Vendredi, le Conseil de sécurité des Nations unies a décidé de proroger le mandat de la Minurso jusqu'au 31 octobre 2022. Sur 15 pays, 13 ont voté pour et deux ont préféré s'abstenir : la Tunisie et la Russie. Tajeddine Houssaini, professeur des relations internationales à l'Université Mohammed V de Rabat, décrypte pour H24 Info les enjeux de ce vote. H24 Info : Que signifie la prorogation de la mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara d'une année supplémentaire ? Tajeddine Houssaini: Le fait que le Conseil de sécurité décide encore une fois de proroger la présence de la Minurso pour une année supplémentaire veut dire que les accords militaires signés avec les Nations unies par les deux parties sont toujours valables et aussi que la Minurso doit continuer sa mission pour observer le respect du cessez-le-feu par les parties. Cela veut dire autrement que toutes les actions entreprises par le Polisario sur ordre de l'Algérie sur le terrain vont être considérées par le Conseil de sécurité comme illégales, contraires aux notions du droit international et comme une violation de leurs accords militaires signés depuis 2001. Aujourd'hui, la Minurso ne peut pas faire exercer un rôle par rapport au cessez-le-feu, mais toutes les prétentions algériennes dans ce sens ont été considérées comme insignifiantes. Le Conseil de sécurité n'a même pas discuté de tout cela. C'était soulevé uniquement dans les coulisses. Maintenant, est-ce que sur le terrain, ces choses-là vont être effectivement respectées, ça reste une interrogation. Seul monsieur Staffan de Mistura qui a l'obligation de suivre le dossier, avec le chef de la mission de la Minurso, le Russe Alexander Ivanko, pourra y répondre. Sur 15 pays, deux se sont abstenus de voter, à savoir la Russie et la Tunisie. L'abstention russe était-elle prévisible? Entre les deux abstentions, il y a une différence très importante. Et ce ne sont pas des positions contre le Maroc. Si la Russie voulait répondre à ce que les Algériens désirent, elle aurait dû non seulement boycotter la résolution, mais voter contre et utiliser en plus, son droit de véto. Chose qui n'a pas été faite. A ce moment-là, sa position ne vient que pour répéter un exercice habituel dans la diplomatie russe vis-à-vis non seulement du Maroc, mais des Etats-Unis et ce pour plusieurs raisons. Les Etats-Unis sont notamment considérés comme le « pen-holder », puisque c'est eux qui rédigent les textes des résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU sur le Sahara. Dans le cadre de ces oppositions traditionnelles, entre la Russie et les Etats-Unis, il y a une forme de contestation par principe de tout acte élaboré par les Etats-Unis pour qu'il soit présenté devant le Conseil de sécurité et être voté. Est-ce que cette abstention risque d'impacter les relations maroco-russes ? Je pense que les relations entre le Maroc et la Russie resteront fraternelles et basées sur le respect mutuel et sur l'application de leur partenariat stratégique qui a été renforcé pendant la visite du roi Mohammed VI en 2016 à Moscou. Je ne crois pas que les rumeurs propagées par les médias algériens vont changer les choses. Au contraire, le ministère russe des Affaires étrangères a bien clarifié que tout ce qui a été rapporté par Echorouk, un journal considéré comme porte-parole de l'appareil militaire algérien, sont des mensonges qui n'ont aucune base. Ce genre de comportement a même été condamné par la diplomatie russe. L'abstention de la Tunisie est bien sûr celle qui a le plus surpris. Comment expliquer cette position inhabituelle de la part de ce pays du Maghreb? Pour la Tunisie, c'est tout à fait autre chose. Elle se trouve actuellement dans une position embarrassante parce qu'elle est membre non-permanent du Conseil de sécurité. C'est une mission passagère. Mais le pays a une frontière directe avec l'Algérie. Je pense que l'appareil militaire algérien peut aller jusqu'à menacer les parties voisines qui prennent une position contre leurs intérêts. C'est déjà arrivé à l'époque de Houari Boumédiène. Moktar Ould Daddah a été menacé à maintes reprises par les Algériens. Maintenant, la seule explication possible derrière cette position tunisienne est celle d'ailleurs dite par le représentant de la présidence tunisienne, c'est la neutralité. Justement, qu'est-ce qu'il faut comprendre par « neutralité positive » ? Eux parlent effectivement de neutralité positive, mais je considère que leur position se rapproche plus d'une neutralité passive ou négative. La Tunisie est en train de traverser actuellement une période de transition démocratique. C'est monsieur Kaïs Saïed tout seul qui a pris cette décision en son âme et concience. Au lieu d'être considéré comme allié du Maroc s'il vote cette résolution, ou de l'Algérie s'il vote contre, il a préféré s'abstenir. Cette position a été mal reçue par les instances arabes et marocaines, parce que le fait de voter cette résolution n'est en réalité pas une position pro-marocaine. Loin de là. On peut citer l'exemple du Kenya qui a voté en faveur de la résolution, alors qu'il fait partie des pays qui bloquaient le vote depuis mercredi dernier. On peut dire que la position de la Tunisie a été prise de façon arbitraire, sans discussion avec les instances démocratiques du pays qui peuvent vraiment participer au processus de prise de décision. C'est donc une décision passagère et conjoncturelle qui ne pourra pas avoir d'impact négatif sur les relations entre le Maroc et la Tunisie.