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Régionalisation Les pièges à éviter
Publié dans L'observateur du Maroc le 25 - 01 - 2010


AHMED CHARAI
Le projet de régionalisation avancée est un chantier institutionnel fondateur. La commission chargée d’établir des propositions dans le cadre de la conception royale a des écueils à éviter, pour en assurer le succès. Il y a, bien évidement, le mimétisme, le copier-coller qui est dangereux. S’il faut s’inspirer de ce qui a fonctionné dans de grandes démocraties, il n’est pas question d’évacuer le contexte national, sinon au prix d’un risque très fort d’échec.
Manifestement les régions actuelles ne correspondent pas aux entités concernées par le projet. Trop nombreuses, elles sont au nombre de 16, elles n’ont pas la cohérence désirée et le potentiel pour faire de la régionalisation avancée une clé du développement intégré. Elles ont été conçues dans un souci électoraliste, sécuritaire, dans un Maroc d’un autre temps. Même l’administration territoriale l’admet.
Il est donc nécessaire d’en réduire le nombre, on parle de 9 régions, mais surtout veiller à une cohérence territoriale basée sur les flux économiques, actuels ou à venir. Les aspects culturels, historiques sont bien sûr importants, sans que l’on puisse en faire un déterminant qui transcenderait la logique économique. Car le risque est de voir les régions coïncider avec des critères tribaux, ou pire ethniques. On voit déjà ici et là des tentations de ce genre surgir dans certains discours, en particulier pour le Rif. Cela constituerait une double erreur.
Sur le plan économique, c’est tout simplement hérétique. Pour le Rif par exemple, il est clair qu’un versant est lié à l’Oriental, alors que l’espace vital de l’autre est la région Nord. Vouloir réserver une région au Rif autour de Nador et Hoceima, c’est le priver d’un potentiel de développement, parmi les plus importants du Maroc.
Politiquement, une régionalisation sur des bases ethniques finirait par mettre à mal l’unité du pays et raviver les querelles ancestrales. Enfin il est évident que les dévolutions de compétences ne peuvent concerner l’éducation nationale parce que l’école doit rester un creuset d’intégration et les diplômes garder leur caractère national.
Ce sont là les premières réflexions qui viennent à l’esprit pour un débat qu’il faut souhaiter riche et animé. Car il s’agit là, répétons-le, du plus grand chantier du Maroc moderne, rien de moins.
Réalisé par Mohamed Zainabi
Le chantier de la décentralisation avancée que vient de lancer le souverain à travers son dernier discours royal est décisif pour l’avenir du pays. Il doit susciter partout de larges débats desquels doivent ressortir de nouvelles idées. Ce qui pourrait aider la Commission consultative sur la régionalisation dans son travail de réflexion. Pour provoquer le débat, l’Observateur du Maroc donne la parole à des professeurs universitaires et des experts à travers ce dossier qu’il réserve au projet de régionalisation avancée :
Salima Naji, est architecte DPLG de l’Ecole d’architecture de Paris-La-Villette et docteur en anthropologie de l’EHESS de Paris. Elle est connue non seulement pour ses diverses et volumineuses publications, notamment Greniers collectifs de l’Atlas et Art et architectures berbères, mais aussi pour sa passion pour la restauration des ksars. Un travail qui lui a permis de connaître, en profondeur, les régions du sud du royaume dont notamment Assa Zag. Elle s’est installée dernièrement à Tiznit ce qui lui permet d’être au plus près de ces vallées présahariennes qui lui sont chères.
Mohamed Haimoud, professeur de finances publiques à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Salé.
Abdeljabbar Arrach, enseignant chercheur à la faculté de droit de Settat. Il est également directeur du Laboratoire des recherches sur la transition démocratique comparée.
Saïd Khoumri, professeur universitaire en sciences politiques à l’université Cadi Ayyad de Marrakech.
La régionalisation avancée vue par les spécialistes
A la question de savoir quel regard portent nos experts sur le chantier de la «régionalisation avancée» que vient de lancer le souverain, leurs réponses ont été convergentes.
Mohamed Haimoud. Le discours royal à travers lequel le souverain a annoncé la création de la Commission consultative sur la régionalisation s’inscrit dans le cadre de la poursuite du processus partenarial dans l’institution des grandes réformes structurelles, dont le projet de la régionalisation avancée, en vue de consolider la construction institutionnelle de l’Etat marocain.
