* Si lauto-emploi figure parmi les moyens de résorption du chômage, les données restent insuffisantes pour en mesurer le vrai impact. * En matière de création dentreprises, il faut sintéresser à lexpérience du secteur informel et lui donner les moyens de se formaliser. * Entretien avec Mostefa Boudiaf, responsable de programmes au département emploi et développement des compétences, Centre International de Formation de lOIT de Turin. Finances News Hebdo : Quelle différence existe-t-il entre une politique demploi et une politique active du marché du travail ? Mostefa Boudiaf : Les politiques actives du marché du travail ont pour fonction essentielle de corriger les distorsions des politiques demploi ou déconomie quand elles narrivent pas à absorber les flux de demandeurs demploi. Ces politiques actives aident dans ce sens les gens que léconomie na pu absorber en leur apportant justement ce qui leur a manqué pour intégrer le marché de lemploi, quil sagisse de compétence ou de financement. Parmi ces politiques actives du marché du travail figure laide à la création dentreprises ou, en dautres termes, le travail indépendant ou auto-emploi. F. N. H. : Peut-on tirer profit des expériences dautres pays malgré les grands clivages ? M. B. : Dans les ateliers sur le travail indépendant, beaucoup dexpériences ont été menées dans divers pays, mais dont certaines ont des données en commun, notamment une importante population jeune, une reconversion du système économique; et le point de convergence le plus significatif entre ces pays est un taux de chômage important chez les jeunes. Léchange dexpériences est dans ce sens très important. F. N. H. : Lemploi indépendant représente-t-il dans ce sens un bon moyen de résorption du chômage ? M. B. : Daprès ces présentations, il ny a pas eu suffisamment dinformations qui permettent de dire que le travail indépendant est un bon moyen dintégrer les jeunes dans le monde du travail, sil a eu un bon impact sur le taux de chômage notamment la jeunesse des différentes expériences. F. N. H. : Quels sont les outils de mesure de la pertinence dune politique demploi ? M. B. : Lévaluation dune politique demploi ou du dispositif mis en place est nécessaire, puisque cette évaluation permettra de voir si lon a atteint les objectifs assignés et, de lautre côté, elle permet de savoir, dans les ressources humaines mobilisées, si le rapport qualité/prix en vaut la peine. La question qui doit être posée est : combien nous a coûté la résorption du chômage ? Car cest de largent du contribuable quil sagit. Il faut peser le pour et le contre dune politique dauto-emploi et se demander sil nest pas plus judicieux de verser une allocation-chômage au lieu de se lancer dans une politique qui coûtera cher aux contribuables sans pour autant atteindre les objectifs escomptés. F. N. H. : Lors de cet atelier, lexpérience de lANAPEC, Moukawalati, a été présentée. Quelle en est votre évaluation ? M. B. : Pour revenir à lexpérience de lANAPEC concernant le travail indépendant via Moukawalati, cest une expérience très jeune et il est trop tôt pour faire une évaluation. Mais durant cette courte période, lANAPEC a pu identifier certaines difficultés relatives à ce programme, notamment le financement qui peut constituer à lavenir un élément de blocage. Lorsquon met en place un pareil dispositif, cest dans la perspective dencourager lentrepreneuriat des jeunes qui est en soi une bonne démarche, très saine et de toute façon nécessaire, indépendamment du problème du chômage. Car la création dune entreprise fait partie dune démarche économique saine. Ce serait dommage de voir lentreprise uniquement comme une réponse à un problème social quest le chômage. Lentreprise doit avoir des ambitions beaucoup plus importantes que cela et cest cette dimension quil faut également prendre en considération, notamment par les pourvoyeurs de fonds. Ce serait une vue très restrictive du rôle dune entreprise ; cest le vieux débat ! F. N. H. : Daprès les différentes interventions, émerge-t-il une méthode qui peut être citée au niveau du Maghreb comme une réussite en matière de création dentreprises ? M. B. : Pendant latelier Emploi Indépendant, nous navons pas eu assez de chiffres pour pouvoir évaluer la pertinence de ce moyen dans certains pays. Je peux néanmoins citer lexemple de lAlgérie qui a élaboré, depuis une dizaine dannées, un système daide à la création dentreprises. Bien quil nexiste pas de données sur le coût de ce système, le volume dentreprises créées reste significatif et, surtout, ils ont mis les mécanismes qui ont permis dalléger les contraintes liées à la création dentreprises en mettant en place un fonds de garantie, qui est un fonds de lEtat certes, mais financé en partie par les taxes et par les contributions des créateurs demploi. Ce mode a permis de lever les hésitations quaffichent les banques pour financer les jeunes. Ce fonds a été un élément déterminant, mais qui naurait pas abouti sans les efforts de lagence de soutien à lemploi des jeunes qui a beaucoup travaillé pour emmener les parties concernées à créer ce fonds de garantie. F. N. H. : Les difficultés sont-elles les mêmes pour les pays du Maghreb que pour les autres pays africains ? M. B. : Les autres pays africains ont eux aussi des difficultés de financement, de structures, de service public. Par contre, ils ont un grand avantage sur lequel les pays du Maghreb pourraient prendre exemple, cest le traitement de la question du secteur informel. Ce secteur est composé de jeunes qui nont pas pu intégrer le marché du travail par le circuit normal, qui nont pas bénéficié daides mais qui ont pu créer leurs entreprises, petites ou moyennes, et qui méritent de ce fait quon sintéresse à eux. Ils sont quelque part devenus entrepreneurs et il faut voir comment renforcer leur culture entrepreneuriale, leur donner les rudiments de gestion dune entreprise et leur apporter une aide à même de les emmener vers le secteur formel. Cest un gain. Ces gens se sont lancés dans la bataille pour créer leur entreprise avec les moyens du bord ; ce serait donc le moment de sintéresser à eux.