Fléau mondial, la cybercriminalité n'épargne pas les enfants marocains. Les dangers encourus donnent froid dans le dos, vu la méconnaissance et le vide juridique en la matière. Les détails avec Khalid Cherkaoui Semmouni, président de la Coalition contre les abus sexuels sur les enfants (COCASSE). Finances News Hebdo : Dans quelle mesure l'usage d'Internet expose-t-il les mineurs au risque de se voir abuser sexuellement ? Khalid Cherkaoui Semmouni : Le Web est devenu ces dernières années le canal d'informations le plus utilisé par les jeunes. Ils sont de plus en plus nombreux à posséder un smartphone ou une tablette et accèdent à Internet quel que soit l'endroit où ils se trouvent. Les enfants qui utilisent Internet se retrouvent à un moment ou à un autre face aux risques bien réels, allant du vol d'informations personnelles à la violence et au harcèlement sexuel en ligne, en passant par des arnaques diverses et variées. Ils constituent de ce fait une cible privilégiée pour les malfaiteurs du net : grands consommateurs de contenus ludiques et des réseaux sociaux, ils n'ont pas le recul ni l'expérience suffisants pour discerner une situation à risque. Selon plusieurs études, plus d'un enfant sur deux aurait été abordé par des inconnus en ligne et l'ONU estime à plus de 750.000 le nombre de prédateurs cherchant à entrer en contact avec des enfants sur Internet. Les méthodes employées par les pédophiles montrent souvent des approches insidieuses, avec de longues périodes de dialogue via les messageries instantanées afin de créer un climat de confiance. Souvent l'objectif final est d'organiser une rencontre physique. Les réseaux sociaux sont excellents pour tisser des liens sociaux et s'exprimer. Les enfants les adorent. Mais ils n'ont pas toujours le recul nécessaire pour estimer la valeur des informations qu'ils partagent avec le monde entier. Aussi, plus les enfants sont jeunes, plus ils sont harcelés sur Internet. Autre facteur de risque : le temps passé sur la toile. Plus un jeune passe du temps sur les outils numériques, plus il est exposé à ce danger. Les études montrent que dans toutes les familles équipées en haut débit – soit 80% des familles avec enfants – les parents, et je dis bien les parents, passent moins de temps à communiquer avec leurs enfants. C'est une évolution inévitable. De plus en plus, les familles réelles vont être remplacées par les familles virtuelles. Les jeunes cherchent des «e-parents», des «e-grands-parents». On évolue vers une famille dont les liens intrafamiliaux laisseront de plus en plus de place aux liens extra-familiaux, avec des familles de substitution. F.N.H. : Est-ce le cas aussi au Maroc ? Kh. Ch. S. : Ce fléau est mondial duquel les enfants marocains eux aussi ne sont pas protégés. En effet, les e-mails, la messagerie instantanée ou les réseaux sociaux sont des moyens de communication extrêmement pratiqués par les enfants au Maroc, pour échanger avec ses amis ou sa famille. Mais c'est aussi une porte ouverte aux personnes aux intentions dangereuses. Un enfant ou un adolescent avec un compte Skype renseigné ou un profil Facebook public s'expose à des contacts avec des personnes inconnues. Ça se passe au Maroc régulièrement. Un sondage réalisé au Maroc par l'UNICEF a montré une faible reconnaissance du danger existant sur Internet. En effet, seuls 15% des sondés estiment que les enfants et adolescents risquent d'être sexuellement maltraités ou trompés en ligne, mais ils sont 99% à dire que la sécurité et la confidentialité en ligne sont importantes. Autres constats : 68% pensent échapper à la cyber-violence ou aux abus en ligne; 9% pensent que leurs amis participent à des comportements risqués en ligne; 78% restent confiants dans leur propre comportement; 88% disent qu'ils savent comment réagir afin d'éviter des situations risquées en ligne; 92% affirment savoir traiter des propos sexuels non désirés faits par des personnes en ligne; 73% pensent s'adresser aux parents ou tuteurs en cas de menace, 83% à des amis et 37% affirment qu'ils en parleraient à un enseignant. F.N.H. : Quels sont les signes avantcoureurs d'un enfant en proie à la cybercriminalité et quelles en sont les conséquences ? Kh. Ch. S. : Selon des études, la confrontation de jeunes enfants à des images pornographiques peut avoir pour effet de créer de véritables peurs ou angoisses, en particulier chez les plus petits. Certains enfants peuvent essayer de reproduire ce qu'ils ont vu à l'écran. D'autres enfin peuvent considérer l'accès à ces images comme la transgression d'un interdit semblable à la réalisation d'un exploit. Une fois cet exploit réalisé, ils