Pour montrer l’importance de ce chantier, on peut s’arrêter sur une partie de la teneur du discours royal. Lequel a considéré la régionalisation avancée à laquelle aspire le pays comme étant «une option résolue pour la rénovation et la modernisation des structures de l'Etat et pour la consolidation du développement intégré». Ce chantier a été également décrit comme étant «un tournant majeur dans les modes de gouvernance territoriale» et «un prélude à une nouvelle dynamique de réforme institutionnelle profonde».
Donc les termes de «option résolue» et de «tournant majeur» reflètent le degré de mobilisation et d’adhésion voulu pour ce projet de la part de toutes les forces concernées, au vu des défis et des attentes qu’il suscite tant aux niveaux économique, social que politique, surtout que les provinces du sud seront pionnières en matière de régionalisation avancée.
Le discours royal présente une vision claire du projet de régionalisation avancée prévue. Il établit à la fois un état des lieux concernant les difficultés de la régionalisation en vigueur et anticipe par rapport à l’avenir.
La clarté de la vision que traduit le discours royal ressort à plusieurs niveaux dont celui relatif à la nature des institutions régionales prévues. A ce propos, le souverain a insisté sur la création d’institutions démocratiques destinées à jouir de prérogatives réelles qui ne laissent pas de place aux organes purement formels. La clarté de la vision se ressent aussi dans l’appel à la réflexion au sujet des moyens matériels et humains susceptibles d’assurer la continuité de ces institutions. Moyens qui font défaut dans l’expérience de la régionalisation menée jusque-là dans le cadre de la loi n° 47-96 relative à l’organisation des régions et mise en application par le dahir du 2 avril 1997.
La même clarté se retrouve dans certains aspects de la bonne gouvernance territoriale, au niveau notamment des prérogatives entre les différents niveaux territoriaux (centre, région, localité). Ces aspects font défaut dans l’expérience actuelle, surtout en ce qui concerne la loi portant organisation des régions. Même s’il définit certaines compétences propres et d’autres transférées ou encore consultatives, ce texte n’échappe pas aux généralités qui engendrent des conflits de compétences et une dilution des responsabilités. S’y ajoute le problème des moyens.
Sur un autre registre, la même clarté se ressent à travers le lien fait dans le discours royal entre l’efficacité du projet de régionalisation avancée et l’adhésion au processus de déconcentration élargie. Cela veut dire que les entités territoriales décentralisées auront leur véritable interlocuteur au niveau des services extérieurs des différents départements ministériels, surtout que la logique de proximité devient un enjeu majeur pour l’ensemble des intervenants.
Abdeljabbar Arrach. De nos jours, tous les pays du monde, qu’ils soient riches ou en voie de développement, s’intéressent à la régionalisation. Le Maroc n’échappe pas à cette tendance générale. Les motifs de l’adoption de la régionalisation diffèrent selon les circonstances particulières de chaque pays. Les formes qu’elle peut prendre diffèrent aussi selon les objectifs qui lui sont assignés. Concernant la régionalisation avancée attendue au Maroc, celle-ci vise à atteindre plusieurs objectifs. Elle a une fonction politique à travers l’ancrage de la pluralité politique et l’approfondissement de l’exercice démocratique sur le plan local, lui donnant sa vraie et saine signification. La régionalisation consolide aussi les droits au pluralisme culturel et le respect des spécificités locales. S’y ajoute la fonction économique et de développement qui se fonde sur l’application de politiques économiques intégrées valorisant les ressources et les potentialités régionales et permettant d’avoir des régions aptes à impulser le développement et la création de pôles régionaux en totale cohésion. La régionalisation permet également de passer outre la gestion administrative bureaucratique en adoptant une gestion optimisée privilégiant le partenariat, l’efficience et la proximité dans le cadre de la responsabilité, la légalité et la transparence. Autre bienfait du processus enclenché au Maroc, celui de faciliter l’intégration et la cohésion spatiales et sociales. Ce processus vise non seulement à remédier aux dysfonctionnements juridiques, administratifs, financiers et humains, mais aussi à parvenir à une bonne organisation régionale et de mettre un terme à certaines revendications autonomistes - et non séparatistes - de la part de quelques régions tentées de mettre en avant leur particularité culturelle.
Said Khoumri. Ce chantier de la régionalisation avancée, que SM le roi Mohammed VI a annoncé ce dimanche 3 janvier, est un projet historique dans tout le sens du terme. Il constituera une rupture par rapport à la gestion depuis la capitale de toutes les affaires du pays. Ce sera la fin de la centralisation de l’autorité. En effet, après la mise en place de la vision globale qu’aura trouvée la commission consultative ad hoc, les régions auront un rôle efficient donnant la latitude au citoyen de gérer lui-même les affaires de la cité. Les instances dirigeantes de la région auront à ce moment-là toutes les prérogatives et les moyens nécessaires pour réaliser le développement local.
