L'aventure entrepreneuriale de Chakib Alj, patron des patrons, président de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM) dans le secteur de la construction, illustre les dangers de l'ambition mal calibrée. Chakib Alj est également le patron Cap Holding davantage connu pour ses activités dans le secteur de la farine. Cela-dit, une de ses sociétés « Les Jeunes Maçons » (LJM), fondée en 2016 à Fès en partenariat avec l'entrepreneur Mouad El Moussouli, semble aujourd'hui condamnée à l'échec total. Plombée en cela par une gestion chaotique et des dettes abyssales, l'entreprise a pratiquement cessé toute activité sur ses chantiers. Ambition débordante, réalisme abscons pour un effondrement annoncé À sa création, LJM bénéficiait d'une structure de capital ambitieuse : Chakib Alj et Mouad El Moussouli détenaient chacun 40 % des parts, les 20 % restants revenant à leurs proches. L'objectif était clair : faire trembler les poids lourds du secteur, comme SGTM ou TGCC. Au départ des activités de LJM, tout semblait prometteur. Fort de son carnet d'adresses et porté par le dynamisme de LJM, Chakib Alj propulsait l'entreprise vers les sommets. Le chiffre d'affaires de la société passant de sept fois plus, d'environ 50 millions de dirhams à 350 millions en seulement trois ans. Cela laissait entrevoir un avenir des plus radieux. Mais, cette ambition a rapidement été mise à mal par une concurrence féroce et des choix stratégiques peu éclairés. Les grands projets immobiliers, notamment ceux de la Compagnie Générale Immobilière (CGI), n'ont pas suffi à sauver la société de sa chute. C'est que Chakib Alj, confiant, avait laissé la gestion de l'entreprise à son jeune associé, un ingénieur formé à l'EMI, ayant fait ses armes chez TGCC et EMB. Ce dernier ne tarde pas à alourdir les finances de LJM, multipliant les dépenses inconsidérées et contractant d'importants crédits bancaires. Fidèle à l'adage « on ne prête qu'aux riches », l'entreprise réussit à solliciter presque toutes les sociétés de crédit du marché du pays et non des moindres. Parallèlement, les dettes envers les fournisseurs atteignent près de 230 millions de dirhams dès 2022. La situation se complique avec l'accumulation de saisies conservatoires : près de 5 millions de dirhams réclamés par la CNSS, 1 million de dirhams par CAM Leasing, et plus de 4 millions de dirhams par divers fournisseurs. Cette spirale d'endettement plonge irrémédiablement LJM dans le chaos. Au bout du compte, la société s'effondre. Chakib Alj, tentant de sauver les meubles, pousse Mouad El Moussouli vers la sortie via un accord à l'amiable. Ce dernier cède ses 40 % de parts pour le « dirham symbolique » et démissionne de son poste de gérant. Malgré quelques tentatives désespérées pour redresser la situation, Chakib Alj reste seul à bord de ce qui s'apparente à un Titanic nommé LJM, incapable d'échapper à son naufrage. Réalité d'une gestion chaotique Selon des sources bien informées, LJM tente aujourd'hui de contenir la colère de ses nombreux créanciers, allant jusqu'à proposer de petites commandes pour calmer les tensions. Une nouvelle responsable des achats a été chargée de négocier directement avec des entreprises créancières, en promettant des paiements directs provenant des maîtres d'ouvrage. Mais, ces mesures, perçues comme des « calmants » temporaires, ne convainquent pas. Plusieurs fournisseurs et sous-traitants, touchés par des retards de paiements chroniques, envisagent de porter l'affaire devant la justice. En parallèle, les difficultés financières de LJM ne cessent de s'aggraver. Depuis janvier 2024, 20 saisies conservatoires et exécutions ont été enregistrées sur les comptes de l'entreprise, dont une au profit de la CNSS. Le passif total de la société est évalué à près de 51,9 millions de dirhams, soit plus de 5 milliards de centimes. Les employés de l'entreprise qui ne perçoivent plus leur salaire menacent de s'en remettre aussi à la Justice. Les banques, déjà confrontées à des incidents de paiement, ont évidemment coupé tout accès à de nouvelles lignes de crédit, enfonçant un peu plus LJM dans l'impasse. Face à cette situation alarmante, des créanciers redoutent une demande de redressement judiciaire devant le tribunal de commerce de Fès, où se trouve le siège social de l'entreprise. Les débiteurs s'inquiètent des faibles chances de recouvrer leurs créances, surtout dans un contexte de blocage des comptes bancaires de LJM et d'une incapacité manifeste à honorer ses engagements financiers. Pour certains, l'effondrement de « Les Jeunes Maçons » révèle les failles d'une gestion marquée par l'amateurisme et les choix hasardeux. Mais, il met aussi en lumière les risques systémiques auxquels sont confrontées les entreprises ambitieuses, mais mal préparées à affronter les réalités du marché marocain.