* Les règles du jeu de léconomie globale vont simposer à tout le monde. Donc, autant anticiper et prendre un peu davance par rapport à la concurrence régionale afin de lancer le Maroc sur le chantier des réformes de la troisième génération. * Le Maroc a raison, au nom des droits humains universels, de ne pas signer laccord de réadmission. * Les conditions qui permettent dimaginer un marché commun maghrébin ne sont pas toutes réunies. Hassan Abouyoub est lexemple type dun diplomate chevronné, rompu aux rouages des affaires. Homme desprit, doté dune grande culture générale, il est au service de la diplomatie marocaine depuis de très longues années. Cette longévité est, sans aucun doute, lun des signes les plus marquants de la confiance que le Souverain place en lui. Et cette confiance, le monarque la lui a encore renouvelée en le nommant récemment ambassadeur du Maroc en Italie. Deux semaines auparavant, nous lavions reçu dans les locaux de Finances News Hebdo. Il était alors ambassadeur itinérant de Sa Majesté. Dans ce contexte économique assez particulier marqué par le Statut avancé Maroc-UE, lUPM, les accords de libre-échange, la crise internationale , il a apporté des éclairages très édifiants sur le positionnement et le rôle quest appelé à jouer le Maroc. Dans un langage diplomatique certes, mais non moins tranchant. Enjeux du Statut avancé Le Statut avancé octroyé au Maroc le 13 octobre 2008 confirme que, désormais, louverture est une réalité. Il sagit, comme on ne cesse de le répéter dans les milieux daffaires, de la résultante logique de tout ce qui a été réalisé au sein de notre économie comme réformes au cours de la dernière décennie. Moins que ladhésion mais plus que lassociation, le Statut avancé accordé au Maroc par lUnion européenne offre une nouvelle plate-forme déchanges et marque une nouvelle ère de coopération entre les deux partenaires. Toutefois, il est à reconnaître que ce statut particulier signe une rupture par rapport à un mode de gouvernance préétabli et une série dacquis. Alors, est-ce que le tissu économique national, tel quil est conçu, est prêt à affronter les défis liés à cette nouvelle réalité? «Nous avons toujours tendance à grossir limpact du processus dintégration régionale, alors que lhistoire économique a montré que toutes les opérations dintégration ont profité aux économies les moins avancées», précise demblée Abouyoub. Autrement dit, nous navons pas, normalement, dinquiétudes à nous faire dans le long terme sur les conséquences systémiques dun processus de libre-échange comme celui qui lie le Maroc à lUnion européenne. Faut-il noter, à cet égard, que le contenu commercial de la relation Maroc-Union européenne est quasiment bouclé. «Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, 2012 symbolise pratiquement la fin du processus de «désarmement» tarifaire et, donc, il ny a pas denjeux commerciaux supplémentaires dans le cadre du Statut avancé si lon excepte lagriculture et les services», souligne Abouyoub. Ces deux secteurs qui continuent de déroger aux règles du libre-échange tel que défini dans laccord général du GATT, ont fait ou font encore lobjet de négociations nous rapprochant ainsi dun statut de libre-échange exhaustif entre le Maroc et lUE. Quels impacts ? Il faut savoir si léconomie marocaine est en mesure de relever le défi de la compétitivité mondiale; de faire mieux que lUE dans tous les secteurs où loffre européenne est en train de disparaître. Léconomie européenne, outre les effets de la crise, doit sajuster aux contraintes de ses déficits structurels, aux pesanteurs de son modèle socio-économique et à lagressivité des économies émergentes. Dans ce contexte, le Statut avancé naura pas dimpact direct. Dabord, ce nest pas un accord au sens classique du terme. Il sagit dun engagement du Maroc souverain, en connaissance de cause et en toute lucidité, dintégrer lespace économique européen. «Cest un acte volontaire que dintégrer dans son corpus législatif, au sens très large du terme, ce que lon appelle lacquis de lespace économique européen. Cest un choix qui est, à mon sens, justifié par le fait que les règles du jeu de léconomie globale vont simposer à tout le monde. Donc, autant anticiper et prendre un peu davance par rapport à la concurrence régionale, tout en essayant de profiter de ce défi pour lancer le Maroc sur le chantier des réformes de la troisième génération», conclut Abouyoub. Autre point débattu avec force avec H. Abouyoub : laccord de réadmission que le Maroc refuse toujours de signer et qui risque de constituer une entrave à la mise en place effective du Statut avancé. «Face à ce que lon pourrait appeler les donneurs de leçons, je trouve que le Maroc a raison, sur le plan des droits universels, de ne pas