Nous avons aussi demandé à nos experts quels seraient les principaux axes qu’ils auraient suggérés s’il leur avait été demandé de proposer des pistes de réflexion pour que ce projet de «régionalisation avancée» soit concrétisé. Leurs réponses étaient complémentaires.
Mohamed Haimoud. Premièrement, on peut insister sur l’importance d’une large adhésion à ce projet. C’est ce qu’a souligné le souverain dans son discours quand il a insisté sur le soutien à apporter à la Commission consultative sur la régionalisation à caractère multidisciplinaire et quand il a invité le gouvernement et les différentes autorités à faciliter la tâche des membres de ladite commission. Sans oublier la mobilisation des organisations politiques qui ont certainement une vision à propos de ce chantier décisif, surtout que le discours royal prononcé à l’occasion du 33e anniversaire de la Marche verte a déjà présenté la feuille de route de la régionalisation avancée, et n’oublions pas les acteurs de la société civile qui ont ces dernières années un rôle crucial dans la concrétisation des politiques publiques. Deuxièmement, il faudrait que l’ambition de toutes les personnes concernées par la réalisation de ce projet soit grande comme cela ressort du discours royal. Le chantier de la régionalisation avancée ne vise pas «l’intérieur» du pays seulement, mais a aussi des dimensions plus larges puisqu’il représente la 2e voie proposée par le Maroc pour la gestion du dossier des provinces du sud au cas où l’initiative marocaine d’autonomie serait enfreinte comme le confirment les derniers développements. Pour rappel, le discours royal avait laissé la porte grande ouverte aux négociations à propos de son initiative qui a été qualifiée de «crédible». Donc, le seuil de cette ambition pour le projet de la régionalisation avancée c’est de garantir la même crédibilité signifiée pour l’initiative d’autonomie. Autrement dit, la nouvelle réforme régionale envisagée devra consolider, dans toutes ses dimensions tant juridiques, financières que politiques, la démocratie locale et la bonne gouvernance territoriale.
Troisièmement, il faudrait parvenir à un juste équilibre entre ce qu’on pourrait retenir des plus importantes expériences de régionalisation des autres pays et la singularité du modèle marocain. Le travail comparatif permet de constater la diversité et la richesse des expériences, leurs particularités et leur ancrage historique. Le Maroc a aussi sa profondeur historique dans sa propre relation entre le centre et la périphérie. Mieux encore, la diversité dans le domaine de la régionalisation ne se limite pas aux comparaisons entre les Etats, mais il y a en la matière une diversité au sein d’un même Etat selon ses caractéristiques et les défis qu’il voudra relever… Quatrièmement, la solidarité est essentielle dans le processus de régionalisation comme préalable à la complémentarité et à la cohésion. De toute évidence, l’une des motivations qui justifient le choix de la régionalisation est la volonté de montrer les spécificités territoriales, mais cela lèvera le voile sans doute, en attendant un nouveau découpage régional, sur des régions ne disposant pas de potentialités suffisantes pour relever le défi de la gestion locale (richesses naturelles limitées, outils productifs faibles, ressources fiscales médiocres…). Cet état de fait pourrait aussi se justifier par des choix politiques inappropriés adoptés par le passé qui ont engendré des inégalités dans l’attractivité économique et démographique de certaines régions au détriment d’autres. Sur cette base, la solidarité et la complémentarité territoriale demeurent des points centraux dans la préparation de la nouvelle vision de la régionalisation avancée pouvant traduire dans les faits ce que le discours royal a appelé la «cohésion» dans le cadre de «l’unité de l’Etat, de la nation et du territoire».
Abdeljabbar Arrach. Certaines pistes ont été énoncées, en termes clairs, à travers le dernier discours royal. C’est le cas notamment de la répartition précise des prérogatives entre les régions et les autorités centrales. C’est le cas aussi de l’adoption de la déconcentration comme point nodal dans l’application de la régionalisation, ce qui impose une révision globale des responsabilités des autorités centrales, de leurs services extérieurs et des régions. En plus de la nécessité d’une meilleure répartition des moyens financiers et humains aux niveaux central et régional.
