Le paiement mobile est un chantier important pour le royaume, dans le cadre de sa stratégie d'inclusion financière. Celui-ci vise à permettre la démocratisation des services bancaires, mais reste toutefois sujet à certains obstacles pour son adoption, notamment du côté des marchands. 11 agréments ont été accordés aux opérateurs nationaux pour la mise en place d'un écosystème propice au lancement du paiement mobile. Il s'agit notamment de Maroc Telecom Cash, Orange Money, Wana Money, mais aussi des acteurs financiers, en particulier la Banque Populaire, BMCE, CIH BanK, Crédit Agricole du Maroc, Wafacash, Société Générale, ainsi que Maimouna services financiers. Il y'a exactement une année, Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib (BAM), avait mis en garde: »Nous n'allons pas attendre que tout le monde soit au point pour commencer les opérations ». Qu'en est-il maintenant ? Auparavant, le problème se posait au niveau de la mise en place de l'infrastructure Switch, permettant de réaliser les opérations de paiement via mobile. Aujourd'hui, le problème se pose toujours, dans la mesure où tout a été mis en place pour la réussite de ce chantier, en ce sens que la réglementation et l'équipement des opérateurs concernés en terminaux de M-Payment ont été achvés, mais« l'interopérabilité au niveau opérationnel est encore loin compte », selon le Wali de la Banque Centrale. L'objectif derrière la mise en place des solutions de paiement mobile a surtout pour objectif de permettre l'accès des populations recluses aux services bancaires. L'on parle à ce niveau de plus de 14 millions de personnes qui restent sans accès aux différents services bancaires, d'autant plus que 99,8 % des ménages marocains sont équipés en téléphonie mobile, en milieu aussi bien urbain que rural (selon l'Agence Nationale pour la Réglementation des Télécommunications). En 2018, le Maroc comptait officiellement 22,5 millions d'individus dotés de smartphones, dont 94,7 % utilisant différentes applications mobiles. Donc, la technologie et le savoir sont là, mais pourquoi ne pas l'étendre à tout le monde, afin de lutter contre les disparités financières. Là est le challenge qui se pose. L'ANRT indique par ailleurs que le commerce électronique aurait progressé de 21,3 % entre 2016 et 2018, ce qui démontre un engouement à l'utilisation des nouvelles technologies par les Marocains, pour ce qui est de la réalisation de leurs transactions financières. D'ailleurs, à fin mars dernier, le royaume comptait 44 millions d'abonnés mobiles, faisant de lui un leader sur le continent africain, en termes de pénétration du marché mobile. Révolutionnaire, oui, mais pas sans obstacles Cela dit, les Marocains restent quelque part méfiants concernant la réalisation de ces transactions. Selon les données du Mobile Report 2018, les consommateurs nationaux sont plus enclins à payer à la livraison, plutôt que de payer en ligne ou via mobile. Si cela démontre une chose, c'est que les Marocains préfèrent encore interagir avec l'argent physique. Le chantier du développement du mobile payment a été initié en novembre 2018 par BAM et l'ANRT, mais ne décolle toujours pas comme on le souhaiterait. En effet, ce ne sont qu'environ 360.000 portefeuilles électroniques (M-Wallet) qui existent à ce jour. Un chiffre qui reste assez bas par rapport aux attentes que l'on avait fixées au lancement de ce chantier. En effet, l'on tablait sur un objectif de 6 millions de clients en 2023, chose qui semble peu réalisable actuellement. Même avec des incitations telles que la gratuité des opérations de moins de 100 dirhams (entre consommateurs et commerçants), l'on n'arrive toujours pas à séduire les acteurs économiques du royaume à souscrire à ce service. L'on ne parle même pas de sécurité à ce point, puisque ce chantier a été confié à High-tech Payment Systems (HPS), afin de garantir la clarté et la transparence des transactions effectuées. Mais les Marocains continuent de préférer le cash. De plus, l'autre problème réside dans le fait que certaines régions du royaume ne disposent toujours pas de la couverture réseau nécessaire au fonctionnement de ce genre de services, impliquant de façon impérative un investissement à ce niveau. Mais l'un des principaux problèmes qui font que le déploiement du paiement mobile ne se développe pas se manifeste surtout du côté des commerçants. Les marchands réticents face au fisc L'informel a bien sa place dans le tissu socio-économique du Maroc. Nul ne peut nier cette réalité, mais celle-ci freine bien la mise en place de nouvelles solutions de paiement. En effet, bon nombre de commerçants ne disposent pas de TPE et se disent, encore moins, intéressés par l'adoption de nouvelles solutions de paiement. Cela est dû au fait qu'ils seront sujets à une traçabilité complète de leurs transactions, ce qui n'est pas forcément avantageux pour eux, dans la mesure où les pratiques frauduleuses sont monnaie courante dans le milieu. Dans ce sens, Jouahri a indiqué que « l'incitation sur l'IS, présentée par le ministère de l'Economie, des Finances et de la Réforme de l'Administration (MEFRA), n'est pas suffisante pour les commerçants », rajoutant que « BAM est en train de discuter avec le ministre (Mohamed Benchaâboun) ce qui peut se faire à ce niveau, afin de rassurer les acteurs du marché ». Les marchands de l'informel ont peur de la traçabilité, car ils risquent de rendre des comptes « lourds » au fisc, ce qui est peu avantageux pour un secteur qui emploie bon nombre de personnes, et pourrait bien impacter la compétitivité et résulter dans une augmentation des prix, qui serait logiquement partagée entre les commerçants et les consommateurs. Par ailleurs, il est peu intéressant pour certains commerçants d'adopter le paiement mobile, dans la mesure où même si les transactions de moins de 100 dirhams sont gratuites, ceux-ci n'ont aucun gain à payer 50 dirhams sur une opération de 150 dirhams par exemple. Ainsi, le Wali de BAM indique que « le ministre est très sensible et réceptif à cette situation, et l'on devrait s'attendre à un dénouement rapide en ce sens ».