signer», martèle Abouyoub pour qui «lEurope va être finalement dans lobligation de revoir en profondeur ses politiques migratoires vu lessoufflement de sa croissance liée à la panne démographique.». Il faut, à cet égard, préciser que la panne démographique européenne a pour conséquence systémique des perspectives de croissance à long terme extrêmement faibles par rapport aux autres régions. Le modèle économique européen est menacé dans sa viabilité par le déséquilibre démographique entre actifs et inactifs. Un tel déséquilibre fait que la retraite de la future génération européenne nest pas garantie. Dautant que, confirme Abouyoub, «la capacité de cette population à prendre en charge des fonctions ordinaires est pratiquement impossible et que lEurope, quoi quelle dise, aura besoin dun flux migratoire minimal qui est équivalent à lexcédent des ressources humaines du Sud de la Méditerranée dici à 2050». Quel avenir pour lUPM ? Le débat autour de lUnion pour la Méditerranée fait couler beaucoup dencre. Ce projet, très applaudi au départ, est toujours bloqué, à tel point que beaucoup se demandent si cette instance nest pas en danger de crise insurmontable. Pourtant, la concrétisation effective de lUPM serait ô combien bénéfique pour cette région du monde qui doit faire face à de nombreux défis, notamment en ce qui concerne sa compétitivité par rapport à lAmérique du Nord et à lAsie. «Si lon accepte que cet espace a une lourde responsabilité par rapport à lAfrique (développement humain, sécurité, stratégie ); si lon accepte que nous sommes dans une région où le réchauffement climatique sest avéré réel et que les perspectives à long terme sont défavorisées; si lon prend la question énergétique , on se rend effectivement compte que cet ensemble a des défis communs monstrueux. Et lon sait quaucune nation, aussi puissante soit-elle, na la capacité de faire face seule à tous ces challenges», relève Hassan Abouyoub. En conséquence, lUPM savère un objectif vital pour le Nord comme pour le Sud. «Le seul problème est que la politique méditerranéenne de lEurope a toujours été marquée par la sécurité énergétique et par le besoin de sécuriser les zones dapprovisionnement», souligne Abouyoub, et de préciser que «sécuriser veut dire stabiliser politiquement et, dans le credo européen de lunion, stabiliser politiquement cest démocratiser le pays». Or, poursuit-il, «un pays démocratique est celui qui applique à la fois la loi du marché et les règles de la démocratie. Cest ce qui explique, en quelque sorte, cette ambiguïté dans la démarche européenne où elle concilie à la fois les objectifs à court terme, pour sécuriser le marché énergétique européen, et les objectifs à long terme pour maîtriser dune manière vertueuse le potentiel énergétique arabe». Otage du politique ? Aujourdhui, le conflit dans la région du Moyen-Orient semble être lun des obstacles majeurs face à la mise en uvre effective de lUPM. En cela, martèle Abouyoub, «lEurope nest pas en mesure de jouer un rôle géopolitique significatif sur la scène internationale. Elle la montré depuis toujours et continue de le montrer, et ce malgré la mise en uvre du Traité de Lisbonne. LEurope nest pas une puissance militaire. Elle nest pas autre chose quune puissance commerciale. Elle nest même pas une puissance économique au sens dun ensemble qui a une politique budgétaire commune comme soubassement à une monnaie de réserve capable dêtre une alternative au Dollar». Cest la raison pour laquelle, renseigne-t-il, «il y a toujours cette difficulté de lEurope à parler à lunisson selon les mêmes axes stratégiques avec le Sud. Le Sud nest pas prêt, dans limmédiat à se conformer aux objectifs de valeurs universelles, de démocratie, de droits de lhomme qui sont inclus à la fois dans la déclaration de Barcelone et dans celle identique de lUPM. La démocratie ne simporte pas, elle ne sapplique pas par décret, elle exige un lent apprentissage». Ce déficit de gouvernance de la région MENA, explique en partie lenlisement des projets dintégration régionale. Cest dire quil ny a que les démocraties qui sont capables daltérer leur souveraineté économique, commerciale, financière et fiscale au profit dun organe exécutif régional. «Si lUnion européenne est le seul modèle dintégration régionale accompli dans le monde, bien plus que le Nafta, cest parce quil y a des politiques communes avec leurs assises budgétaires. Labsence dun budget général de lUE, traduction dune politique économique commune, se fait lourdement sentir sur le marché des changes à la faveur de la crise grecque », relève Abouyoub, Quid de lUMA ? A linstar de lUPM, lUnion du Maghreb Arabe se veut une nécessité incontournable. «Or, tant que nous navons pas la capacité de garantir les conditions