Le Roi Mohammed VI a présidé au Palais royal de Fès la cérémonie de présentation du rapport général de la Commission spéciale de la commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) et a reçu en audience Chakib Benmoussa, président de cette commission qui a présenté au Souverain une copie du rapport. Dans sa note de synthèse, la CSMD indique que le rapport «dresse les contours d'un nouveau modèle qui définit une ambition nationale et propose un chemin du changement crédible et réalisable», en s'appuyant sur «les acquis du Royaume et puise sa matière dans une démarche d'écoute et de consultation inédite par son ampleur». Elle précise de même que le modèle de développement proposé «n'est ni une solution miracle aux dysfonctionnements relevés, ni une compilation de politiques sectorielles et encore moins un mode d'emploi pour un programme gouvernemental ou partisan». Le rapport, ajoute la CSMD, résulte d'une interaction large avec plusieurs franges de la population sur leurs lieux de vie, notamment dans les territoires les plus reculés du pays, et «incarne une manière rénovée de concevoir le développement, une manière plus participative qui associe tous les acteurs et démontre qu'un débat franc et responsable sur l'avenir du pays est possible avec les citoyens et les acteurs du développement et qu'il peut déboucher sur des propositions constructives et adaptées aux réalités du terrain». Ambition à horizon 2035 En rappelant le potentiel de développement exceptionnel dont jouit le Royaume, la commission Benmoussa estime que « les atouts que lui confèrent sa position géographique, son histoire multiséculaire, son capital immatériel singulier ainsi que le potentiel de ses femmes et de ses hommes prédisposent le Royaume à devenir un pays pionnier dans l'action au service du bien-être de ses citoyens et de la construction d'un monde meilleur». Et partant de ces atouts, ajoute-t-elle, «le nouveau modèle de développement propose comme ambition commune celle d'un Maroc prospère, d'un Maroc des compétences, d'un Maroc inclusif et solidaire, d'un Maroc durable et d'un Maroc de l'audace». A cet égard, la CSMD fait noter que cette ambition doit être traduite en objectifs de développement ciblés, ambitieux mais tout à fait à la portée, et qui porteraient sur «le doublement du produit intérieur brut par habitant à horizon 2035, une maitrise des apprentissages de base à la fin du cycle primaire par plus de 90% des élèves, l'augmentation du nombre de médecins par habitants pour atteindre les normes de l'OMS, la réduction à 20% de la part de l'emploi informel, l'élargissement du taux de participation des femmes à 45%, contre 22% en 2019, un taux de satisfaction des citoyens envers l'administration et les services publics de plus de 80%». Diagnostic franc et lucide La commission qui rappelle que le Maroc a connu un élan de réformes dès le milieu des années 1990, relève également que «de nombreuses réformes annoncées au plus haut niveau de l'Etat (transformation économique, éducation et formation, santé et protection sociale, préservation des ressources naturelles ou régionalisation...) souffrent de lenteurs dans leur déploiement et sont contrariées par de multiples résistances au changement». «Il en découle, souligne-t-elle, que des résultats qui ne sont pas à la hauteur des espoirs suscités lors de l'annonce de ces réformes, ce qui suscite l'incompréhension des citoyens et alimente la perte progressive de leur confiance à l'égard de l'action publique». Elle cite à ce propos «quatre nœuds» identifiés comme étant à l'origine de l'essoufflement du modèle actuel, à savoir : – Le manque de cohérence verticale entre la vision de développement et les politiques publiques annoncées et la faible convergence horizontale entre ces politiques. – La lenteur de la transformation structurelle de l'économie affectée par les coûts élevés des facteurs de production et freinée par la faible ouverture sur de nouveaux acteurs innovants et compétitifs. – Les capacités limitées du secteur public à concevoir et à mettre en œuvre des services publics accessibles et de qualité dans les domaines essentiels à la vie quotidienne et au bien-être des citoyens. – Un sentiment d'insécurité judiciaire et d'imprévisibilité qui limite