Les périodes de fin d'année riment souvent avec ambiance festive, et qui dit festivités, dit alcool. Bien que cela soit interdit par la loi marocaine, la vente et la consommation d'alcool connaissent une explosion durant cette période. 2019 touche à sa fin, et le champagne coule à flots au Maroc, malgré la législation. En effet, pour l'année en cours, les chiffres de la Douane indiquent que plus de 103 millions de litres d'alcool, toutes sortes confondues, ont été écoulés. Si l'on se réfère aux performances de la Société des Boissons du Maroc (SBM) au troisième trimestre 2019 (T3 2019), l'on s'aperçoit de la réelle étendue de la consommation d'alcool au Maroc. Ainsi, à fin septembre dernier, SBM indique que 134.919.400 litres ont été écoulés sur le marché national, dont 91 % de bières et de vins. La compagnie a d'ailleurs indiqué que le segment des bières premium a enregistré une hausse de 1,4 % par rapport aux réalisations de l'année précédente sur le marché national, et de 68 % pour l'export à destination de l'Espagne. La bière et le vin ont ainsi fait 81 % et 6 % d'affaires de la compagnie à fin septembre dernier. Un business pas si halal que ça, mais qui paie bien Une fois de plus, l'on se retrouve face à une contradiction de la société, où l'on ferme l'œil et l'on fait mine de rien. Il est stipulé dans la constitution du Maroc que l'on est un pays dont la religion est l'Islam, ce qui implique directement que l'alcool est haram (prohibé). Cela est d'ailleurs stipulé dans l'article 484 du Dahir (9 ramadan 1331) formant Code des obligations et des contrats, qui indique « est nulle entre musulmans la vente de choses déclarées impures par la loi religieuse, sauf les objets dont elle a autorisé le commerce, tel que les engrais minéraux pour les besoins de l'agriculture ». De plus, l'article 28 de l'arrêté n° 3-177-66 du 17 juillet 1967, concernant la réglementation du commerce des boissons alcooliques ou alcoolisées, stipule qu'« il est interdit à tout exploitant d'un établissement soumis à licence de vendre ou d'offrir gratuitement des boissons alcooliques ou alcoolisées à des Marocains musulmans ». Les dépassements à ce niveau sont punissables de peines d'emprisonnement de « 1 à 6 mois et d'une amende de 300 à 1.500 dirhams ou de l'une de ces deux peines seulement ». Tout cela est bien sur papier, mais il suffit de se rendre au niveau des grandes surfaces, super marchés et épiceries pour se rendre compte que la clientèle est constituée principalement de Marocains. D'ailleurs, les grandes surfaces proposent en cette période de festivités des offres « spéciales » dans leurs caves, histoire d'attirer du monde pour semer la joie et la bonne humeur parmi leurs visiteurs. Loin de là, si l'on se rend du côté des différents clubs, pubs, bars et autres établissements servant de l'alcool, l'on peut constater la présence de personnes ayant « abusées » de la boisson, mais qui continuent d'en recevoir, du moment qu'ils paient. Sur ce point, la loi indique que « les débitants de boissons qui donnent à boire à des gens manifestement ivres ou les reçoivent dans leurs établissements sont punis d'une amende de 150 à 500 dirhams ». Malgré ce paradoxe, il faut bien comprendre que le marché de l'alcool est très « juteux » en termes de recettes. En effet, l'Etat s'attend à ce que la taxe sur les vins et alcools puisse générer 678 millions de dirhams pour les quelques jours qui restent de l'année 2019. Pour ce qui est des bières et des débits de boisson, l'on estime les recettes à 824 MDH et 12 MDH pour ladite période dans le cadre du PLF. À fin octobre dernier, l'Etat a pu collecter 97 % de sa recette prévisionnelle, estimée à 200 MDH, soit 194 MDH sur les ventes d'alcool. Toutefois, il est à noter que la taxe aux débits profite surtout aux grandes surfaces, épiceries et super marchés, mais se veut pénalisante pour les établissements qui servent de l'alcool, notamment les restaurants et les établissements touristiques. Ceux-ci sont sujets à des taux bien plus importants que les autres points de distributions vu la nature de leurs activités. Mais cela est quelque part « justifié » par le fait que ces établissements peuvent profiter de licences permanentes, dans la mesure où l'article 12, concernant les licences spéciales et temporaires, indique que « Des licences permanentes peuvent être attribuées aux personnes morales dont l'activité présente un intérêt touristique pour leur permettre d'ouvrir des débits de boissons. Elles doivent toutefois en confier l'exploitation à des personnes physiques qui doivent également obtenir une licence. Lorsqu'il s'agit d'une société de personnes ou à responsabilité limitée, la licence ne peut être accordée qu'a un associé détenant une part au moins égale au tiers du capital social. La licence devient caduque si cette part vient à être inférieure au minimum requis. En cas de cession de parts, le titulaire de la licence devra adresser au directeur général de la sûreté nationale une copie certifiée conforme de l'acte de cession où figurera le nombre de parts qu'il définit ». Prohibé, oui, mais... Sur le plan religieux, la consommation d'alcool est bien prohibée, du fait de ses effets sur les fonctions cognitives, mais il reste bien un produit de consommation. Sur ce point, Hespress FR s'est entretenu avec Bouazza Kherrati, président de la Fédération Marocaine des Droits des Consommateurs (FMDC), qui nous a indiqué que « oui, consommait de l'alcool est prohibé par l'Islam, nul ne peut le nier, mais le vrai danger réside dans sa surconsommation, qui pourrait résulter par la suite dans des accidents de la circulation par exemple. D'ailleurs, les éléments de la DGSN s'étaient équipés en alcootests afin de lutter contre la conduite en état d'ivresse ». Loin de là, le Maroc est un pays avec un gouvernement islamique, notamment le Parti Justice et Développement (PJD), qui aurait très bien pu interdire la vente et la distribution de l'alcool de façon générale. Toutefois, le parti au pouvoir s'est bien montré contre une hausse des taxes sur l'alcool en novembre dernier, expliquant cette position par le fait qu'elle « encouragerait les trafiquants et la contrebande d'alcool, ce qui constituerait un grave danger pour la santé des citoyens ». Par ailleurs, le président de la FMDC nous a expliqué que s'il devait y'avoir un changement, ça serait surtout au niveau des prix, dans la mesure où l'alcool au Maroc, notamment le vin et la bière, est vendu bien plus cher qu'à l'étranger. Mais le débat de la consommation déchire, à un moment où les droits individuels sont sous les feux des projecteurs, entre ceux qui disent que chacun est libre de faire ce qu'il veut, alors que d'autres avancent l'argument religieux. La question serait donc de trouver un juste équilibre, de façon à ce que chacun mette de l'eau dans son vin.