passent à autre chose. Les enfants qui ont été témoins de la violence sur Intenet peuvent avoir des problèmes émotifs et de comportementaux variés, comme une pauvre estime de soi, des cauchemars, le blâme d'eux-mêmes, et l'agression de leurs membres de leur famille. La violence sur Internet peut également se traduire par des résultats scolaires qui chutent, une baisse d'intérêt pour les loisirs, des troubles de sommeil, des somatisations avec répétitions de maux de ventre ou de migraines. Parmi les changements de comportements observés : un enfant qui ne sort plus pendant la récréation, qui va fuir systématiquement ce moment et se réfugier dans les toilettes ou les couloirs, un enfant qui ne mange presque plus à la cantine pour éviter la présence des autres élèves. Aussi, une recherche du Réseau EducationMédias sur les effets de la violence dans les médias (dont Internet) fait mention des conséquences suivantes : les enfants qui consomment des contenus médiatiques d'une grande violence sont plus susceptibles de devenir agressifs; les enfants qui regardent des contenus médiatiques violents risquent d'avoir des comportements agressifs à l'âge adulte; la violence dans les médias éveille chez certains enfants des sentiments de peur; la violence dans les médias rend insensible à la véritable violence; les grands consommateurs de violence dans les médias ont tendance à croire le monde beaucoup plus dangereux qu'il ne l'est. F.N.H. : Bien que virtuel, le danger menace psychologiquement et parfois physiquement les enfants. La loi suitelle pour autant ? Kh. Ch. S. : Le crime cybernétique est comme tout acte inclus dans la catégorie des crimes pénaux, comme l'abus sexuel, le harcèlement, la violence, la falsification de cartes de crédit, l'espionnage, le chantage, l'escroquerie, les menaces des mineurs. En effet, dans le monde virtuel, l'intégrité d'un personnage est à peu près comparable à l'intégrité physique d'un être réel. Certes, il ne ressent pas de douleurs physiques, mais plutôt une souffrance morale. Malheureusement, au Maroc, les lois concernant la cybercriminalité sont quasi inexistantes. Pourtant, le pays est loin d'être épargné par la cybercriminalité. Plusieurs affaires ont éclaté ces dernières années, révélant à l'opinion publique marocaine et à la société civile l'importance d'une législation en matière de répression des crimes cybernétiques. Ce vide juridique laisse la porte ouverte à tous les débordements. Des efforts de sensibilisation sont indispensables puisque les mineurs sont des proies de choix sur Internet, qui est un super eldorado pour la criminalité ! Tout y passe, du harcèlement sexuel jusqu'au blanchiment d'argent et la pédophilie. F.N.H. : A défaut et dans l'attente d'un cadre juridique adéquat, comment sensibiliser à ce danger qui guettent nos enfants ? Kh. Ch. S. : Il n'y a pas de meilleure façon de sensibiliser à ce fléau ou de lutter contre les menaces du Web, que d'éduquer le plus d'enfants à une utilisation avisée et responsable du Web, avec des explications claires et des exemples de comportements à adopter. A l'école, ce rôle d'accompagnement et d'explications devrait être assuré par des ensei gnants, alors qu'à la maison il doit être tenu par les parents ou les grands frères et sœurs. Un contrôle parental discret mais efficace, présent sur tous les appareils fixes ou mobiles gérant l'accès au Web, permet de protéger le mineur contre les divers dangers d'Internet et constitue ainsi une aide précieuse dans la démarche éducative menée par les parents. Nous proposons aussi aux parents et aux professionnels de faire des interventions en milieu scolaire et des formations sur les bons usages d'Internet et les risques éventuels comme le cyber-harcèlement, le cyber-sexisme et les autres formes de cyber-violence. Les parents ont un rôle majeur à jouer ainsi que les éducateurs, pour la prévention afin de sensibiliser et éduquer aux bons comportements sur la toile. Ils doivent très tôt établir un dialogue avec l'enfant, essayer d'entrer dans son monde. Le rôle des parents est d'éduquer les enfants, de les intéresser à plein de choses, de développer leur curiosité. Et pour cela, il faut passer du temps avec eux. L'enfant aussi doit en parler à ses parents, qui prendront toutes les précautions afin d'éviter tout risque. Interdire à l'enfant de rencontrer des gens dans la vraie vie, c'est s'exposer au danger, car l'enfant le fera en cachette, dans le dos de ses parents. Avec Internet, on doit changer sa «pédagogie» d'épaule. Il ne s'agit plus d'éviter les risques, mais de permettre au jeune de cohabiter avec en s'entourant du maximum de précautions.