les initiatives, en raison d'un décalage entre certaines lois comportant des « zones grises » et les réalités sociales vécues, d'une justice qui pâtit d'un manque de confiance, d'une bureaucratie tatillonne et de recours inopérants. C'est ainsi, que les consultations des citoyens et des forces vives du pays soulignent la nécessité d'accélérer la transition vers un nouveau modèle de développement. Un changement rendu encore plus urgent par les mutations en cours, tant au niveau national qu'au niveau mondial, et par les anticipations qu'elles imposent. La crise de la Covid-19 a participé à la prise de conscience collective qu'il y a lieu d'agir sans délai, surtout qu'elle ébranle les paradigmes qui ont jusque là soutenus la mondialisation, relève encore la CSMD. Nouveau référentiel de développement Pour réaliser cette ambition et les objectifs qui y sont associés, la Commission prône une nouvelle doctrine organisationnelle : celle de la complémentarité entre un Etat fort et une Société forte. Cette doctrine, estime-t-elle, traduit le concept de «responsabilité et essor », développé par le Roi dans le discours du Trône de 2019, et est en phase avec les principes consacrés par la Constitution du Royaume et l'organisation des pouvoirs qu'elle définit. Et, détaille la commission, pour libérer les énergies, cette doctrine appelle également à un cadre de confiance et de responsabilité permettant de renforcer la sécurité juridique et morale des acteurs ainsi que la primauté de l'intérêt général, un cadre fait de «justice renforcée, lois claires, règles transparentes et applicables à tous, redevabilité des acteurs à travers l'évaluation régulière de leurs actions, et respect strict des valeurs d'éthique et de moralité». Choix stratégiques et paris d'avenir Sur la base de cette doctrine, la Commission recommande des choix stratégiques pour enclencher une nouvelle dynamique de création de valeur, qui soit structurellement inclusive de tous les citoyens et de tous les territoires et qui mobilise durablement le potentiel du pays et permet de saisir les opportunités qui lui sont offertes. Certains de ces choix sont en consolidation de l'existant ou en accélération de réformes en cours, et d'autres sont en rupture, du moins de méthode, sinon de cap, et exigeront des changements profonds de mentalité et d'approche, lit-on encore dans la note. Au niveau de l'économie, la Commission estime fondamental d'accélérer sa transformation pour la rendre dynamique, diversifiée et compétitive, créatrice de valeur ajoutée et d'emploi décents, et génératrice de ressources pour financer les besoins sociaux. Pour cela, préconise-t-elle, l'accent devra être mis davantage sur le renforcement de la capacité de résilience et d'adaptation de l'économie nationale autant aux chocs induits par la crise actuelle de la Covid-19 qu'à d'autres types de crises dont la fréquence et l'intensité pourraient s'accentuer à l'avenir. En matière de santé et d'éducation, socles de l'amélioration du capital humain, la Commission préconise, entre autres, le renforcement substantiel de l'offre des services publics sur l'ensemble des territoires, avec un accès équitable, aux côtés d'un secteur privé, partenaire responsable et éthique, outre la qualité des services, la généralisation effective de la couverture santé, la valorisation des ressources humaines aussi bien enseignants, chercheurs, médecins que personnel de santé. De même, fait observer la CSMD, «les nouveaux défis soulevés par la crise de la Covid-19 et les risques de crises sanitaires futures rendent nécessaire et urgent de renforcer la capacité de veille, de prévention et de résilience du système de santé». Par ailleurs, la commission Benmoussa soutient que «l'inclusion de tous, dans la dignité, est primordiale pour promouvoir un vivre ensemble harmonieux et apaisé, renforçant le lien social et offrant des opportunités de participation à chaque citoyen». Il est, par conséquent, nécessaire «d'accroitre de manière volontariste et délibérée l'autonomisation et la participation des femmes, de favoriser l'inclusion et l'épanouissement des jeunes, en particulier les 4,5 millions de jeunes aujourd'hui inactifs, à travers la participation civique, culturelle et sportive et l'insertion