Que veut l'Espagne réellement ? C'est la question fondamentale que s'est posé le ministère marocain des Affaires étrangères dans une mise au point sur la crise maroco-espagnole dans laquelle il a assuré rester « attaché à ses liens d'amitié naturelle et authentique envers le peuple espagnol ». La question était donc claire et nette et attend une réponse claire et nette de la part du voisin ibérique. Selon le département de Nasser Bourita, le dénommé Brahim Ghali ne constitue pas le centre de la crise. Le Maroc, comme n'importe quel partenaire honnête et franc, s'est tout simplement senti trahi par son partenaire européen en accueillant le chef des séparatistes sous une fausse identité. Et on imagine que ça aurait été le même ressenti du côté de l'Espagne si le Maroc avait accueilli l'un des leaders séparatistes catalans. En tout cas, le communiqué du MAE fait montre d'une certaine fermeté de la part de la diplomatie marocaine à l'égard de l'attitude toujours vacillante de l'Espagne, estime Pr. Abdelhamid Benkhattab, professeur de sciences politiques à la faculté de droit Agdal-Rabat dans une analyse sur le dernier communiqué du département de Bourita. « Le gouvernement espagnol, et jusqu'à présent, n'a pas changé son attitude à l'égard de la marocanité du Sahara et à l'égard aussi de son rapport stratégique avec le Maroc. On voit très bien que l'Espagne persiste à considérer l'escalade diplomatique comme le résultat d'une attitude négative du Maroc à l'égard de l'accueil de Brahim Ghali sur son territoire« . Or, pour le Maroc, la crise est beaucoup plus profonde que cela; analyse Pr. Benkhattab qui estime que depuis l'arrivée du gouvernement de gauche de Pedro Sanchez, « l'attitude du gouvernement n'a cessé de se radicaliser et de se gauchiser en quelque sorte à l'égard du Maroc et de ses intérêts, mais aussi à l'égard de tout ce que représente le Maroc pour l'Espagne et pour l'UE« . Du coup, on est passé d'un pays associé, partenaire, voisin, ami, à un pays qui est considéré comme quasiment ennemi, et qui constitue une menace à l'égard de l'Espagne, relève le politologue. Soutenir l'intégrité territoriale d'un pays relève des principes fondamentaux de la politique étrangère du Maroc « Le Maroc, dans le communiqué du MAE, a mis les points sur les I en soulignant que la crise Maroc-Espagne n'a pas émergé à cause d'un homme, mais qu'elle était beaucoup plus profonde que cela, surtout l'attitude de l'Espagne à l'égard des intérêts stratégiques du Maroc », analyse Pr. Benkhattab. Le politologue rappelle ainsi la déclaration du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, qui n'a pas omis de signaler qu'entre l'Espagne et le Maroc, il y a des similitudes de camps, notant que le séparatisme existe aussi en Espagne et que le Maroc n'a jamais encouragé cela et a réagi clairement avec des communiqués soutenant l'intégrité territoriale de l'Espagne. « Et soutenir l'intégrité territoriale d'un pays relève des principes fondamentaux de la politique étrangère du Maroc« , souligne Pr. Benkhattab qui estime que l'Espagne s'est inscrite dans une logique de deux poids, deux mesures. « Pour le gouvernement espagnol, la Catalogne n'est pas enregistrée auprès des nations unies comme étant un territoire non autonome alors que le Sahara marocain est enregistré comme tel. Cela n'empêche que le séparatisme reste le même partout dans le monde », avance-t-il. « Le gardiennage et la sécurité des frontières ne relèvent pas de la responsabilité d'un Etat, mais de la compétence des deux Etats qui sont responsables des frontières » Il y a deux facteurs majeurs qui font que l'attitude du voisin ibérique, en matière de politique étrangère, change à chaque fois, analyse Benkhattab. Le premier facteur reste l'avènement d'un gouvernement jeune, mais aussi amnésique qui n'a aucune mémoire de ce qu'est que le Maroc et ce que sont les relations hispano-marocaines, avance-t-il, tandis que le second facteur reste celui de la radicalisation à gauche du gouvernement espagnol qui a mis dans le même panier plusieurs pays, notamment les USA qu'il a commencé à considérer comme étant une menace et un ennemi au lieu de voir en eux des associés et des partenaires stratégiques de l'Espagne. Et c'est là une attitude plus militante à gauche que pragmatique, analyse-t-il. « C'est-à-dire, que le gouvernement espagnol se veut comme un gouvernement de gauche qui défend les principes et les idéaux de l'inter-mondialisme de la gauche alors que le Maroc est vu dans cette optique là comme un pays qui se trouve dans l'autre camp« . Le Maroc a toujours revendiqué le fait qu'il ne pouvait pas jouer pour toujours le rôle du gendarme. Et même s'il le veut, il ne peut pas le faire puisque nous sommes devant une situation de complexe sécuritaire qui fait en sorte que la sécurité des uns relève de la sécurité des autres, explique Pr. Benkhattab. Et la sécurité migratoire de l'Espagne ne peut être réalisée que s'il y a un partenariat très fort et très avancé avec le Maroc. Et vice versa, soutient-il, puisque le Maroc ne peut pas à lui seul défendre et stopper l'immigration sans l'appui de l'Espagne et de l'UE. « Or voilà, la question migratoire a été lancée comme balle dans le camp marocain« , se désole le politologue. Sur ce point, Pr. Benkhattab revient sur le droit international en matière de frontières qu'il estime très clair. « Le gardiennage et la sécurité des frontières ne relèvent pas de la responsabilité d'un Etat, mais de la compétence des deux Etats qui sont responsables des frontières ». Mais à un certain moment, le gouvernement espagnol a cessé de financer la garde de ses frontières sud rappelle le politologue, estimant que le Maroc était assez vigilant et bienveillant pour faire le travail. Cela relève aussi d'un certain relâchement de la part du gouvernement espagnol, dit-il. « Au Maroc, nous sommes devenus comme un pays tampon qui accueille de plus en plus de migrants qui restent coincés dans notre pays et qui n'arrivent pas à traverser vers l'Espagne. Grâce justement à la vigilance des forces armées royales et de la police marocaine. Mais l'Espagne ne le voit pas du même œil », déplore le politologue. Il est donc temps pour le Maroc et l'Espagne de clarifier ce qu'ils veulent faire de leur partenariat et de leur avenir, conclut Pr. Benkhattab notant qu'il est clair en tout cas que l'Espagne ne peut pas continuer à jouer double jeu. Soutenir le Maroc le jour et conspirer contre lui la nuit. « On voit très bien que le gouvernement espagnol de gauche actuel a littéralement sacrifié le Maroc au profit d'un certain bénéfice gazier venant de l'Algérie. Il est donc clair qu'il y a une certaine connivence comme si le gaz était l'avenir de l'Espagne », conclut le politologue.