Les résultats toujours provisoires des élections du 8 septembre 2021 au Maroc ont montré l'ampleur de la défaite du Parti de la justice et du développement (PJD, au pouvoir), qui arrive loin derrière ses principaux rivaux, le Rassemblement national des indépendants (RNI), qui remporte les élections législatives avec un total de 97 sièges devant le Parti Authenticité et Modernité (PAM, 82 sièges) et le Parti Istiqlal (PI, 78 sièges, après le dépouillement de 96% des suffrages. Selon ces résultats provisoires communiqué, jeudi, par le ministre de l'Intérieur, Abdelouafi Laftit, l'Union socialistes des forces populaires (USFP) obtient 35 sièges, suivie du Mouvement populaire (MP) avec 26 sièges, le Parti du Progrès et du Socialisme (PPS) avec 20 sièges et l'Union Constitutionnelle (20 sièges). Le PJD a ainsi subi une spectaculaire déroute, passant de 125 sièges lors des législatives de 2016 à 12, soit une 113 siège de moins. Décryptage de Driss Benyaacoub, chercheur en sciences politiques à l'université Mohammed V de Rabat.
Les élections de 2021 "nous ont envoyé des signaux extrêmement intéressants" Pour le chercheur, "ces élections de 2021 nous ont envoyé des signaux extrêmement intéressants". Le grand perdant de ces élections n'est autre que le PJD, qui a dirigé le gouvernement depuis 2012, soit deux mandats successifs, estime Driss Benyaacoub dans une déclaration à 2M.ma. "A lire les résultats préliminaires des élections du 8 septembre 2021, qui ont donné une avance au RNI, il s'agit d'élections inédites dans l'histoire du Maroc depuis l'indépendance, et qui nécessitent plus d'une méthodologie scientifique pour les analyser, étant donné qu'elle ont mis aux prise entre ce que je pourrais appeler la bourgeoisie citoyenne émergente au Maroc représentée par Aziz Akhannouch et la politique dans sa dimension de référence idéologique et théorique", explique-t-il. Selon lui, "le discours implicite qui a accompagné la présence de Aziz Akhannouch aux élections et pendant la crise liée au Coronavirus; et comment gérer les effets économiques et sociaux de la pandémie, et même depuis son arrivée à la tête du RNI, est une tentative de présenter une nouvelle proposition pour encourager la « Bourgeoisie marocaine », qui a commencé à s'établir et à montrer des signes de son émergence avec sa participation diversifiée au sein de l'espace public, de l'Etat et la société, de sorte qu'elle a des intérêts liés à l'enrichissement, mais en même temps elle est prête à réaliser une entente sur la répartition de parts de la richesse entre les couches sociales à travers l'exercice du pouvoir, pour parvenir à l'équité sociale". Il semble, d'après lui, que "le contexte politique et économique de la crise a favorisé l'essor de ce discours politique émanant d'une classe riche qui a pris conscience de son rôle social, politique et médiatique, un contexte qui a contribué à permettre à cette bourgeoisie politiquement émergente de se révéler clairement, et de rechercher un consensus pour édifier le Maroc nouveau et des intérêts clairs entre la Société, l'Etat et la bourgeoisie". Pour M. Benyaacoub, "le vrai pari maintenant est de savoir dans quelle mesure cette bourgeoisie est capable de manifester ses positions vis-à-vis de l'Etat et la société, de la culture et la politique ? Car au final, combattre et exclure cette catégorie nous mettra face à l'extrémisme de l'autre, fera de la société et de l'Etat une arène d'affrontements stériles et nous mettra sous la tutelle d'amateurs de politique, d'économie et de gestion, sans avoir aucune vision, expériences pratiques pour édifier une société de connaissance et de production".
Le discours d'Akhannouch semble avoir convaincu la classe moyenne "En somme, le discours d'Akhannouch semble avoir convaincu la classe moyenne de contribuer au changement politique, surtout face à un parti qui a longtemps dirigé le gouvernement et n'a pas vraiment compris les besoins du Maroc et était plus soucieux d'intégrer ses cadres et lui-même au sein de l'Etat et de la société voire même au sein d'un réseau d'intérêts nouveau", poursuit le chercheur. Concernant la "déroute" et "la défaite" du PJD, "qui est la conséquence de l'arrogance de plusieurs de ses dirigeants et la tendance professorale de nombre de ses prédicateurs qui ont traité les problèmes des Marocains et de leurs opposants avec beaucoup de supériorité et mépris loin des valeurs islamiques; il faudra peut-être revenir un peu en arrière pour comprendre ce qui s'est passé lors de ces élections", explique-t-il. Depuis les élections de 2016, a-t-il enchaîné, "un certain nombre de facteurs contrôlant le comportement électoral ont changé et de nombreux fronts qui privilégiaient autrefois le Parti de la justice et du développement se sont désintégrés. Peut-être que cette dissolution et ce changement ont dispersé un certain nombre de ses discours rhétoriques et affaibli le niveau de son action de communication précédemment influente en dirigeant les masses vers certaines conclusions". Par ailleurs, le comportement électoral au Maroc depuis la constitution de 2011, apparemment dominé, dans une large mesure, par +l'esprit de vengeance+, est devenu un comportement que l'on peut qualifier en quelque sorte de comportement irrationnel, qui peut porter sur la question « contre qui on vote » et non sur la question « pour qui on vote », pour parvenir à une décision de vote qui peut parfois contredire les convictions personnelles de l'électeur, estime-t-il. Ensuite, a-t-il ajouté, "il y a la question des opposants qui changent leurs tactiques et stratégies dans l'action politique et communicationnelle, ce qui peut conduire à un changement dans le comportement politique au niveau des structures du Parti, que ce soit au niveau local, parlementaire ou d'organisation interne, et à la reproduction de nouveaux discours et de langage politique et donc à un nouveau comportement interactif. Ceci qui peut conduire d'une part à la confusion et d'autre part à la stagnation, surtout si cet acte politique reposait auparavant sur des règles de gestion des affrontements politiques fondées sur une description précise de la rivalité et des adversaires".
