L'initiative citoyenne OTED a organisé, ce jeudi 10 octobre, un nouvel épisode de son cycle de discussions intitulé « Parlons Territoires ». Présentée sous forme de webinaire, cette session avait pour thème central : « les douars entre patrimoine socioculturel et dilution institutionnelle ». L'événement a rassemblé une palette de chercheurs de renom pour examiner le rôle crucial des douars au Maroc, tout en explorant les défis auxquels ils font face dans le contexte institutionnel actuel. Les douars, ces unités sociales et économiques centrales, sont profondément ancrés dans le tissu rural marocain. Dans ces espaces de vie, les habitants partagent des valeurs, des traditions et des liens de solidarité. Selon les intervenants, "ces liens ne sont pas seulement d'ordre économique, mais également socioculturels, créant un fort sentiment d'appartenance à une identité collective". Cependant, ce rôle crucial des douars n'est pas suffisamment reconnu au niveau institutionnel. Contrairement aux communes, les douars ne bénéficient pas d'un statut officiel en tant que collectivité territoriale. Cette situation les place dans une zone d'invisibilité administrative, soulevant des questions importantes sur leur place dans la structure territoriale marocaine et leur avenir. "Malgré leur rôle central, les douars ne disposent pas de la reconnaissance institutionnelle nécessaire pour participer pleinement à la gestion des ressources locales", a souligné Mohamed Mahdi, professeur de sociologie rurale. Le manque de reconnaissance des douars tire en partie ses racines dans l'héritage des protectorats français et espagnol, où les territoires étaient divisés et structurés dans un souci de contrôle de l'espace et de la population. Cette grille de lecture territoriale continue de peser sur les douars. Comme l'a expliqué Samira Mizbar, socio-économiste, "ces espaces se retrouvent dilués dans les communes rurales, leurs considérations administratives étant souvent oubliées". La fragilisation de ces unités territoriales s'est particulièrement illustrée lors du séisme d'Al Haouz qui a frappé le Maroc la nuit du 08 septembre 2023. L'importance de préserver ce patrimoine socioculturel a été remise en lumière par cette catastrophe, mettant en avant le besoin urgent de renforcer la résilience et la gestion des ressources locales dans les douars. Mohamed Tozy, professeur et Directeur délégué à la recherche à Sciences Po Aix, a quant à lui évoqué l'évolution des douars, où certains continuent de se déplacer et de s'adapter, tandis que d'autres disparaissent ou sont absorbés par les communes. Il a également précisé que ces espaces étaient autrefois des cités avec une portée religieuse marquée, centrées autour de la mosquée. Mais aujourd'hui, les jeunes quittent de plus en plus ces zones pour chercher des opportunités ailleurs, souvent à l'étranger, abandonnant l'activité agricole locale. Insistant sur ce fait alarmant, Mohamed Mahdi, professeur de sociologie rurale et membre de l'association Targa Aide, revient sur ce volet critique. "Malgré cela, une partie des douars résiste, alimentée par les envois d'argent des membres de la diaspora. Cependant, cette dynamique révèle une disparité flagrante entre les douars qui bénéficient de ce soutien et ceux qui restent oubliés, confrontés à un avenir incertain", dit-il. L'un des points cruciaux soulevés lors de ce webinaire est la nécessité de reconsidérer le rôle des douars dans le cadre des politiques publiques. Le nouveau modèle de développement marocain, mettant le citoyen au centre, pourrait offrir une opportunité de redonner à ces unités territoriales la place qui leur revient. La Constitution de 2011 appelle également à l'implication directe des citoyens dans la prise de décision politique, un élément qui pourrait renforcer la représentation des douars au niveau communal. Toutefois, comme l'a signalé Mahdi, "malgré plusieurs études et essais de modernisation, les spécificités culturelles des douars continuent d'entraver leur développement", un paradoxe qui demande une approche plus nuancée pour permettre à ces espaces de participer pleinement à l'évolution du pays. Le webinaire organisé par OTED a mis en exergue des problématiques profondes qui affectent les douars du Maroc, des entités à la fois riches en patrimoine socioculturel mais en perte de vitesse institutionnelle. La dilution administrative de ces espaces ne doit pas masquer leur importance pour la cohésion sociale et territoriale. Les chercheurs présents ont appelé à une relecture de l'espace à travers les lunettes des sciences humaines, afin de mieux comprendre et soutenir les spécificités uniques des douars dans un Maroc en pleine mutation.