Il y a d’autres volets qui constituent des conditions essentielles pour l’édification de régions et sans lesquelles il n’y aura pas de véritable régionalisation. Ces volets concernent entre autres les institutions régionales, la tutelle, la relation entre le pouvoir central et les entités régionales, la relation entre les régions et les autre collectivités locales, la représentativité des régions dans la Chambre des Conseillers, le découpage régional, les moyens financiers et humains, les mécanismes de coopération et de partenariat…
D’une manière globale, le projet de régionalisation avancée est un tournant dans le processus de démocratisation du pays. S’il est concrétisé et mis en place selon les fondements de la régionalisation moderne se basant sur une composition démocratique, un découpage rational et une gestion efficace et transparente comme le veut le souverain, ce chantier constituera une importante plate-forme pour résoudre les multiples problèmes qui freinent le développement et la modernisation du Maroc.
Saïd Khoumri. Le souverain a insisté sur 4 piliers qui constituent la base de travail de la Commission consultative de la régionalisation avancée. Il s’agit des fondements et des constances sacrées de la nation dont l’unité de l’Etat, de la patrie et du territoire. Il s’agit également de l’esprit de solidarité devant prévaloir entre les régions ; de l’équilibre et de l’équité à asseoir dans les prérogatives et les moyens en évitant les interférences qui pourraient avoir lieu entre les prérogatives des communes avec celles des autorités et des institutions. Il s’agit aussi de la décentralisation à élargir dans le cadre de la bonne gouvernance territoriale. Nous devons savoir dès à présent que la vision globale de la régionalisation avancée que proposera la commission ad hoc, après une large consultation des instances concernées, ne pourrait occulter ces 4 piliers. Lesquels sont en fait une feuille de route devant mener au but escompté. Ceci n’empêche aucunement la commission de s’inspirer de quelques expériences étrangères réussies pour en tirer le meilleur, mais sans avoir à calquer quelque modèle que ce soit. Le principe premier est de veiller au strict respect des spécificités marocaines.
Par ailleurs, la régionalisation avancée sera sans nul doute la solution nationale pour résoudre le problème du Sahara. Elle permettra de donner aux habitants des provinces du sud le droit de gérer leurs affaires par eux-mêmes à travers des instances qu’ils auront eux-mêmes choisies. Ceci devra faciliter la mise en place de la proposition marocaine d’autonomie au Sahara, si un consensus sur cette initiative est trouvé à l’avenir. Toutefois, au vu de différentes expériences à travers le monde, la régionalisation avancée ne pourra pas être établie sans découpage territorial adéquat qui permet d’avoir des régions complémentaires sur les plans économique, social et culturel.
Du reste, la régionalisation avancée ne pourrait pas être de la même forme partout. Elle pourrait être très avancée dans les provinces du sud au vu de la spécificité de cette région. Elle pourrait être aussi mise en place d’une manière progressive pour permettre de tirer profit du cumul d’expérience.
En tout cas, quelle que soit l’étendue de la régionalisation, elle ne pourra en aucun cas toucher au principe de l’unité de l’Etat qui continuera à avoir des pouvoirs exclusifs concernant notamment les rôles constitutionnels et de souveraineté ainsi que les rôles religieux du Roi en sa qualité d’Amir Al Mouminine, outre la défense nationale et les relations étrangères.
L’observateur du Maroc
Selon la spécialité de l’un ou l’autre professeur, nous avons posé à chacun des questions spécifiques. Nous avons interrogé Abdeljabbar Arrach sur la définition de la «régionalisation avancée» voulue par le Maroc et si celle-ci serait synonyme d'autonomie.
Réponse : La régionalisation avancée, qui entre dans le cadre d’un changement interne pouvant être encadré par la constitution et les lois nationales, suppose la mise en place d’une série de mesures qui permettent d’élargir la régionalisation administrative au niveau de certaines prérogatives et/ou certains moyens financiers et humains. Elle pourrait permettre aussi de passer d’un mode électoral indirect à un autre direct en lien avec les élections des conseils régionaux sans que cela signifie une régionalisation politique dont l’autonomie est l’une des formes.
Quant à l’autonomie, il est à noter qu’elle traduit un système de gestion régionale qui peut mener à l’indépendance existentielle des organes décentralisés de différentes régions dans le cadre de la souveraineté et de l’unité nationales. C’est là un degré maximal que peut atteindre un Etat unitaire n’optant pas pour le fédéralisme. Il faut rappeler que la régionalisation avancée ou élargie ainsi que l’autonomie sont devenues des modes de gestion territoriaux modernes. Mais le choix de l’un ou l’autre mode dépend de la nature fédérale ou unitaire de chaque Etat… L’étendue de la régionalisation pourrait même différer à l’intérieur d’un même Etat régionalisé. Dans ce cadre, les provinces du sud pourront ainsi bénéficier de larges compétences en comparaison avec d’autres régions du royaume jouissant d’une régionalisation poussée, surtout si une solution politique négociée et définitive était trouvée sur la base de l’initiative marocaine d’autonomie. Quoi qu’il en soit, et malgré les différences internes qui pourraient exister en matière de régionalisation et d’autonomie, leurs points communs restent la souveraineté de l’Etat et son unicité…
A la même question, Saïd Khoumri a répondu.
