Cette année une impressionnante bibliographie traitant de lislam a envahi la scène intellectuelle marocaine. À ce titre linstitut français a fait appel à une multitude de spécialistes pour discuter de «la redécouverte de lislam». Voici les principaux ouvrages publiés cette année et médiatisés auprès du lectorat marocain. «Face à lIslam», le titre choisi par A. Meddeb pour son dernier ouvrage, évoque bel et bien une confrontation avec la troisième religion monothéiste. Apparemment influencé par les méthodes sociologiques de lécole américaine, fondées sur lanalyse des rites, lauteur a voulu à tout prix confondre lIslam et son histoire... Durant sa discussion avec Philippe Petit, Abdewahab Meddeb reste très éloigné de lacadémisme. Ainsi des questions comme : «lIslam est-il conciliable avec la république ?» ou «lIslam est-il rebelle à la pensée critique?» renvoient plutôt à un discours polémique plus quanalytique. Par conséquent, les idées exprimées par lauteur ne sont pas arrivées à sortir du vaste cadre théorique établi par les penseurs orientalistes du XIXème siècle, moment de leur découverte de lIslam. Un exemple rapporté par A. Meddeb pourrait nous éclairer davantage sur la question: «Il y a eu un débat vers 1986, si je me souviens, au parlement égyptien, sur les Milles et Une Nuits. Il a abouti à la décision den interdire la diffusion en raison de leur immoralité, de leur pornographie incitant à la débauche. Voilà ce qui arrive à une société pervertie par lintégrisme...». Les religions peuvent-elles encore dialoguer ? «Communier et excommunier : telles sont les deux fonctions antagonistes du lieu religieux, qui lutte contre lisolement et broie les rébellions. Le broyage collectif se retrouve dans toutes les guerres, dont certaines sont dites «de religion». Le concept date du 19ème siècle agnostique, car il suppose que deux doctrines adverses soient tenues pour égales». Cet extrait du «Petit lexique des guerres de religion dhier et daujourd'hui» dOdon Vallet (*) ne serait-il pas trop réducteur du sens religieux que requiert la notion dappartenance ? Ici, la notion d«excommunion» serait en totale contradiction avec la notion de «dialogue» des religions. Relire le Coran : la nouvelle «vogue» intellectuelle Une relecture innovante du Coran : voilà le thème principal du récent ouvrage de Rachid Benzine. Les penseurs, portés en exemple, dans son écrit témoignent que laventure consistant à lever le voile sur le secret du Coran est une entreprise très dangereuse. «La raison islamique», paraît-il, reste intransigeante là-dessus. Rachid Benzine en a parfaitement conscience : «je nose jamais parler avec ma mère de ce sujet», avait-il assuré à une jeune fille de lauditoire qui avait montré certains doutes quant aux objectifs de son projet. Cest dire si les «nouveaux penseurs» de lIslam, quil a proposés, sont, quelque part, «maudits» par une opinion publique qui ne saisit jamais la subtilité de leur analyse. Lexemple de Nasr Hamid Abu Zaid, divorcé de sa femme par décision dun tribunal égyptien, dans les années 90, est éloquent a ce sujet. Pourtant, lenjeu de Rachid Benzine est autre. Il nentend pas démontrer lhistoricité du discours coranique uniquement pour le désacraliser. En lieu et place de cette finalité vaine et dangereuse à la fois, le chercheur marocain propose une nouvelle approche de lecture du texte sacré, basée sur «les dernières conclusions des sciences sémantiques et linguistiques». Ainsi, la proposition (ou la thèse) sur laquelle il travaille actuellement serait de «situer la révélation divine à Mohammed, conduite par lAnge Gabriel, dans le champ sémantique des langues dites sémites». Ceci conduirait à des résultats tout à fait inattendus. Rachid Benzine est convaincu de la capacité de persuasion de sa méthode au point quil a détaillé un exemple à laudience, en récitant «Ayate Al Korssy», très chère aux Musulmans, selon ses dires. Apparemment sans arrières-pensées, la méthode proposée par Rachid Benzine na pu être exposée de façon claire devant lauditoire. À cause de sa grande technicité, sûrement Débat sur le fanatique et le politique «Tirs croisés : la laïcité à lépreuve des intégrismes juif, chrétien et musulman» (éditions Calman Lévy), tel est le titre de louvrage des deux auteurs Caroline Four et Fiametta Venner. Les deux écrivains sont plutôt connues pour leur lutte contre lextrême droite française. Dailleurs, cest cette opposition farouche qui semble à lorigine de la réflexion quelles entendent développer devant le public qui sera présent à lIFC, puisque l«extrême-droite» française a été associée à l«extrême-droite» musulmane. Mais ce nest pas tout. «Depuis le 11 Septembre, le monde vit dans la hantise du terrorisme musulman. Mais ce traumatisme na pas permis une réflexion en profondeur sur la source de ce terrorisme : lintégrisme», peut-on lire dans la note de présentation de louvrage. Il sagirait donc, pour les deux auteurs, dun fond commun qui lierait tous «les intégristes» du monde. Le terrorisme, dans ce cas, ne serait pas la spécificité dune religion précise, en loccurrence lIslam. Lslam fanatique comme cible Ainsi, «la véritable ligne de fracture, loin de séparer lIslam du «reste du monde», pourrait surtout séparer, partout dans le monde, les démocrates des théocrates. Autrement dit, les partisans dune cité ouverte, tolérante et protectrice des libertés individuelles, des fanatiques, fondamentalement daccord pour prendre la laïcité sous les tirs croisés de leur fanatisme». Dapparence séduisante, la réflexion de C. Fourest et F. Venner pourrait pourtant être taxée d«irréalisme». Lextrême-droite européenne, et même celle qui existe maintenant en Israël, est une tendance plus politique que religieuse. Son intolérance sexerce plus sur le terrain que dans le discours. Avant les attentats terroristes du 11 Septembre 2001, le fondamentalisme religieux, tel quil est décrié actuellement, existait bel et bien depuis des décennies. Cest son alibi politique (loccupation de la Palestine) qui mériterait dêtre approfondi et non pas uniquement ses sources idéologiques. Le livre analytique proposé par les deux auteurs a pris comme cible «lIslam fanatique» sans chercher à lui donner une assise politique.