sont des alliés essentiels incontournables pour déconstruire les stéréotypes, faire évoluer les mentalités et construire une société où chacun et chacune, peut réaliser son plein potentiel. Trente ans après la Déclaration et le Plan d'action de Beijing, nous avons une opportunité unique d'écrire le prochain chapitre. Un chapitre de progrès accéléré vers la construction d'un monde égalitaire pour TOUTES les femmes et les filles, un monde fondé sur les droits, l'égalité et l'autonomisation. *Cheffe du Bureau-Maroc ONU-Femmes