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OTED : Faut-il enseigner l'histoire territoriale à nos enfants ?
Publié dans Hespress le 16 - 02 - 2023

Comment faire en sorte que l'enseignement de l'histoire de nos territoires mette en valeur les spécificités locales, sans pour autant verser dans le relativisme mémoriel ? C'est la question à laquelle l'initiative citoyenne OTED a tenté de répondre en organisant, ce jeudi 16 février 2023, nouvelle édition Parlons Territoires à travers un live webinaire sous le thème : « Faut-il enseigner l'histoire territoriale à nos enfants ? ».
Le débat passionné et de surcroit riche en enseignements, modéré par Souleïman Bencheikh, Chargé de mission à la Direction générale du groupe OCP, a été marqué par la présence d'experts, Abdeljalil Bouzouggar, archéologue, directeur de l'Institut des Sciences de l'Archéologie et du Patrimoine (INSAP), Nadia Hachimi Alaoui, politologue, chroniqueuse à Luxe Radio, Driss Khrouz, économiste, ancien directeur de la Bibliothèque Nationale du Royaume du Maroc (BNRM) et Nabil Mouline, historien, politologue chercheur au Centre National de Recherche Scientifique (CNRS, France) nous ont, tour à tour et à chacun sa spécialité, éclairé, de manière prospective, sur le sujet.
Pour l'archéologue Abdeljalil Bouzouggar, connu pour avoir dirigé une équipe de recherche pluridisciplinaire et internationale, qui fut à l'origine de la découverte faite, dans une grotte, non loin de la ville côtière d'Essaouira, au nom de Bizmoune (tanière de la lionne en berbère) des plus anciens bijoux du monde. Un ensemble de perles de coquillages datant de 142 000 à 150 000 ans.
"On les a appelés les objets de parures. Cette histoire, cette archéologie est un pont entre l'histoire territoriale et l'histoire de l'humanité avec de grands h. La découverte de Bizmoune poursuit-il "offre aussi des informations cruciales sur l'origine du comportement symbolique de l'être humain. Cela peut avoir plusieurs significations, à savoir des indices sur les relations et rapports entre membres du même groupe ou d'autres communautés, ou sur la présence d'une langue commune et d'une identité. Ces objets de parures ont eu, en fait un impact scientifique considérable. Perforées volontairement par "l'Homme", lissés et polis, d'où le travail intentionnel d'un artisan, ces coquilles marines peuvent avoir comme signification le sang, la vie ou les liens de parenté".
Ces objets sont similaires à d'autres découvertes sur le continent africain ou au Moyen-Orient, sauf que les parures de Bizmoune ont la particularité d'avoir fait reculer l'âge de l'apparition de tels objets de 50 000 ans. Les premiers n'avaient auparavant que 130 000 ans. L'archéologie pour Bouzouggar "permet de mieux comprendre l'histoire locale et en quoi elle est peut-être un pont entre l'histoire locale et l'histoire de l'humanité". Elle permet de mieux comprendre la sphère locale et de la réécrire. Surtout avec les découvertes, qui sont des témoins matériels donc "on est plus dans le document écrit qui a bien sûr sa valeur et son importance dans la construction d'une histoire soit d'une région donnée soit de toute une région petite ou grande".
L'ancienne rédactrice en chef du journal hebdomadaire Nadia Hachimi Alaoui dont, les recherches sont beaucoup portées sur Casablanca et qui est de surcroit auteure d'une thèse doctorale en sciences politiques 'Gouverner l'incertitude : les walis de Casablanca 2001 2015' dira pour sa part.
'Je vais partir de mon terrain, car je ne suis pas historienne. C'est à travers ma thèse en sciences politiques ou plus exactement en sociologie politique que j'ai rencontré l'histoire de Casablanca. C'est plus l'histoire politique en fait qui m'a intéressée à travers cette figure du wali. On peut s'y arrêter puisque l'on parle d'histoire territoriale de la spécificité de Casablanca. En effet, cette dernière, lieu de la concentration de la population, de la production, de la consommation pendant très longtemps, est bien particulière historiquement ».
Casablanca, poursuivra-t-elle, "est passée comme ça du statut au début du 20ème de petit port de commerce à celui de métropole. Ce qui est important à comprendre ce n'est pas tant Casablanca, mais ses quartiers qui sont l'équivalent du territoire. D'où l'importance de valoriser l'histoire territoriale et donc à mon sens l'histoire des quartiers. Le lien social à Casablanca s'est construit en dehors des liens classiques d'appartenance qui étaient le statut le lien statutaire ou lignager comme on pouvait avoir dans le reste du Maroc."
