Ah, quelle divine surprise pour la gauche ! Alors que les sondages, dans leur effrayante unanimité, donnaient l'extrême droite de Marine Le Pen et Jordan Bardella triomphante, et le bloc Ensemble d'Emmanuel Macron moribond, c'est le nouveau Front de gauche créé entre les deux tours qui rafle la mise et s'impose à tous comme le premier groupe parlementaire, au sein duquel le président de la République est obligé de choisir une personnalité pour former le futur gouvernement. Beaucoup a été écrit et dit sur les raisons de cette victoire de la gauche face à une extrême droite qui ambitionnait de s'emparer de tous les leviers du pouvoir en France. Mais deux raisons essentielles expliquent cette situation. La première est le fonctionnement à plein régime de la dynamique du Front républicain destiné à faire barrage à l'extrême droite. Pendant la campagne entre les deux tours, le sport favori de certains commentateurs était de douter de son efficacité et de son efficience. Pour eux, les digues avaient lâché et aucune force ne pouvait arrêter la marche triomphante de l'extrême droite vers les palais de la République. La seconde raison est la traduction politique de la première. La politique de désistement opérée par les partis traditionnels a fonctionné avec une redoutable efficacité. Le second tour, porté par un taux de participation historique, était un combat acharné contre les candidats du RN. La mobilisation était au rendez-vous, fructueuse et terriblement efficace, au point de démentir toutes les maisons de sondages qui annonçaient avec assurance le printemps de l'extrême droite en France. Mais cette victoire de la gauche ne fait pas non plus les affaires du président Emmanuel Macron. Alors que tout le monde s'attendait à ce que le locataire de l'Élysée puisse subir une expérience de cohabitation avec le Rassemblement National, le voilà confronté au défi de devoir affronter une gauche qui le rejette et le critique presque avec autant de violence que l'extrême droite. Emmanuel Macron a un problème qui s'appelle Jean-Luc Mélenchon. Dans l'une de ses célèbres harangues politiques, le président de la République avait refusé de manière tranchante toute possibilité que La France Insoumise puisse participer à un quelconque gouvernement. Cette prise de position fut donnée au moment où la presse faisait état de tractations secrètes entre certains partis politiques pour construire une alternative avec le Rassemblement National et sortir le pays d'un éventuel blocage. Or, La France Insoumise est le premier parti du nouveau Front de gauche, lui-même premier groupe parlementaire de la future Assemblée. Sauf à jouer les autistes politiques, Emmanuel Macron ne pourra ignorer cette nouvelle réalité et devra composer avec les nouveaux rapports de force qui se sont installés en France à l'issue de ce second tour et dont les résultats ressemblent à un séisme politique encore plus surprenant que les résultats déjà inédits du premier tour. Il est vrai que l'extrême droite de Marine Le Pen n'a obtenu ni majorité absolue ni majorité relative comme le prévoyaient les pronostics. Il n'en demeure pas moins qu'elle a obtenu un groupe massif de députés qui lui permettra de jouer un rôle déterminant au sein de la future Assemblée et de préparer les échéances à venir, notamment les municipales de 2026 et les présidentielles de 2027. Mais les résultats du second tour ont montré que les Français refusaient de donner les clés du pouvoir à un parti qui affichait sans complexe son racisme et ses discriminations ordinaires. La remise en question du droit du sol, les dangereuses suspicions lancées à l'encontre des binationaux, la création de nombreuses catégories de Français, ont été des perceptions suffisamment dangereuses pour mobiliser un électorat traditionnellement abstentionniste, en rupture et en défiance avec la classe politique, et le convaincre d'utiliser son redoutable pouvoir, celui des urnes, pour démentir les prévisions et les fantasmes. Aujourd'hui, alors qu'il apparaît difficile de former un gouvernement par manque de majorité absolue claire et identifiée, la balle est dans le camp d'Emmanuel Macron. La Constitution de la Cinquième République lui donne le pouvoir de nommer le Premier ministre, mais l'oblige aussi à trouver des solutions à des situations compliquées pour éviter ce fameux blocage tant craint par l'hypothèse, devenue réalité aujourd'hui, d'une assemblée morcelée en trois blocs qui se regardent au mieux comme des chiens de faïence, et dont la collaboration et la coopération relèveront d'un travail d'orfèvre, avec un esprit de coalition et d'alliance qui ont jusqu'à aujourd'hui fait défaut à Emmanuel Macron.