équitables de concurrence sur les marchés du Maghreb , tant que nous ne sommes pas capables doffrir à lindustriel des garanties en matière de propriété intellectuelle, de droits douaniers, , nous ne pourrons pas réussir un marché commun maghrébin complémentaire», martèle Abouyoub qui cite, au passage, lexemple de lautomobile avec Renault qui sinstalle à Tanger Med avec une capacité très largement supérieure aux besoins du marché maghrébin. «Pour des raisons qui ont fait que le Maghreb na pas pu se faire, il y aura, en Algérie, une usine Renault pour le marché algérien. Es-t-ce que cest stratégiquement raisonnable ? Est-ce que cest économiquement viable ?», sinterroge-t-il ? Cela pour dire que les démarches qui permettent dimaginer un marché commun maghrébin ne sont pas réunies. Les politiques économiques de certains pays maghrébins sont malheureusement conçues de nature hégémonique, voire anti-intégration économique. « Je pense que si on continue comme ça, bientôt il sera trop tard parce que le taux de « fusion » dans le Nord sera tellement important que lespace maghrébin sera nécessairement et involontairement (par déduction mathématique) intégré dans celui européen», conclut Hassan Abouyoub. * Patriotisme : Le syndrome du bon élève «Il y a une première posture qui me semble salutaire et devoir simposer : cest darrêter de nous comparer aux autres et de ne pas succomber à ce que lon appelle le syndrome du bon élève. Nous navons pas à rougir de ce que nous sommes. Nous sommes le produit dune accumulation culturelle, ethnique, géographique, historique fabuleuse Et nous devons être fiers de ce que nous sommes avec nos atouts et nos faiblesses. Parce que cela entraînera nécessairement ladhésion de nos concitoyens à la chose publique, renforcera les comportements patriotiques. Engageons nous à concurrence de nos capacités contributives, individuelles et collectives, limitons nous à des objectifs réalisables, aussi modestes soient-il, et traduisons-les dans le concret. Et puis aimons-nous !». * Ce quil en pense : Démocratie : Les partis héritent dune rente politique «En parlant dun espace politique, donc dun système partisan, on doit se demander si ces structures partisanes héritées depuis le protectorat français, si ces créations obéissent à ce que lon appelle les critères standards existant dans les démocraties avancées ? Lorsque lon prend en compte les critères communément admis qui définissent les grands partis de ce monde, je suis obligé de constater que la plupart de nos partis sont encore en quête de structures modernes et efficaces et de bases populaires significatives. Labsence de compétences spécialisées au niveau des sièges, la couverture très inégale du territoire par un maillage opérationnel de délégations, antennes, les stratégies de communication et la fonction tribunitienne etc..sont autant de carences qui ne seront plus acceptables. Elles privent le pays dun débat politique vital pour créer lappropriation nécessaire du dessein qui nous unit. Les dernières consultations électorales montrent clairement une méfiance de lopinion par rapport à nos structures partisanes : les effets de la rente et du consensus politiques auront vécu. Linitiative du PAM aura donc eu le mérite dinterpeller les bénéficiaires de la rente politique et daccélérer le cours de lHistoire. La non-interférence de la Monarchie dans le jeu partisan crée désormais les conditions dun jeu politique plus conforme aux normes avancées et permet de dire que le Maroc a entamé sérieusement et sereinement sa mue démocratique. Les électeurs marocains potentiels ne croient pas aux partis politiques ni au jeu politique. Je pense que lun des grands enjeux de la démocratie, cest la capacité de ces partis à mobiliser les 85% qui continuent à ignorer la chose politique». * IDH : Un indice quil faut prendre avec des pincettes «Si lon prend le Maroc avec les trois critères qui constituent lIndice de Développement Humain et calculé à partir de nos statistiques, objectivement, le résultat nest pas contestable. Sur lenseignement et la déperdition scolaire, sur la mortalité maternelle et infantile, nous sommes certainement très en retard. Mais lorsque lon nous compare aux autres nations, je constate que lon classe des pays qui nont pas de comptabilité nationale ni dappareil statistique ou qui nont pas une crédibilité statistique suffisante. Nous devons donc apprécier ces comparaisons avec une certaine réserve». Sur le plan méthodologique, lapproche est totalement contestable et mérite une démarche plus holistique. Les travaux faits par le HCP, sur la pauvreté, les disparités sociales sectorielles et régionales, nous offrent un terreau fertile pour redessiner larchitecture des indicateurs socio économiques dans le monde.