Considéré comme une date de grande importance pour les Amazighs d'Afrique du Nord, Yennayer, ou le jour de l'an amazigh est célébré entre le 12 et 13 janvier de chaque année. Cette célébration est aussi l'occasion de réitérer les revendications des militants relatives à l'institutionnalisation de la langue et de la culture amazighes. Cette année encore les voix s'élèvent pour réclamer de faire de cette date symbolique un jour férié. Depuis les élections du 8 septembre 2021, la question de l'amazighité est fortement présente dans l'agenda politique national : déclarations officielles, programme gouvernemental…. Ces évènements augurent-t-ils une nouvelle tournure dans le développement de l'amazighité au Maroc ? Le point avec deux figures du mouvement culturel amazighe. Récap' politique : Le RNI, parti à la tête de la coalition gouvernementale, a posé l'officialisation du Tamazight parmi les priorités de son programme gouvernemental. Dans ce dernier est prévue la création du "Fonds d'Accompagnement de l'Officialisation de Tamazight", visant la pleine intégration de cette langue dans l'action publique, la culture, les domaines de l'information et de l'enseignement. Les ressources du fonds proviendront du budget de l'Etat et atteindront 1 milliard de dirhams dès 2025, détaille le programme. Aussi, lors de la conférence de presse à l'issue du Conseil de gouvernement du 23 décembre 2022, Mustapha Baitas, porte-parole officiel du gouvernement marocain et ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, a fait savoir que le processus d'officialisation de Tamazight a bénéficié de 200 millions de dirhams alloués dans le cadre de la Loi de Finances 2022. Il a aussi ajouté que le gouvernement célèbrera Yennayer "comme il se doit", sans pour autant évoquer s'il sera un jour férié à la date prévue. L'identité amazighe du Maroc "mérite" d'être célébrée comme fête nationale Une fois le jour J arrivé, ce mercredi 12 janvier, la sphère militante a déchanté, se désolant de voir que Yennayer n'est toujours pas considéré comme une fête nationale. L'amazighité, en tant que composante à part entière de l'histoire du Maroc est "un capital immatériel qui doit être célébré, valorisé et développé. Le Maroc en est capable.", fait savoir Abdellah Baddou, président du Réseau amazigh pour la citoyenneté. C'en est surtout la symbolique qui compte, estime Amina Zioual, militante et fondatrice du groupe "la voix de la femme amazighe". "Ce jour est fêté depuis la nuit des temps par les Imazighens de toute l'Afrique du Nord. Mais le voir devenir un jour férié, c'est voir la véritable consécration politique de l'officialisation de l'Amazighité comme composante indéféctible du Maroc et de son histoire", a-t-elle explique.
Des engagements étatiques à traduire sur le terrain "Les actions gouvernementales doivent refléter une vraie volonté politique de faire évoluer l'officialisation du Tamazight et de la culture Amazighe. Surtout dans le contexte actuel, où la vitalité de la langue amazighe régresse d'année en année avec la mondialisation et les nouvelles technologies de l'information et de la communication, qui utilisent de plus en plus de langues étrangères", fait savoir de son côté Abdellah Baddou. En ce qui concerne la mise en oeuvre de l'officialisation de Tamazight dans l'action publique et ses institutions, Amina Zioual estime que l'octroi d'un budget de 200 millions de dirhams par année reste insuffisant pour mener à bon le projet. Pour la militante, il y a tellement de secteurs à couvrir que cette enveloppe allouée ne suffirait pas à donner des résultats probants. La justice, l'enseignement, les médias, les administrations…tant de chantiers qui nécessitent d'abord des plans d'action, des mécanismes et des études, estime-t-elle. "Depuis que Tamazight a été scellé dans la Constitution en 2011 comme langue officielle, il a été instauré dans l'enseignement mais à un taux presque inexistant aujourd'hui. Dans les tribunaux, beaucoup de femmes qui ne parlent que le Tamazight ne trouvent pas de magistrats à qui elles peuvent s'adresser dans cette langue", exemplifie la militante. Donnant un exemple quantitatif dans le domaine de l'enseignement, M. Baddou a fait savoir que pour bien couvrir les besoins de l'enseignement primaire et secondaire en Tamazight, il faut que le Maroc dispose d'au moins 25.000 enseignants. Or aujourd'hui, leur nombre ne s'élève qu'à 400 enseignants au niveau national, qui sont souvent mutés vers d'autres disciplines en besoin de ressources humaines, déplore-t-il. Pour mener à bien la mise en oeuvre de l'officialisation du Tamazight sur 5 ans, il faut donc former 3000 à 5000 enseignants par année, et ce, seulement pour le secteur public. "C'est ce genre de dispositions que nous devons retrouver dans les programmes gouvernementaux, pour montrer que les engagements étatiques sont réellement traduits en actions concrètes", conclut le militant.