* Les données communiquées par le HCP sont purement statistiques et sont fondées sur des définitions qui méritent dêtre revues aujourdhui. * La corrélation entre la croissance et lemploi nexiste pas. * Dans le contexte actuel, la PME, principale composante du tissu économique écartée des marchés internationaux, narrive pas à créer de lemploi. Finances News Hebdo : Le HCP vient dannoncer que le taux de chômage entre les troisièmes trimestres 2006 et 2007 a baissé de 10,1% à 9,9%. Quel regard portez-vous sur ce taux ? Mehdi Lahlou : Mon regard sur ces chiffres est que pratiquement depuis deux à trois années, le HCP annonce que la statistique du chômage sest améliorée dune façon globale. A noter quà un moment donné, surtout à fin 2005 et début de 2006, on a parlé dun recul dà peu près 7,5% et qui est de nouveau remonté à plus de 7%. Et puis encore une hausse de 9,5%, ensuite dune petite baisse à 9,9%. Le problème est que sans entrer dans le détail des statistiques, il y a une amélioration globale dans certains secteurs et notamment les secteurs du bâtiment et travaux publics et du tourisme. Cest clair que dans ces deux secteurs, on sent quil y a une dynamique nouvelle et une évolution politique. Donc, ce sont deux secteurs qui ont pu créer de l emploi. Mais de manière générale, lagriculture reste à la marge de toute cette évolution. Donc, hormis ces deux secteurs et peut-être quelques nouvelles créations demplois dans certaines industries, et notamment celles concernant lautomobile, je ne suis pas sûr que lamélioration de la situation de lemploi soit telle quelle est décrite par le HCP. F.N.H. : Justement, est-ce quil ne faut pas craindre que cette amélioration soit conjoncturelle dans la mesure où elle est boostée par deux secteurs ayant reçu un appui particulier de la part des pouvoirs publics et quune chute brutale de lemploi soit inévitable à lhorizon ? M. L. : Plus quune évolution conjoncturelle, je peux dire surtout que cest très partiel. La création nette de 111.000 emplois en un an est relativement peu, malgré tout. Parce quen un an aussi, il y a une demande demplois largement supérieure. Donc, à la limite en retenant même cette donne, on peut dire que le nombre de chômeurs a augmenté. Donc comme je lai dit, il y a une embellie partielle dans deux secteurs qui sont le BTP et le tourisme. Des avancées certes, mais trop faibles dans le secteur de lindustrie. Pour le reste, la situation na pas pour autant changé, notamment dans le secteur qui va de pair avec le monde rural à savoir lagriculture. En fait, mon point de vue personnel est que les données communiquées par le HCP sont purement statistiques et quelles sont fondées sur des définitions qui méritent dêtre revues aujourdhui. Ces définitions ne sont pas les bonnes et ne sadaptent pas à la réalité marocaine. F.N.H. : Est-ce que vous pouvez vous expliquer davantage ? M. L. : Là, je retiens deux éléments qualitatifs importants pour lanalyse. Le premier est quon ne peut pas dire actuellement, en 2007, au Maroc, que le taux de chômage en milieu rural serait dà peine 3%. Cest impossible. Cest impossible pour maintes raisons. La première est limportance de lexode rural. La seconde est la prévalence de la pauvreté dans le milieu rural. Parce que là où il y a une élévation de lactivité, il y a une élévation du taux de lemploi et donc une augmentation des ressources. Donc, dans une région où il y a une augmentation de lemploi et des ressources, on ne peut pas imaginer quil y ait un exode rural. Et par ailleurs, comme il y a une forte pauvreté, on peut imaginer que les emplois dont on parle ne le sont pas véritablement. Ainsi, on ne peut considérer comme valable un taux de chômage de 3% dans le milieu rural. Le second élément qui doit nous pousser justement à réviser notre raisonnement, en matière demploi dune manière générale, et dans le milieu rural dune façon particulière, est le fait de dire quil y a aujourdhui au sein de la population active et qui travaille effectivement près de 29% de personnes qui sont considérées comme ayant un emploi mais ne disposant pas de ressources. Il y a une disjonction entre lemploi et la ressource parce quà la limite quelquun qui prétend quil travaille chez lui (notamment les femmes rurales) relève plutôt du travail domestique; mais le HCP considère que cest de lemploi formel et que cette population fait partie de la population active. Deux réserves majeures qui font douter des statistiques de lemploi publiées par le HCP. Il sagit plutôt de statistiques politiques. F.N.H. : On remarque aussi que le chômage des jeunes diplômés reste élevé. Est-ce que, daprès-vous, le réaménagement fiscal en faveur de lIR adopté dans la Loi de Finances 2007 nest pas suffisant et quil est désormais impératif de réfléchir à dautres mesures ? M. L. : Cela na pas dinfluence. En fait, ce qui bloque les entrepreneurs et lauto-emploi cest principalement, et cela dure depuis de très longues années, la forme du marché. Cela veut dire que ce sont de très petites entreprises qui offrent leurs services pour le marché local. Or, le marché local étant ce quil est ne constitue pas une opportunité importante pour ces entrepreneurs. Et par ailleurs, ces derniers ne sont pas orientés sur le marché international à défaut de moyens. Pis encore, la plupart des marchés publics sont réservés aux grandes entreprises; et donc la PME nest pas bénéficiaire, alors que depuis plusieurs années ces jeunes promoteurs, en plus des études de faisabilité dont ils ont besoin, en plus des aides fiscales auxquelles ils aspirent et en plus des aides préalables à la constitution des entreprises quils souhaitent, ont besoin aussi dun marché pour eux. Et lun des marchés est justement le service public qui reste lapanage dun segment bien déterminé. F.N.H. : A quel niveau peut-on parler de corrélation croissance et emploi dans une économie comme la nôtre ? M. L. : Aujourdhui, on na pas cette corrélation. Les secteurs créateurs demplois sont pour la plupart des secteurs extravertis, notamment pour le tourisme. Pour celui du bâtiment, cest un secteur avec de grosses dépenses et de gros investissements qui ont des effets directs sur lemploi. Et pour une partie des industries telles que Renault, ce sont des investissements très capitalistiques et donc ils nont pas une interférence directe et importante sur lemploi. Avec un taux de croissance de 7% ou 8% et un taux dinvestissement de 26% on aurait, à productivité égale, pensé que lemploi aurait augmenté de 5 à 6% en moyenne. Alors que laugmentation de lemploi ne se fait pas dans ce rapport . Ce qui veut dire que malgré limportance de la productivité des investissements nouveaux, la création de lemploi est moindre. Ajoutons à cela lAdministration qui ne crée pas demplois. F.N.H. : Le Budget 2008 prévoit la création de 16.000 emplois. Est-ce que cet objectif est réalisable dans un contexte que lon ose dire morose ? M. L. : Le Budget 2008 parle de 16.000 emplois, mais il faut comprendre quil ne sagit pas demplois nets. Parce que le Budget ne parle pas du remplacement des gens qui partent à la retraite. F.N.H. : Quels sont, daprès-vous, les défis à relever pour les années à venir ? M. L. : Pour les années à venir, il y a trois défis qui sont intimement liés. Il y a le défi de la compétitivité et celui de la concurrence sur le marché de lUnion européenne, mais aussi le marché turc ou celui américain. Cest un défi majeur qui détermine la place du Maroc sur les marchés internationaux et un des déterminants majeurs du déséquilibre de la balance commerciale, le taux de couverture des importations par les exportations étant passé à moins de 50%. Et puis les deux autres défis sont la lutte contre la pauvreté et celui qui lui est attaché, la lutte contre le chômage.