Jeunes mineurs, enfants, femmes et hommes ont bravé la mort en entrant par milliers, ce lundi 17 mai à l'enclave de Sebta. Selon le ministre espagnol de l'Intérieur, Fernando Grande-Marlaska, il s'agit de quelque 6.000 personnes en un seul jour, dont 1.500 qui ont d'ores et déjà été renvoyés au Maroc. Face à une certaine « levée due pied » de la partie marocaine, qui ne veut probablement plus jouer les gardes frontières, les autorités espagnoles ont été submergées, et surprises, par cette avalanche de migrants, subsahariens et marocains en grande partie, natifs de la petite ville du nord F'nideq (75.000 ha). Une scène jamais vue à Sebta. Pourquoi ce flux migratoire en ce moment ? Pourquoi le Maroc a joué le rôle d'observateur au lieu de réagir ? Comment analyser cette situation à la lumière du désaccord entre le Maroc et l'Espagne suite à l'accueil par Madrid du chef des séparatistes du polisario, Brahim Ghali, hospitalisé en Espagne suite à son infection au Covid-19? Joint par Hespress Fr, Abdelhamid Benkhattab, professeur de sciences politiques à la faculté de droit Agdal-Rabat, nous explique dans un premier temps que les relations entre le Maroc et l'Espagne se basent essentiellement sur une coopération très étroite en matière d'immigration et de sécurité. En contrepartie d'aides européenne, le Maroc jouait le rôle, en quelque sorte, du gendarme du Sud qui bloquait toute tentative d'immigration vers les enclaves de Sebta et Melilla, et plus généralement vers l'Europe. « Depuis presque une dizaine d'années, les frontières Nord du Maroc étaient devenues tout simplement hermétiques devant l'immigration clandestine. Le Maroc jouait pleinement le rôle du gendarme et l'immigration a été drastiquement contrôlée, grâce d'abord aux efforts des autorités marocaines, mais grâce aussi à la coopération sécuritaire entre Rabat et Madrid », explique Pr. Benkhattab. Mais depuis la dernière crise entre le Maroc et l'Espagne, au sujet de l'accueil du dirigeant du front séparatiste du polisario, Brahim Ghali, soutient le politologue, le Maroc ne veut plus jouer le gendarme étant donné que ce rôle de contrôle des frontières sud de l'UE et de l'Espagne se basait aussi sur une certaine confiance mutuelle entre les deux parties. « Malheureusement, et depuis l'accueil de Brahim Ghali par l'Espagne et la politique de sourde oreille adoptée face aux demandes marocaines d'explications, le Royaume du Maroc s'est retrouvé dans une situation de libération de toute contrainte en matière de coopération avec l'Espagne sur le plan de l'immigration clandestine, mais aussi avec d'autres pays européens, notamment l'Allemagne« , dit-il. Le Maroc ne veut plus jouer le rôle du garde frontières sans contrepartie Selon Pr. Benkhattab, la contrepartie essentielle dans cette coopération maroco-espagnole sur le plan de l'immigration clandestine, « n'était pas seulement l'argent de l'UE ni de l'Espagne, mais c'était surtout une certaine compréhension de la part de l'Espagne et de la part aussi de l'UE, des revendications territoriales marocaines qui restent légitimes« . Une revendication qui n'a malheureusement pas été entendue ni vue d'un bon œil par l'Espagne comme l'espérait le Maroc, relève le politologue, notant que depuis quelque temps, « on voit très bien qu'il y a une certaine incompréhension totale de la part du gouvernement espagnol de la nature des relations entre son pays et le Royaume du Maroc et sa profondeur géopolitique ». « Le nouveau gouvernement espagnol ne comprend pas la profondeur historique et la sensibilité des rapports avec le Maroc, sachant que les relations entre les deux pays ne datent pas d'hier. Le Maroc n'est pas un pays déchu de la colonisation, mais un Etat à part entière qui a une histoire très longue et souhaite qu'on le traite comme tel justement« , estime Pr. Benkhattab. Et d'ajouter que l'Espagne ne fait pas preuve de compréhension en cette matière ce qui arrange, en quelque sorte, le Maroc qui se voit libéré d'une certaine contrainte. Revoir les priorités géopolitiques Pour Pr. Abdelhamid Benkhattab, « la carte de l'immigration est une parmi d'autres qui sont entre les mains du Maroc. Mais est-ce que ces cartes sont de nature à bouleverser la donne, voire pousser le gouvernement espagnol à reconsidérer sa manière de traiter avec le Maroc ?« . Le politologue n'y croit pas trop. Pourquoi ? « Les socialistes espagnols affichent une incompréhension quasi totale de l'histoire du Maroc de la nature de l'Etat marocain, mais aussi de la nature profonde et stratégique des relations entre le Maroc et l'UE« , dit-il Pour conclure: « Le gouvernement socialiste a sacrifié ses relations stratégiques avec le Maroc au profit d'un gain ou un profit énergétique qui pourrait être dégagé dans ses relations avec l'Algérie et d'autres pays. Seulement, les relations de l'Espagne avec le Maroc restent plus profondes et plus stratégiques que le pétrole ou le gaz algériens. Et le gouvernement espagnol n'agit pas et n'a pas la possibilité d'agir et de comprendre cette profondeur ».