Pour Nadia Hachimi Alaoui, "le lien d'identification s'est construit à partir du quartier dans la métropole. Les mécanismes de régulation sociale enfin la construction de la reproduction d'une vie communautaire est extrêmement importante à Casablanca et c'est ce que j'ai mis en exergue en tout cas en revenant sur les modes de gouvernement de la ville. Le quartier en tant que petite unité de voisinage, s'est substitué au-delà de la médina et il a permis le cadre du développement et la rupture d'un pacte communautaire. Les quartiers historiques se sont densifiés et il n'y a plus de quoi créer un cadre de vie communautaire surtout en périphéries qui en 20 ans se sont transformées".
Et de conclure "Ce ne sont plus les migrations rurales qui permettent d'assurer la croissance de ces périphéries, mais plutôt les migrations de seconde vague d'urbanisation à Casablanca. L'histoire territoriale en l'occurrence pour Casablanca, ce n'est pas simplement un rapport patrimonial à l'histoire, mais c'est aussi l'importance de reconnaître des formes d'identification sociale redonner la place d'une valorisation à la manière dont les individus se définissent".
Driss Khrouz, économiste de formation, ancien directeur de la BNRM qui a consacré sa carrière au monde de la culture et des livres dira quant à lui, "je pense que c'est une question qui revient beaucoup plus à la méthode de l'enseignement de l'histoire véhiculée à la fois dans la recherche, mais aussi dans l'enseignement. L'histoire du Maroc s'est constituée dans une opposition entre l'Etat et le territoire et ça remonte à très loin. C'est tout récemment, au début des années 90 du siècle dernier, que l'on peut véritablement parler d'une réconciliation entre l'état au sens régalien et les territoires, avec un certain nombre de métamorphoses, de vagues, de fluctuations.
Dans ce domaine, la question essentielle est la sécurité derrière la stabilité. Certains ont posé la question de la nation. Il n'y a jamais eu de remise en cause de la nation marocaine depuis très longtemps, même pendant la période où l'on parlait des régions de dissidence contre des formes de prélèvement de l'impôt, d'octrois de la rente foncière et de la domination sur certain nombre de régions (montagneuses, désertiques ou à proximité) par des pouvoirs locaux en place, etc."
C'est du passé pour Khrouz. "Il n'y a pas d'uniformité du Maroc. Il y a une appartenance à des valeurs structurantes qui se fait à partir d'un mouvement de bas vers le haut et donc, des interactivités d'échange en termes de valeur et aussi en termes de reconnaissance et de respect. Prenez l'évolution de l'histoire du Maroc telle qu'elle est écrite. Il y a une mixité à travers tout ce qui structure le Maroc. Vous prenez toutes les langues parlées au Maroc on trouve l'arabe la darija vous parlez l'amazigh toutes ces variantes font le vécu du Maroc qui s'est construit à travers la mobilité, celle des idées, des populations, des exodes et migrations internes, mais également des relations de commerce".
L'histoire et la dynamique, indiquera-t-il, "se lisent et se construisent à travers la reconnaissance des différences et des fois de contradiction et donc l'écriture de l'histoire à travers un certain nombre d'éléments. On a parlé d'archéologie, de l'exode rural, de nouveaux quartiers elles se font dans le cadre de recomposition éternelle, structurelle, de reconnaissance des personnalités locales, régionales et dont le cadre de leur mobilité est l'intégration de leur mélange. On ne peut pas construire un projet de société si le territoire n'est pas une personnalité culturelle et politique".
L'historien politologue, Nabil Mouline, auteur de nombreux ouvrages notamment 'Le califat imaginaire' et producteur d'une série de podcasts sur l'histoire du Maroc qui ont rencontré un très vif succès, s'est penché sur la question. "En fait, je n'ai fait que répondre à une véritable demande d'histoire. Le facteur principal à mes yeux était la prise de conscience de soi, d'être marocain, d'appartenir à une entité plus grande que soi qui implique une recherche dans le temps et la connaissance notamment en matière d'histoire. Celle-ci constitue une sorte d'épine dorsale du commun qui dépasserait les clivages régionaux ethniques linguistiques sociaux politiques et autres. Elle se manifeste par la recherche de l'information sur l'histoire de différentes manières qu'elle soit territoriale ou nationale et globale ».
Je me suis rendu compte, dira-t-il encore, que "les modes de transmission traditionnels notamment l'écriture, les conférences les workshops, etc., étaient insuffisants pour toucher le plus grand nombre de personnes (seule une petite minorité de Marocains consacre du temps à la lecture selon le HCP moins de 0,3 % de la population consacre du temps à l'écriture). Par contre plus de 70 % puisent essentiellement leur culture à travers les nouveaux médias notamment les réseaux sociaux".
C'est pour cette raison-là, principalement que je me suis dit qu'il fallait "s'acquitter" de la taxe citoyenne et essayer de transmettre des connaissances historiques. D'où, l'idée des vidéos d'archives, de dessin et bibliographie pour présenter une période un personnage, une institution, un lieu, un événement, qui a façonné ou influencé la trajectoire du Maroc que ce soit au niveau local ou au niveau national et global. C'est succès relatif (100 000 followers) qui incite à pousser à aller encore plus loin".


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