professionnelle, d'assurer un socle de protection sociale qui renforce la résilience et l'inclusion des plus vulnérables et matérialise la solidarité entre citoyens selon des principes de contributions équitables et de mobiliser la diversité culturelle comme levier d'ouverture, de dialogue et de cohésion sociale». Leviers du changement Pour accélérer le changement, la Commission préconise de renouveler l'appareil administratif dans ses compétences et ses méthodes et d'utiliser au maximum le levier du numérique au vu de son potentiel transformationnel rapide. Le nouveau modèle, met-elle en avant, a besoin, pour son déploiement, d'un appareil administratif renouvelé moderne, dévoué à l'intérêt général et qui soit au service des citoyens. La Commission recommande dans ce sens de distinguer le niveau stratégique des politiques publiques qui relève du champ politique, le niveau de régulation qui est du ressort de l'administration permanente et enfin le niveau opérationnel de mise en œuvre et de suivi qui relève d'acteurs publics ou privés, actifs dans les territoires. Et cela suppose une administration de compétence, responsabilisée et orientée vers la performance et les résultats; une administration transparente redevable de ses actes et de sa capacité à prendre des initiatives et à accompagner le changement. Enfin, l'administration doit mettre davantage l'accent sur la qualité du service au citoyen en accélérant le processus de simplification des procédures administratives et leur digitalisation complète et en permettant au citoyen d'accéder aux données publiques pour être en mesure d'évaluer régulièrement la qualité de service et d'avoir des possibilités de recours en cas de litiges ou d'abus. La Commission estime que le numérique est un outil essentiel de changement et de développement et que le Maroc peut avoir pour ambition d'être, dès 2025, une e-Nation. En effet, le numérique est susceptible de libérer les énergies, d'augmenter la confiance entre le citoyen et l'Etat, de résorber la corruption et de favoriser l'inclusion économique, sociale et territoriale de larges franges de la population, indique-t-elle. Financement du modèle La crise de la Covid-19 a eu des répercussions sur les ressources de l'Etat et sur la nature des dépenses budgétaires urgentes. Elle montre à quel point, la réussite du NMD requiert comme préalable une stratégie adéquate de financement. La Commission considère que les réformes transformationnelles du NMD vont générer de la croissance et un retour sur investissement conséquent et permettront d'assurer à terme la soutenabilité financière du modèle, toutefois, note la CSMD, l'amorçage du NMD reste tributaire de ressources additionnelles importantes. Mécanismes de mise en œuvre La mise en œuvre du nouveau modèle nécessite un pilotage en mesure de créer les conditions d'appropriation par toutes les parties prenantes et d'assurer un suivi des réalisations, fait observer la Commission, qui propose deux outils. Le premier est un Pacte National pour le Développement qui scellerait l'engagement des forces vives du pays autour d'un cap et d'un référentiel partagés par tous. Ce pacte constituerait un moment consensuel pour arrêter collectivement une nouvelle ambition pour le pays et un référentiel commun qui guide et oriente l'action des acteurs du développement dans leur pluralité. Il serait le cadre global de cohérence et de synergie entre l'ensemble des acteurs et le cadre de définition des priorités stratégiques qui encadrent l'allocation des ressources. Le second outil est un mécanisme, sous l'autorité du Roi, dédié au suivi du NMD, à l'impulsion des chantiers stratégiques et à l'appui à la conduite du changement. Il sera investi de la mission de faire connaitre le Nouveau Modèle de Développement et en assurer la diffusion la plus large, concevoir et mettre à la disposition des instances et des autorités concernées des instruments méthodologiques tendant à faciliter la mise en œuvre cohérente et efficace du NMD, veiller à la cohérence des stratégies et des réformes proposées pour la mise en œuvre du NMD, assurer le suivi de la mise en œuvre des chantiers stratégiques conduits par les autorités qui en ont la charge et en rendre compte au Roi et soutenir la conduite du changement.