C'est dans contexte de flou total que l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), le Parlement tunisien, organise ce vendredi une session plénière consacrée au vote de confiance du gouvernement de Habib Jemli pour tenter de sortir le pays de la crise politique qu'il vit depuis des semaines. Si la Tunisie peine à former un nouveau gouvernement depuis l'élection de Kais Saied, c'est que tout le paysage politique risque de changer avec une prédominance du mouvement d'inspiration islamiste Ennahda qui semble bien parti pour prendre le contrôle sur tout le champ politique. Les partis politiques représentés au Parlement n'ont pas vu d'un bon œil le choix porté vers Habib Jemli pour diriger le nouvel exécutif vu son passif proche d'Ennahda. Et les choses se sont encore plus compliquées lorsque le Parlement s'est vu verrouiller par ce même parti qui a placé sa tête pensante, Rached Ghannouchi, à la présidence de l'ARP. Vendredi, ce vote de confiance au gouvernement de technocrates choisi par Habib Jemli doit passer son premier test, décisif, devant un Parlement divisé, et des dissensions au sein mêmes des bloc parlementaires. Jeudi tard le soir, les réunions d'urgences s'organisaient à la dernière minute, et certains partis attendaient les sorties médiatiques des autres pour donner leur réponse sur le vote de confiance. Mais même avec toutes les informations communiquées après minuit, le suspens restait complet en ce début de séance. Qalb Tounes dit 'non' La décision du parti arrivé en seconde place des élections législatives en Tunisie, Qalb Tounes, était presque déjà connue jeudi après-midi après les déclarations de son leader Nabil Karoui après son entrevue avec le chef du gouvernement désigné. Selon Nabil Karoui qui n'a jamais dit non à une alliance avec Ennahda, le parti islamiste voudrait s'accaparer tout le pouvoir en Tunisie. Affirmant que le mouvement Ennahda n'avait que 25% des sièges au parlement, ce parti cherchait à prendre non seulement la présidence du gouvernement mais aussi des ministères, en plus de la présidence de l'ARP emmenée par Ghannouchi. Le candidat ayant échoué à la présidentielle face à Kais Saied, a ajouté devant la presse que son parti, Qalb Tounes, n'allait pas permettre à Ennahda de rafler la mise, assurant que c'était « inconcevable ». La réponse du parti du magnat des médias ne s'est pas faite attendre puisqu'il a annoncé plus tard qu'il n'allait pas accorder sa confiance au gouvernement Jemli pour plusieurs raisons. Parmi celles évoquées par le conseil national du parti Qalb Tounes après sa réunion consacrée à discuter des orientations du vote de confiance, la formation politique estime que la plupart des ministres proposés ne sont pas indépendants par rapport aux partis politiques, contrairement à ce qu'a assuré Habib Jemli. Le parti ajoute par ailleurs que ce gouvernement a attribué des ministères régaliens à des personnes qui ne sont pas indépendantes et que Habib Jemli a failli à sa mission de présenter un programme clair pour son nouvel exécutif. Enfin, Qalb Tounes a jugé que le nombre des ministres et de secrétaires d'Etat était trop important, voire exagéré, chose qui contredit les mesures de pression sur les dépenses de l'Etat. Ennahda seul contre tous Qalb Tounes n'a pas été le seul parti à dire « non » au gouvernement Jemli jeudi soir, puisque le Bloc national réformiste, le Bloc démocratique et le Parti destourien libre et Tahya Tounes ont également décidé de ne pas donner accorder la confiance au gouvernement du chef du gouvernement désigné. Seul parti dissonant, Ennahda, qui a attendu la sortie médiatique du parti arrivé deuxième au Parlement pour tenir sa réunion et décider de la marche à suivre pour ce vote de confiance. Ainsi, le conseil de la Choura d'Ennahdha a tenu une session extraordinaire qui s'est soldée par l'annonce à travers le président du conseil de la Choura d'Ennahdha, Abdelkarim Harouni que le conseil a décidé après de longues concertations, d'accorder la confiance au gouvernement de Habib Jemli, malgré des réserves sur des aspects de cette équipe gouvernementale. Abdelkarim Harouni a invité par ailleurs, tous les députés à faire valoir leur esprit patriotique pour voter la confiance de ce gouvernement. Mais il semble qu'il n'y ait qu'Ennahda qui soit dans cet esprit-là. Dans un entretien accordé aux journalistes au Parlement dans l'après-midi, le chef du parti Ennahda, Rached Ghannouchi avait déclaré qu'il souhaitait voir le gouvernent Jemli entrer en fonctions pour la crise politique se termine. Selon lui, un gouvernement de gestion des affaires courantes et préjudiciable à la Tunisie et donne une mauvaise image du pays à l'international. En outre, il déclaré qu'il espérait que le gouvernement Habib Jemli obtienne la confiance des députés mais que le cas échéant, il n'excluait pas la possibilité de passer au choix d'une autre personnalité, par le président de la République, pour former le gouvernement. La corruption ternit l'image du gouvernement Jemli La composition du gouvernement Jemli pose énormément de problèmes en Tunisie. La manière de faire du chef du gouvernement désigné n'a pas été du goût des partis politiques, même ceux qui ont été appelés aux concertations avant que Habib Jemli ne bifurque vers son plan B. Les formations politiques ont en effet dénoncé le manque de transparence dans la démarche du chef du gouvernement désigné qui a choisi au préalable les ministères qui seront occupés par des « indépendants » et n'a pas voulu discuter des noms de ceux qui allaient composer le prochain exécutif. D'ailleurs, une fois que les partis se sont retirés des négociations à l'unanimité la veille de l'annonce, sauf pour Ennahda -encore une fois-, Habib Jemli a pris les devants pour composer un gouvernement de technocrates uniquement. Suite à l'annonce de ce gouvernement, les critiques s'étaient multipliées chez tous les courants politiques affirmant que ces de personnalités choisies n'ont rien d'indépendantes. Habib Jemli pris de court par les virulentes critiques avait assuré qu'il allait opérer un remaniement ministériel une fois la confiance accordée au gouvernement. Mais, le chef du gouvernement a accusé un nouveau revers lorsque l'Instance nationale de lutte contre la corruption (INLUCC) a lui envoyé la veille du vote de confiance au Parlement une correspondance officielle listant tous les ministres et Secrétaires de l'Etat du gouvernement proposé, qui sont soupçonnés de corruption et dont les dossiers déposés auprès de l'Instance sont toujours en cours d'enquête, selon le responsable des médias à l'INLUCC, Wael Ounifi. L'Instance a par ailleurs fait part de ses regrets de ne pas avoir vu le chef du gouvernement lui-même, lui envoyer une requête pour s'enquérir de ces informations avant de composer son exécutif.