Il est important de poser cette question pour qu’on puisse lever toute équivoque. La régionalisation avancée dans sa définition la plus simple renvoie à la possibilité donnée aux citoyens dans une zone territoriale donnée à gérer leurs affaires par eux-mêmes à travers des instances régionales élues ayant des prérogatives et des moyens pour réaliser le développement local. Mais sans rupture avec l’Etat et l’autorité centrale. C'est-à-dire que la régionalisation avancée n’est pas synonyme d’indépendance ni de morcellement. Elle est plutôt une forme de gestion locale dans le cadre d’un seul et même Etat. Dans son travail, la commission saura bien sûr lever toute zone d’ombre sur cette question.
Par contre, l’autonomie est régie par des règlements internationaux. Elle se recoupe toutefois avec la régionalisation en ce qui concerne les instances élues localement, les prérogatives et les moyens dévolus à la région.
Autre question posée à Mohamed Haimoud cette fois-ci : ce projet ne serait-il pas trop coûteux sur le plan financier pour un pays manquant de moyens comme le Maroc ?
Réponse Le projet de la régionalisation avancée ne pourrait pas être vu sous cet angle-ci, c'est-à-dire celui du coût supplémentaire dans le cadre d’une réalité financière quelconque. En fait, quand un Etat décide de créer des régions pour la première fois dans le cadre de sa réorganisation territoriale ou qu’il veut seulement renforcer une régionalisation existante pour différentes considérations, ceci ne veut pas dire que ces entités territoriales décentralisées auraient de nouvelles prorogatives qui viendraient s’ajouter à celles existantes et auraient de ce fait des moyens matériels supplémentaires. Cette approche n’est pas adéquate, sachant que la création de nouvelles entités territoriales décentralisées, dont la région, sera une manière d’alléger la charge de l’Etat et renforcer la notion de proximité du citoyen ciblé par les politiques publiques
Donc, dans ce cas nous serons devant une situation de redistribution des prérogatives sur les plans économique, social… Cette redistribution sera accompagnée par une répartition des moyens matériels que l’Etat dépensait habituellement pour atteindre les mêmes objectifs. La question qui se posera plutôt c’est celle de savoir comment cette répartition des ressources matérielles sera effectuée sur les différents niveaux territoriaux.
A noter que l’un des obstacles majeurs sur lequel s’est heurtée l’expérience de la régionalisation instituée par la loi 47-96, c’est celui du manque de moyens financiers. La part de la région ne dépasse pas, au niveau de la fiscalité locale, quelques taxes qui sont en premier lieu dus au titre de la délivrance du permis de chasse, d’exploitations minières réalisées par les concessionnaires et exploitants de mines, de services portuaires rendus dans l’enceinte des ports situés dans la région, sachant que le sens même de ces taxes amène à poser plus d’une question sur sa valeur et même sur leur adéquation avec les potentialités des 16 régions économiques. S’ajoute à cela quelques parts des impôts d’Etat à savoir 1% de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu, en plus d’autres ressources dans la principale caractéristique est la faiblesse de son apport.
A la lumière de ce qui précède, parmi les problématiques majeures qui susciteront l’intérêt des observateurs, celle relative au financement de la régionalisation avancée, surtout en ce qui concerne le volet fiscal. L’étude comparative de cette question nous montre, généralement, que la plupart des pays intègrent les régions dans l’octroi des ressources fiscales. Cela s’effectue soit par le transferts du rendement de quelques impôts en contrepartie des nouvelles prérogatives comme cela se fait en France, ou dans le cadre d’un processus de transfert et de partage entre Etat et régions autonomes comme c’est le cas en Espagne, ou encore en redistribuant les impôts nationaux collectés entre les différentes régions dans le cadre d’une Caisse créée à cet effet, comme c’est le cas en Italie. Il y a aussi le modèle allemand des «landers» où des dispositions constitutionnelles régissent la redistribution des ressources financières entre le centre et les régions. Ainsi, il est clair que cette question épineuse de la fiscalité et autre mode de financement sera l’un des points clés dans le chantier de la régionalisation avancée au Maroc.