Dix ans au gouvernement ont créé une sorte de "conflit interne" au sein du PJD Selon lui "dix ans au gouvernement ont créé une sorte de conflit interne au sein du parti, entre un courant qui a bénéficié de la participation, et on pourrait dire qu'il a « mûri » par le travail au sein de l'Etat et des institutions et l'a sorti de l'enthousiasme émotionnel pour confronter la gestion de la chose publique à la rationalité, l'entente et la négociation, et entre des groupes qui s'estiment exclus de la participation à l'acte, et dont le rôle se limite à surveiller et répondre aux sommations circonstancielles répétées et temporaires et défendre la participation et les ministres du parti chaque fois attaqués de l'extérieur (du parti), ce qui fragmente progressivement et relativement la loyauté, et introduit la suspicion sur les convictions à poursuivre la même approche conflictuelle avec les autres fronts". La présence de Aziz Akhannouch à la tête du RNI "ne donne pas beaucoup de cartes politiques au PJD (...) Son apparence partisane en tant qu'homme d'affaires qui contribue aux capacités du pays en période de crises majeures a réduit les capacités de manœuvre et d'attaque politique du PJD et les a obligés à se contenter de critiques économiques (...), estime-t-il. « Le parti islamiste au gouvernement a aussi contribué à créer des troubles économiques et sociaux pour les Marocains à la suite de nombreuses décisions financières et économiques, et conduit à une confusion managériale et un manque de créativité dans les politiques publiques », souligne M. Benyaacoub Les conclusions sont donc que "le langage et les déterminants du discours électoral ; l'environnement interne, économiquement et socialement, l'environnement international et régional; l'intensification des conflits internes, en particulier au sein du PJD; la multiplication des erreurs de communication et de gestion, et les jugements moraux et politiques de certains de ses dirigeants, et l'émergence de groupes +affairistes+ en son sein, autant de facteurs à l'origine du déclin spectaculaire du PJD dans les élections", a-t-il estimé. Et de conclure que "c'est une expérience marocaine unique en son genre qui a créé un modèle unique dans le traitement avec les organisations politiques islamistes, car elles ont été écartées de la scène politique sans affrontements et de façon constitutionnelle, mais cela faisait partie d'un processus naturel de conflit politique".
Benkirane demande à El Othmani de présenter sa démission du secrétariat général Après cette débâcle annoncée du PJD, l'ex-chef de gouvernement et ancien patron du parti de la Lampe, Abdelilah Benkirane, a adressé une correspondance manuscrite à son successeur, Saâeddine El Othmani, lui demandant expressément de présenter sa démission du secrétariat général. La réponse n'a pas tardé à venir : Saad Dine El Othmani, ainsi que les membres du secrétariat général de cette formation politique ont présenté, jeudi, leur démission collective. Cette décision a été prise suite à une réunion extraordinaire du secrétariat général consacrée à l'examen des résultats du scrutin de mercredi. Dans un communiqué, le secrétariat qui affirme assumer l'entière responsabilité politique de sa gestion de cette étape, a également décidé de poursuivre la gestion des affaires du parti conformément aux dispositions de l'article 102 de son règlement intérieur. Le secrétariat du parti a aussi décidé de convoquer une session extraordinaire du Conseil National du PJD, samedi 18 septembre, afin de procéder à une évaluation globale des échéances électorales et la prise des décisions qu'il juge opportunes. En politique, on doit s'attendre à beaucoup de "risques" et de "dangers" lorsqu'on déçoit les électeurs. Le peuple mérite ainsi une bonne coalition au Gouvernement qui doit vraiment comprendre les besoins du Maroc et des citoyens et répondre aux attentes de la population en matière notamment d'emploi, de santé, d'éducation et d'équité sociale.