Riche de réformes majeures mais toujours confrontées à des défis de taille, les femmes marocaines poursuivent courageusement leur quête d'une société plus juste. Une récente publication du Policy Center For The New South (PCNS) met en avant les espoirs et embûches du féminisme au Maroc à travers le temps. Le récit baptisé « Le féminisme tel que je l'ai vécu », écrit par l'ancienne diplomate Nouzha Chekrouni et publié par le PCNS, notamment dans son ouvrage « Le leadership féminin au Maroc : De l'invisibilité à la visibilité », affirme que l'histoire du combat des femmes marocaines est riche mais souvent méconnue. A l'indépendance, des avancées prometteuses pour l'émancipation féminine sont apparues, symbolisées par le soutien du Roi Mohammed V, encourageant l'éducation des filles. Cependant, des courants conservateurs freinaient cet essor. Pour sa part, la Constitution de 1962 a accordé des droits politiques, économiques et culturels aux femmes, sans toutefois prévoir l'égalité juridique, fait savoir l'auteure. Elle explique que la mise en œuvre effective de ces droits a été entravée par des obstacles culturels et structurels. Les femmes ont progressivement gagné en visibilité dans la sphère publique et ont commencé à s'impliquer dans les partis politiques et le milieu associatif, tandis qu'un discours sur l'égalité des sexes apparaissait dans les années 1970, bien que peu suivi d'actions concrètes. Selon Chekrouni, la lutte pour les droits des femmes, initialement centrale dans l'engagement politique de gauche, s'inscrivait progressivement dans un contexte plus large de lutte pour la démocratie, reflétant un débat présent aussi en Occident. En 1975, l'Union Socialiste des Forces Populaires (USFP) intègre les revendications féminines dans son agenda, bien que le combat pour la démocratie reste prioritaire, note-t-elle. Hommes et femmes étaient mobilisés pour cet idéal commun, espérant que la démocratie élimine toutes les inégalités. Dans les années 1980 et 1990, le mouvement féministe oscille entre grandes questions politiques et la défense de droits spécifiques, mais peine à trouver un soutien large, mis à part quelques intellectuels influents comme Fatima Mernissi, poursuit l'auteure, ajoutant que la question des femmes finit par être marginalisée dans un processus démocratique complexe, reléguée à des discours sans suivi concret. Au début des années 1980, les retombées de l'ajustement structurel ont accentué les demandes sociales au Maroc, auxquelles l'Etat ne parvenait pas à répondre. Une société civile active a émergé, servant de médiateur entre le gouvernement et la population, et soutenant les revendications sociales, notamment pour l'égalité des sexes. Les organisations féminines au sein des partis politiques ont trouvé un allié dans ces associations civiles pour rompre leur isolement et renforcer leur impact, précise l'ancienne diplomate. Les mouvements de défense des droits des femmes ont prospéré, atteignant un large public et bouleversant le mouvement féministe jusqu'alors limité aux milieux intellectuels. En 1991, une pétition massive a poussé à la réforme de la Moudawana, confrontant progressistes et conservateurs et ouvrant la voie à des réformes majeures. De plus, elle souligne que la première réforme du Code du statut personnel a marqué un tournant, symbolisant non seulement un acquis pour les femmes, mais aussi le début d'une série de changements. A la fin des années 1990, le gouvernement d'alternance promettait de renforcer la démocratie, plaçant la question des femmes au premier plan. Le Plan d'intégration de la femme dans le développement a révélé les tensions d'une société divisée entre tradition et modernité. Les marches du 12 mars 2000 ont mis en lumière cette division, menant à l'intervention du Roi Mohammed VI et à l'adoption d'un nouveau Code de la famille, qui, tout en maintenant les valeurs marocaines de modération et équilibre, a réalisé des progrès significatifs pour les droits des femmes. Par ailleurs, le débat sur les droits des femmes s'est diversifié pour aborder des questions territoriales et socio-économiques, telles que les inégalités entre femmes urbaines et rurales, la discrimination au travail, et la violence de genre. Cette approche intersectionnelle a accru la place de la question féminine dans les politiques publiques. D'après Chekrouni, la tension entre tradition et modernité au Maroc complique les avancées des droits des femmes, prises entre influences salafistes et occidentales. Le mouvement féministe s'est renforcé, surtout avec la réforme constitutionnelle de 2011 qui a introduit des mécanismes pour la parité. Les femmes ont gagné en influence dans divers domaines, mais continuent de faire face à des discriminations et un système éducatif qui n'enracine pas l'égalité. La pandémie de 2020 a exacerbé les inégalités et la précarité, soulignant l'urgence de réformes substantielles pour soutenir le développement national inclusif. D'un autre côté, l'auteure note que la troisième vague féministe au Maroc traduit une conscience accrue des enjeux féminins et une volonté de changement holistique. Bien que des réformes légales aient été réalisées, comme le Code de la famille et la Constitution de 2011, elles n'ont pas toujours eu un impact visible, surtout pour les femmes rurales et marginalisées. Les quotas ont permis d'inclure les femmes dans les postes décisionnels, mais ils atteignent leurs limites. La véritable égalité nécessite une parité réelle et la déconstruction de stéréotypes sexistes. Le Nouveau modèle de développement aspire à répondre aux attentes des jeunes et à remettre en cause les structures culturelles rigides. L'objectif est un leadership féminin visible et un féminisme intégré au cœur de la société, mené par toutes les générations. Ce renouveau dépend d'un dialogue entre le passé et le présent pour envisager un avenir inclusif, garantissant que les acquis ne se perdent pas mais se renforcent.