Auprès de Said Khoumri nous avons voulu savoir si la concrétisation la régionalisation avancée au Maroc ne va pas chambouler de fond en comble le paysage politique du pays et lui avons demandé de nous parler de son impact sur la vie politique nationale.
Réponse. C’est sûr que la régionalisation avancée aura un impact direct sur le paysage politique et sur la vie politique du pays d’une manière générale. Et pour cause ! Nous serons devant une nouvelle logique de gestion des affaires publiques. Mieux encore, la mise sur pied d’une régionalisation élargie au Maroc aura sans doute un effet direct sur la structure du système politique national. Après plus de 50 ans d’exercice d’une gouvernance centralisée dans le Royaume, malgré la mise en place, d’une manière limitée, du système de la décentralisation et de la déconcentration, l’heure sera à une révision du mode de répartition aussi bien des pouvoirs que des moyens entre le centre et les régions. Le tout selon les principes et les constances sur lesquels le souverain a bien insisté.
Processus de régionalisation
Un retour vers l’histoire ou la construction d’un nouvel avenir
Salima Naji, architecte DPLG - Docteur en anthropologie.
Après une phase de centralisation, l’affirmation de la régionalisation n’est qu’un retour à une tradition multiséculaire. Comme anthropologue, j’ai pu étudier les liens intertribaux persistant de l’Atlas aux franges sahariennes. Le royaume du Maroc s’articulait autour du Sultanat par de multiples liens d’allégeances. L’immensité du territoire était surmontée par un vaste réseau d’institutions religieuses, les zawiyas, qui assuraient le lien entre les hommes. Ce maillage complexe de liens humains permettait aux hommes d’agir collectivement soit pour mettre en œuvre des politiques de solidarités (redistribuant les récoltes lors de disettes), soit pour se mobiliser contre un ennemi extérieur (les zawiyas appelant à la lutte contre les envahisseurs portugais, espagnols puis français). Cette organisation qui permettait au sultan de rayonner jusqu’au rive du fleuve Sénégal et du fleuve Niger fut mise à mal par les puissances coloniales qui cherchèrent à monter les antagonismes pour briser la résistance des populations. Dès lors, la régionalisation fut sans cesse gangrénée par l’idée de dissidence et le mythe colonial du bled siba. Lesquels firent oublier l’entité du Sultan au profit d’idéologies fratricides.
Aujourd’hui, le projet de régionalisation se construit clairement sur deux aspects que sont la mémoire marocaine et l’opportunité de nouvelles logiques de développement. Lire la régionalisation comme le seul héritage du passé serait une erreur car depuis les populations ont recours à de nombreux moyens de communications qui leur permettent de surmonter la distance et d’entretenir des relations avec le monde entier. En fait, la régionalisation est à comprendre comme une réinsertion des habitants dans le politique pour développer des projets cohérents avec leur quotidien. L’extraversion coloniale forcée a volontairement marginalisé des territoires entiers car considérés comme de simples confins à dominer militairement en construisant des frontières garanties par la force des armes. Le drame de Tindouf en est l’héritage. Haut-lieu du commerce transsaharien, sans-cesse évoqué comme un point de transit de tous ces Marocains dont j’ai retrouvé les maisons au Mali, elle est aujourd’hui devenue un camp à ciel ouvert d’individus perdus dans les plus grandes désillusions. Par ailleurs, le Maroc s’est urbanisé et surtout littoralisé transformant la montagne, les vallées sahariennes en des espaces barrières alors qu’elles étaient les charnières d’un immense royaume.
La régionalisation permet la reconstruction d’un projet de territoire. Aujourd’hui, la société civile structurée par de multiples associations a investi ces dernières années le local en proposant une nouvelle politique au sein de la commune. Elle a soutenu des initiatives spécifiques qui permettaient d’ébaucher un projet de développement économique et culturel adapté aux attentes locales et aux opportunités du milieu dans lequel elles vivent. Il suffit de voir les initiatives dans les oasis comme à Tata, à Figuig, à Goulmima ou dans les montagnes comme à Imilchil. Aujourd’hui pointent des regroupements régionaux autour d’un bien commun comme la biodiversité : les associations RARBA de l’arganeraie d’Essaouira à Tiznit. Ces solidarités sont complexes car elles s’articulent à la fois autour de l’histoire commune, certaines rappelant des liens tribaux et des projets nouveaux communs.
