Si les indépendantistes ont obtenu la majorité absolue des sièges au parlement catalan, huit d'entre eux – en prison ou en exil – ne pourront pas siéger. Les partis qui composaient l'ancien gouvernement ne parviennent pas à se mettre d'accord, chacun revendiquant la présidence. Deux semaines après les élections régionales en Catalogne, l'impasse politique semble totale. Si le parti de droite Ciudadanos, unioniste, est arrivé en tête au scrutin du 21 décembre et détient le plus grand nombre de députés, il n'a pas la possibilité de former une coalition. Aucune alliance avec des partis indépendantistes n'est envisageable, et, même si Inés Arrimadas, tête de liste de Ciudadanos, parvenait à convaincre tous les députés anti-indépendantistes, elle ne disposerait pas de la majorité au parlement catalan pour gouverner. Pourtant, le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a déclaré qu'il était prêt à discuter qu'avec elle... Du côté indépendantiste aussi, l'imbroglio semble inextricable. Les trois partis indépendantistes détiennent la majorité absolue au parlement, avec 70 sièges sur 135. C'est la liste dirigée par Carles Puigdemont, Juntsper Catalunya, qui est arrivée en tête. L'ancien président de la Generalitat est toujours en Belgique alors qu'il avait annoncé qu'en cas de victoire, il rentrerait en Espagne. Il revendique pourtant la présidence, suivant en cela le slogan de la campagne: «Puigdemont, votre président.» Chez ses proches, l'euphorie de la victoire a cédé la place au doute. Car les dernières décisions de justice montrent que les juges restent inflexibles et qu'un retour en Espagne se traduirait par un emprisonnement immédiat. Vendredi, les trois juges du Tribunal suprême de justice espagnol ont refusé la remise en liberté de Oriol Junqueras, tête de liste d'ERC pour les régionales du 21 décembre et ancien vice-président de la Generalitat. Il est poursuivi, comme l'ensemble des membres de l'ex-gouvernement catalan et plusieurs députés, pour sédition et rébellion. Dans leur sentence, les trois juges estiment qu'«aucune donnée ne permet de déduire que le plaignant a l'intention d'abandonner la voie qu'il a suivie jusqu'à maintenant» et donc la déclaration unilatérale d'indépendance qui a provoqué son emprisonnement. Les juges expliquent qu'il ne s'agit pas de délits politiques, car la liberté d'expression est garantie par la constitution et chacun a le droit de défendre ses idées, fut-ce l'indépendance: «Il ne s'agit pas de l'empêcher de défendre son projet politique mais d'éviter qu'il ne le fasse de la même façon», façon qui a donné lieu à la commission de faits qui constituent des délits, selon le Tribunal suprême. Ils estiment aussi que Oriol Junqueras est soupçonné d'avoir détourné des fonds publics pour organiser le référendum illégal du 1er octobre. Les faits reprochés sont donc extrêmement graves et peuvent lui valoir plusieurs dizaines d'années de prison. Cette sentence ne risque pas d'accélérer le retour de Puigdemont en Espagne. Désaccords stratégiques La situation est d'autant plus complexe que ERC et Juntsper Catalunya, les partis d'Oriol Junqueras et de Carles Puigdemont, ne sont pas du tout d'accord sur la stratégie à adopter désormais. ERC rêvait de gagner les élections du 21 décembre et ainsi de pouvoir revendiquer la présidence de la Generalitat. Le discours d'Oriol Junqueras s'était même adouci parlant d'un calendrier vers l'indépendance plus «réaliste», et d'un nécessaire dialogue avec Madrid. Mais devancé par Juntsper Catalunya, ERC est en position délicate face à Carles Puigdemont. Celui-ci revendique la présidence de la Generalitat car la désignation d'un autre président serait une manière d'avaliser l'application de l'article 155 de la constitution espagnole qui a permis à Madrid de reprendre la direction de la région. Huit des 70 députés élus le 21 décembre sont, soit en prison, soit en exil. Ils ne pourront pas voter et les indépendantistes risquent ainsi de se retrouver en minorité au parlement catalan. Il pourrait laisser la place aux suivants, mais dans ce cas, ni Carles Puigdemont, ni Oriol Junqueras ne pourrait briguer la présidence de la Generalitat. La séance du 17 janvier du parlement catalan convoquée par Mariano Rajoy risque donc d'être agitée. Certains évoquent un boycott de la session. D'autres estiment que les élus en exil ou en prison pourraient participer par vidéoconférence. Mais il faudrait pour cela changer le règlement intérieur du parlement. L'entourage de Carles Puigdemont étudie la possibilité d'une investiture à distance. À moins qu'un nouveau scrutin régional ne mette tout le monde d'accord.