Les propositions contenues dans le rapport élaboré et publié récemment par la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement ( CSMD), pourraient transformer profondément l'économie marocaine, a estimé Roberto Cardarelli, chef de la mission du Fonds Monétaire International (FMI) au Maroc. Dans une interview à Hespress, Cardarelli a par ailleurs relevé « des signes que l'économie marocaine rebondit après la crise de l'année dernière », liée à la pandémie du Covid-19. « La poursuite du programme de réformes (y compris à travers les mesures annoncées par les autorités l'an dernier) pourrait permettre de compenser tout effet à plus long terme de la pandémie sur l'économie marocaine », a-t-il fait noter. – Que pensez-vous du nouveau modèle de développement proposé par la CSMD au Maroc? Nous avons lu le rapport, qui est un document important qui contient de nombreuses propositions qui pourraient profondément transformer l'économie marocaine au cours des prochaines décennies. Une fois que nous aurons l'occasion de discuter du rapport avec les autorités, nous serons heureux d'exprimer notre point de vue sur les recommandations spécifiques contenues dans le rapport. – Parmi les grands problèmes du Maroc, on trouve le chômage des jeunes et la faible participation des femmes au marché du travail, comment y remédier ? Nous voyons cela comme le résultat de nombreuses caractéristiques structurelles de l'économie et de la société marocaines, mais aussi de certaines distorsions qui peuvent segmenter les marchés du travail et décourager les jeunes et les femmes de participer au marché du travail formel. Il n'y a pas de solution miracle pour remédier à cette situation, qui nécessiterait un large éventail de politiques, y compris des politiques et des institutions du marché du travail plus efficaces, et des changements dans les systèmes d'imposition et de prestations sociales qui pourraient stimuler à la fois la demande et l'offre d'emplois pour les jeunes et les femmes. – Le secteur informel pèse considérablement dans le marché de travail au Maroc, comment selon vous faire face à ce fléau? Dans une certaine mesure, l'informalité au Maroc est le reflet de son niveau de développement et des caractéristiques structurelles de son économie (y compris un large secteur agricole où l'informalité est diffuse). Pour cette raison, la réduction de l'informalité prendra du temps et nécessitera des efforts continus pour diversifier l'économie, stimuler la productivité et améliorer le capital humain. Mais cela exigera aussi des efforts continus pour permettre aux entreprises et aux travailleurs qui peuvent effectivement opérer dans le secteur formel de le faire plus facilement. Les réformes du système fiscal et de protection sociale récemment annoncées par les autorités visent à inciter les travailleurs informels à cotiser à la fois aux systèmes de santé et de retraite. L'introduction du registre social (à la suite de l'extension des transferts aux travailleurs informels l'année dernière) et l'utilisation accrue de la numérisation dans l'administration publique pourraient également améliorer l'efficacité de l'application et du respect de la loi. Des réformes continues, visant à améliorer l'environnement des affaires pour les entreprises, à réduire les barrières à l'entrée et à améliorer l'efficacité des institutions du marché du travail seraient également utiles. – Sur la base des indicateurs économiques disponibles, peut-on dire que le Maroc est entré avec succès sur la voie de la reprise économique ? Oui, il y a des signes que l'économie rebondit après la crise de l'année dernière. Une forte production agricole, de meilleures perspectives de croissance parmi les principaux partenaires commerciaux et les progrès de la vaccination au Maroc ont stimulé la demande. L'incertitude demeure quant à la force de la reprise, avec de larges secteurs de l'économie marocaine (principalement ceux liés au tourisme) toujours touchés par la pandémie et des perspectives de croissance du crédit compromises par la nécessité pour les banques et les entreprises de renforcer leurs bilans après la récession. Mais la poursuite du programme de réformes (y compris à travers les mesures annoncées par les autorités l'an dernier) pourrait permettre de compenser tout effet à plus long terme de la pandémie sur l'économie marocaine. – La crise de Corona a révélé la nécessité pour les pays de dépenser davantage pour la santé et l'éducation, ce qui a été demandé par les institutions financières internationales, y compris le FMI. Peut-on considérer cela comme un changement dans la doctrine économique que vous défendez, et dont les fondements étaient le critère du déficit budgétaire ? Ces dernières années, bien avant la pandémie, le Fonds a souligné la nécessité de faire face aux conséquences économiques des inégalités croissantes dans de nombreuses économies avancées et émergentes, en adoptant des politiques qui rendent la croissance non seulement plus forte et plus résiliente, mais aussi plus inclusive. La crise du COVID-19 a rendu encore plus évidentes les implications économiques et sociales de systèmes de protections sociales (santé, éducation, aide sociale) qui sont incomplets et inefficaces. Il ne s'agit pas seulement de dépenser plus, mais plutôt de dépenser mieux et de mettre en place des systèmes de protection sociale justes, efficaces et financièrement viables. *Interview réalisée par Youssef Lakhder, Hespress AR