Il faut comprendre qu’aucune identité n’est exclusive mais qu’elles sont toutes cumulatives générant une nouvelle génération de jeunes à même de saisir les multiples opportunités. La régionalisation devient alors une chance en participant d’un processus de reconnaissance des spécificités locales et de confiance culturelle. En effet, en dotant la région de plus de pouvoir politique et de capacité à s’organiser selon ses spécificités, cela permettra aux habitants de se sentir valorisés et de pouvoir s’investir dans leurs propres projets. Dès lors, ils peuvent dépasser les antagonismes stériles à l’échelle nationale entre Arabes et Amazighs, entre ceux de Fès et ceux du Souss pour se saisir de leur destin et construire un vivre ensemble complexe. Désormais, l’enjeu sera l’acceptation du découpage régional et surtout la mobilisation de chacun. Accepter la différence régionale n’est pas refuser l’unité nationale bien au contraire, c’est de comprendre la complexité de la décision politique, il est possible de s’identifier à son village, à sa région et à sa nation, tout en adhérant à des mouvements mondiaux que cela soit religieux, culturel ou sportif. L’anthropologie rappelle que dans la différence des formes d’expression perdure un universel.
Or, personnellement, je crois qu’aujourd’hui le Maroc affirme sa voie au sein d’un monde trop souvent déchiré. Cette voie est d’essayer avec ses moyens et ses limites de prendre ses problèmes à bras-le-corps et de proposer ses solutions. Elles peuvent être imparfaites mais elles ont le mérite de mobiliser la société à réfléchir à son devenir loin des sirènes étrangères. Ce sentiment est de plus en plus fort au plus profond des campagnes, des petites villes qui ont connu un développement sans précédent. J’espère qu’elles trouveront leur place dans le projet de régionalisation en bénéficiant des nouvelles logiques administratives et qu’elles puissent participer de nouveau aux projets politiques. En tant qu’architecte, j’espère qu’elles pourront affirmer leur identité architecturale pour construire leur propre modernité et non pas une fausse modernité plaquée de l’extérieur, qu’elle soit néomauresque, casablancaise cheap ou émiratie. En architecture, nous avons des héritages régionaux d’une grande richesse mais qui sont méconnus : ils mériteraient d’être attentivement analysés et non balayés d’un revers de la main, comme c’est hélas trop souvent le cas.
Repositionnement économique des régions
Fatima Zohra Jdily
Le Maroc a adopté le concept de la région dès 1992. Il s’agissait alors de la «constitutionnalisation de la régionalisation». Cette dernière est devenue, depuis lors, une entité constitutionnelle. La notion de la Région a vu le jour au Maroc dans l’objectif d’encourager la décentralisation et, comme prévu dans la loi de1997, la consolidation des acquis démocratiques au niveau de l’administration, ainsi que la perfection des conditions socio-économiques des citoyens. Après 14 ans d’expérience, plusieurs régions n’avaient pas évolué. Les chiffres laissent apparaître la prédominance de l’axe côtier Kenitra-Rabat-Casablanca-El Jadida. Cette région continue à être le point focal de l’économie marocaine. D’après Rachid Talbi Alami, président du Conseil de la région du Nord, la régionalisation telle qu’elle a été conçue en 1996 est loin d’assurer une croissance en libérant le potentiel régional. C’est à travers la régionalisation conçue en 1996 que des disparités profondes entre populations ont été générées, précise-t-il. N'est-il pas temps de changer pour passer d’un modèle centralisé à un autre modèle propre à chaque région ? Justement si. Pour R. Talbi Alami une autre régionalisation est possible. Pour d’autres, il y a même urgence pour une régionalisation graduelle et avancée. Fathallah Oualalou, maire de Rabat, fait savoir que la crise mondiale pourrait donner lieu à un système fondé sur les pôles, avec l'apparition de nouveaux centres économiques mondiaux.
F. Oualalou estime que le Maroc sera appelé à la diversification économique en vue de la réalisation d'un taux de croissance notable, tout en mettant l'accent sur la dimension régionale. De son côté, Driss Benali, professeur universitaire, estime que la crise mondiale dicte aux pays en développement d'opter pour une vision réaliste et de poser les questions des choix stratégiques en matière économique, tout en ?uvrant davantage à la mise à niveau des secteurs économiques au niveau régional. Un regard prospectif sur l'avenir de l’économie marocaine a été porté dans ce sens par Larbi Jaïdi, professeur à l'université Mohammed V, Agdal Rabat, avec l'importance de la construction de pôles de compétitivité régionale dans la dynamique de territoires. Comment donc assurer un développement réel et une croissance économique face à une mondialisation grandissante et un environnement international où l'économie marocaine est engagée via la signature de nombre d'accords de libre échange et l'afflux notable des investissements directs étrangers vers les différents secteurs nationaux? Il est clair que le redéploiement des fonctions de la région pour renforcer l'attractivité économique du territoire s’avère impératif. Selon Larbi Jaidi, il est nécessaire de revoir le concept sur de nouvelles bases.
