Le 20 septembre à 18h GMT, la Russie célébrait le premier pas vers la fin probable de son isolement sportif. L'Agence mondiale antidopage (AMA) vient de lever les sanctions contre le pays et son système de dopage institutionnel, ayant sévi entre 2011 et 2015, malgré de vives critiques dénonçant l'indulgence d'une telle décision. Réuni aux Seychelles, le comité exécutif de l'AMA a décidé lors d'une réunion à huis clos de rétablir l'agence russe antidopage Rusada comme « conforme au Code » mondial antidopage, «,et ce seulement sous strictes conditions » a déclaré Craig Reedie, le président de l'Agence. Ces conditions incluent l'accès pour l'AMA à la base de données électronique du laboratoire de la Rusada à Moscou d'ici au 31 décembre, sous peine de nouvelles sanctions. Le comité exécutif a également requis d'éventuelles « réanalyses » d'échantillons avant le 30 juin 2019, ainsi qu'un audit de la Rusada. Moscou a immédiatement salué l'annonce, fruit d'un « énorme travail », alors que l'avocat de l'ancien directeur de laboratoire ayant révélé le système de dopage russe, Grigory Rodchenkov, a qualifié la décision de « plus grande trahison de l'histoire olympique contre les athlètes honnêtes ». Une décision qui ne fait pas l'unanimité Mais même au sein de l'Agence mondiale, cette décision ne fait pas l'unanimité. Pour la vice-présidente de l'AMA, la Norvégienne Linda Helleland, qui a voté contre cette décision, la levée de la suspension jette une ombre sur la crédibilité du mouvement antidopage. « C'était une erreur de réintégrer Rusada avant qu'ils n'aient rempli toutes les conditions de la feuille de route de l'AMA », a regretté la ministre norvégienne, candidate à la présidence de l'AMA en 2019. Le Centre canadien pour l'éthique dans le sport (CCES), en charge de la lutte antidopage au Canada, a réagi à la levée des sanctions contre la Russie en réclamant une réforme de l'AMA. « Il est temps pour tous ceux et celles qui croient aux valeurs du sport et qui les placent avant les intérêts politiques et économiques d'exiger publiquement une réforme du sport international. Cela commence par une réforme de l'AMA. Par l'élimination du conflit d'intérêts inhérent à l'AMA. Par le retrait du CIO de l'AMA afin que celle-ci puisse réglementer le dopage de façon indépendante. Et, surtout, par la mobilisation et l'écoute des athlètes que l'AMA sert. Le CCES luttera pour ces réformes au nom de tous les athlètes canadiens » vient d'indiquer le CCES dans un communiqué. Pour sa part, le Comité international olympique (CIO), dont Craig Reedie est membre, a annoncé avoir « pris acte » de la décision. Frappée par les sanctions en novembre 2015, Rusada a déjà repris ses contrôles depuis 2017, sous tutelle internationale. Il restait deux conditions fixées par l'AMA pour un retour à la normale : d'une part, que les autorités russes acceptent publiquement les conclusions du rapport McLaren sur l'existence d'un système institutionnel de dopage, et d'autre part, que le gouvernement russe donne accès à l'AMA au laboratoire antidopage de Moscou, au cœur de la triche pendant des années. La Russie a d'abord farouchement nié tout problème, avant d'avancer pas à pas vers un compromis, dans des courriers à l'AMA. Ainsi, dans une lettre mi-mai, le ministre des Sports Pavel Kolobkov reconnaît que des « manipulations inacceptables du système antidopage » ont existé. Mais quelques jours plus tard, il lâche dans une interview que « nous sommes en désaccord avec le rapport McLaren ». Décidée à tourner la page et sous la pression des fédérations internationales, la direction de l'AMA a aussi cherché le compromis. Dans un courrier du 22 juin, elle encourage Moscou à des aveux édulcorés sur « l'implication de personnes au sein du ministère des Sports et de ses entités ». Réponse du ministre Kolobkov dans une autre missive du 13 septembre : des aveux du bout de la plume, sans mention qu'un système d'Etat ait existé, et la promesse de remettre une copie de la banque de données du laboratoire de Moscou, mais une fois que Rusada sera réintégrée. Le bras de fer semble avoir tourné à l'avantage de la Russie, qui a remporté aux Seychelles une bataille importante en vue de voir flotter à nouveau son drapeau lors des compétitions internationales d'athlétisme ou aux Jeux olympiques. L'IAAF ne se sent pas concerné L'enjeu de la levée des sanctions est crucial. Au-delà de l'image de la Russie dans le sport, elle peut entraîner dans les prochains mois d'autres décisions, en premier lieu au sein de la fédération internationale d'athlétisme (IAAF), qui l'a bannie depuis novembre 2015. L'IAAF a tenu à préciser qu'elle avait ses propres critères pour réintégrer la Russie dans son giron, ne se sentant pas tenue par la décision de l'Agence mondiale antidopage de lever la suspension de l'Agence russe (Rusada) antidopage, jeudi. « L'IAAF a ses propres critères de réintégration de la Fédération russe d'athlétisme (Rusaf) », a indiqué l'instance sportive dans un communiqué jeudi soir. La taskforce chargée d'évaluer les progrès réalisés par la Russie va étudier « dans les prochaines semaines » la décision prise par l'AMA et les conditions avancées par l'AMA, et présentera son rapport « début décembre au Conseil de l'IAAF », a ajouté la Fédération. L'IAAF a fixé comme conditions pour réintégrer la Russie dans son giron que les autorités russes reconnaissent les conclusions des rapports McLaren et Oswald, à savoir que des représentants du ministère des Sports russes étaient impliqués dans le système pour couvrir des cas de dopage, et l'accès à la base de données électronique du laboratoire de Moscou. En août, 72 athlètes russes ont été autorisés par l'IAAF à participer sous drapeau neutre aux derniers Championnats d'Europe à Berlin, alors que la Fédération internationale avait confirmé la suspension de la Russie dix jours auparavant.