La loi sur l'interdiction des signes religieux dans les établissements scolaires publics en France a été très décriée par les Musulmans de France. Et nous sommes encore si imprégnés de leurs critiques qu'il nous paraît difficile d'imaginer des arguments en sa faveur. Pourtant, ces justifications existent. Certaines sont probablement vraies, tandis que d'autres sont purement « circonstantielles ». L'important est que cette loi a été entérinée par la plus haute autorité française. Les Musulmans de la République, qui ne se faisaient pas d'illusions sur le fondement laïc de l'Etat d'accueil, paraissent actuellement acculés inévitablement à réagir, et surtout à expliquer que le port du voile n'est pas un signe religieux dans le credo islamique. « Si la religion ne venait pas mettre un frein aux dérèglements des Hommes, c'est-à-dire si elle ne les faisait pas balancer entre l'espérance et la crainte religieuses, la société serait dans un état de perpétuelle agitation, ou encore dans un état de répression constante et omniprésente ». C'est tout à fait contre cette idée de N. Machiavel que la philosophie de l'Etat français s'est construite. Le pays le plus laïc du monde a pourtant connu des vagues migratoires, qui ont apporté évidemment avec elles de nouvelles valeurs, pas toujours concordantes avec l'ordre public français. Les signes religieux, qui sont censés être interdits par la nouvelle loi, ne sont en fait qu'une transposition du vaste débat autour de l'Islam, qui se déroule à l'heure actuelle. Réclamer maintenant que l'école soit un lieu « neutre » où le savoir devra être le maître mot est le premier prétexte invoqué par le gouvernement de J. Chirac. C'est une autre tentative réussie pour que l'Etat et la société ne puissent pas se coïncider là où il ne faut pas que cela survienne. Autrement dit, au lieu donc de ne pas refléter la diversité religieuse, il vaut mieux quela société française soit sans religion. Par cette manière, le gouvernement de J. P. Raffarin a cru bon d'épargner à la cinquième République les mutations qui s'opèrent au sein de la jeunesse estudiantine de l'ancienne métropole. L'attitude adoptée par le chancelier allemand Gerhard Schröder est très significative et résume parfaitement le dilemme dans lequel le législateur français s'est enfermé. Il a évoqué le fait que l'Allemagne « se prononce en faveur de l'interdiction du voile pour les fonctionnaires, y compris les enseignantes, mais pas pour les élèves ». « Les foulards, a-t-il estimé, n'ont pas leur place chez les employés de l'Etat, y compris chez les enseignantes. Mais je ne peux pas interdire à une jeune fille d'aller à l'école avec un foulard ». Voulant justifier cette attitude que tous les Musulmans de France auraient souhaité qu'elle soit prise par J. Chirac, le chancelier allemand a rappelé que son pays est « un Etat sécularisé, influencé par trois grandes traditions : la philosophie gréco-romaine, la religion judéo-chrétienne et l'héritage du siècle des lumières » . Il faut avouer que le souci d'intégrer tous les citoyens sous l'égide d'un seul traitement est clair dans ce projet d'interdiction du voile, seulement le moment où cette loi a été adoptée révèle aussi son aspect, non pas opportun, mais « opportuniste ». L'imbrication entre le port du voile, comme devoir religieux des Musulmans, et la charge politique qu'il représente a permis au gouvernement français de choisir la solution la plus facile à prendre. Autrement dit, l'apparente intransigeance sur les fondements laïcs de la République française a réussi à masquer un conflit qui commence à naître entre le catholicisme et l'Islam, considéré comme la deuxième religion en France. Ce conflit a toujours pris des allures non violentes. Sa résolution se faisait souvent au moyen de débats et quelquefois, les gens sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement. Actuellement, l'interprétation rigide et réductrice qui a identifié le voile islamique à un « signe » religieux s'apprête plus à une nouvelle idéologie en France, basée essentiellement sur la rupture avec la tolérance. Le problème du voile n'a pas d'abord été formulé pour que le législateur français puisse prétendre lui trouver une solution. La liberté a certainement des limites lorsqu'elle tend à influencer le comportement de l'autre ou à susciter chez lui une certaine frustration, mais on voit mal comment une croix suspendue à l'oreille, une kippa, ou un foulard transgressent le vaste univers symbolique de la laïcité. L'école publique française a certes uvré depuis sa création au début du 20è siècle à une socialisation politique uniforme pour les habitants de l'Hexagone, seulement sa « déviance » est difficilement explicable. Il suffit de constater que les Musulmans ont senti qu'ils ont été les premiers concernés par cette loi, pour se convaincre que la laïcité en France semble être synonyme d'un anti-islamisme. Le silence des citoyens juifs de France est aussi révélateur de la tendance réelle de la laïcité de l'école. La réaction du chef spirituel de l'Eglise anglicane, Rowan Williams, constitue d'un autre côté une exception. Pour lui, « le laïcisme dogmatique du gouvernement français devient très provocateur et très destructeur. Un certain nombre de Chrétiens ont dit qu'ils défendraient cette question précise aux côtés des Musulmans ».