Changements
D’après Ali Belhaj, président du Conseil de la région de l’Oriental, le Maroc est entré dans une nouvelle ère avec la régionalisation élargie et avancée. Pour lui, cette initiative s'inscrit dans le cadre d'une série de réformes entreprises au Maroc pour renforcer le processus démocratique, nécessitant l'adoption de mesures pour promouvoir la régionalisation et la hisser à un niveau qui permet d'accorder aux institutions régionales des compétences élargies. Quant à Hamid Narjis, président du Conseil de la région de Marrakech, il considère que la réforme de la région au Maroc va de pair avec les changements que connaît le pays, particulièrement ceux relatifs au développement humain et à la croissance économique du pays. Mohamed Sajid, maire de Casablanca, souligne de son côté que le discours royal illustre une vision judicieuse dans le traitement des questions et des défis dans une étape historique que traverse le Maroc. Certes, la régionalisation constitue une consolidation de l'édifice démocratique et une forte volonté de changement et de rénovation. Mais économiquement parlant, que signifie exactement le concept de régionalisation avancée? Selon R.Talbi cette nouvelle vision de la régionalisation va instaurer un équilibre économique entre les différentes régions tout en considérant leurs propres richesses. Plus, la régionalisation avancée veut dire un positionnement concurrentiel. Pour A. Belhaj, la régionalisation est un outil de promotion de la diversité culturelle, de l’économie et de la richesse. Ainsi, de gros efforts devront être consacrés à la mobilisation des compétences et des ressources afin de renforcer la compétitivité des entreprises au niveau des régions. L’Oriental est considéré par A. Belhaj comme un pôle de compétitivité d'avenir. Selon lui, cette région regorge de potentialités dont il convient d'accélérer la cadence d’exploitation. Il précise que la promotion et le développement de l'Oriental devraient se faire dans une démarche d'intelligence économique, conformément à ses missions d'accompagnement du développement régional.
Diversité
Le projet de régionalisation avancée n’implique pas une application uniforme à toutes les régions. R.Talbi Alami affirme que la régionalisation avancée permettra d’atteindre le développement humain et la croissance économique escomptés, car chaque région gérera ses affaires selon ses spécificités et ses ressources, tout en conservant le principe de solidarité entre les régions. Si la régionalisation conçue en 1996 s’est heurtée à l’insuffisance des ressources humaines et à l’insuffisance des ressources financières permettant aux régions de réaliser leurs programmes, la nouvelle vision marque une rupture avec le passé. Mohamed Sajid a rappelé à ce propos que l’interaction interrégionale, telle qu’elle a été évoquée dans le discours royal, est un appel au renforcement des relations entre les régions dans la perspective du développement globale et durable.
Ali Belhaj, président du Conseil de la région de l’Oriental
La régionalisation conçue en 1996 a montré ses limites. En revanche la régionalisation avancée est le fruit d’une époque et d’une vision. Aujourd’hui, ce qui est sûr c’est que l’économie doit prendre de la valeur dans le processus de développement. Le rôle de la région devient le développement de tout ce qui est lié à l’investissement, tout ce qui est organisation (Centre régional de l’investissement, agences de développement...). A mon avis, ce sont des entités qui doivent être rattachées à la région. Au niveau de l’Oriental, ce qu’on voudrait c’est s’approprier cette vision comme cela devait être pour toutes les régions du royaume. Le changement de gouvernance voulu en haut lieu doit être compris et approprié par «le bas».
Rachid Talbi Alami, président du Conseil de la région de Tanger Tétouan.
Le discours royal est un tournant dans l’histoire du Maroc. La régionalisation avancée est un acte politique qui transforme complètement le système de gouvernance locale dans le pays. Cependant, la régionalisation n’est pas une fin en soi. C’est un outil qu’il faut mettre en place pour produire un développement économique et social. La région de Tanger-Tétouan se développe rapidement vu l’importance que lui donne Sa Majesté et vu les gros chantiers qui y sont lancés… Aujourd’hui, il va falloir reconstruire un nouveau modèle qui convient à la réalité de la région.


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