La tension à Guergarate, le départ de Ross... sont autant d'actualités relatives au dossier du Sahara que commente pour Finances News Hebdo le spécialiste des questions géostratégiques Cherkaoui Roudani. Finances News Hebdo : Quelle lecture faites-vous de la décision du Maroc de se retirer de Guergarate ? Cherkaoui Roudani : Il faut bien souligner que le Maroc n'est pas tombé dans le piège des provocations de milices armées du polisario et leur sponsor l'Algérie qui cherchait à torpiller le processus du retour institutionnel du Royaume à l'Union africaine. Les manigances dans la zone tampon ont commencé au mois d'août 2016 et depuis cette date, la diplomatie marocaine a su bien gérer les développements qu'a connus cette zone. La multiplication des incursions et les provocations des éléments du polisario avaient pour objectif de mettre en péril l'accord du cessez-le-feu signé depuis 1991 et, par conséquence, la stabilité de toute la région. C'est une stratégie de victimisation que cherchait en vain à créer le polisario. La communication téléphonique du Roi Mohammed VI avec le nouveau Secrétaire général Antonio Guterres a été l'occasion de mettre en exergue les développements dangereux dans la région de Guergarate. C'est dans ce sens que le Maroc a pris la décision de se retirer unilatéralement de la zone après l'appel de l'ONU qui, faudrait-il rappeler, est la seule et unique voix de la communauté internationale. Conséquemment, après le retrait unilatéral du Maroc de la zone conformément aux dispositions de l'ONU, le retrait ou non du polisario de la zone est dorénavant une responsabilité onusienne. L'ONU doit assumer ses responsabilités en appliquant ses prérogatives en tant qu'instance internationale qui veille aux respects de la légitimité internationale. Je pense que cette décision a surpris les adversaires du Maroc qui se sont retrouvés hors-jeu. F.N.H. : Quid des manœuvres de l'Algérie pour créer une nouvelle zone de tension qui menace le cessez-le-feu ? Ch. R. : Nul ne peut douter de l'implication directe de l'Algérie dans cette histoire qui dure depuis des lustres. C'est un secret polichinelle, notre voisin cherche toujours à créer un nouvel environnement géopolitique à travers un «Etat lige» dans les provinces du sud du Maroc afin de servir ses ambitions hégémoniques dans la région. Après l'échec total de ce projet, l'Algérie a opté pour la tactique d'affaiblissement du Maroc en essayant de l'isoler de son continent. Outre les machinations algériennes dans le dernier sommet d'Addis-Abeba, le retour triomphal du Maroc à l'UA avec une majorité écrasante de pays africains qui l'ont soutenu sans condition, a été un coup dur pour Alger et le polisario. F.N.H. : Dans quelle mesure les avancées spectaculaires réalisées par le Roi Mohammed VI en Afrique exacerbent-elles les ennemis de l'intégrité territoriale du Royaume ? Ch. R. : Sa Majesté le Roi Mohammed VI a surpris les adversaires du Maroc par sa vision africaine de ressusciter un panafricanisme moderniste et pragmatique. C'est une donnée qui a positionné le Maroc en tant que pays d'influence stratégique dans la mesure où il est capable de proposer des solutions africaines aux problèmes africains. Dans ce sens, la mise en place des relations exemplaires et bilatérales post-1984, date du retrait de l'OUA, a permis de comprendre l'enchevêtrement des ambitions mercantilistes des pays adversaires. Depuis, la politique étrangère marocaine s'est mise à restructurer avec finesse et crédibilité son engagement envers les causes africaines. D'ailleurs, Sa Majesté avec sa politique et son engouement infaillible envers l'Afrique et son unité est devenu l'espoir de toute une génération. Cette percée dans le calme et la sérénité a chamboulé des équations géoéconomiques et a contribué à changer les priorités de plusieurs éléments des axes stratégiques dans le continent. La preuve c'est que la majorité des pays africains ont soutenu directement et sans condition le retour du Royaume au sein de l'UA. En dépit des manœuvres de l'Algérie, le Maroc a réussi brillamment son retour. La visite de Sa Majesté au Sud Soudan et la déclaration en faveur de notre intégrité territoriale du Président Salva Kiir sont autant d'éléments qui ont bouleversé les thèses séparatistes. De plus, la dynamique politique et économique avec une diplomatie rationnelle en Afrique de l'Est, ainsi que la demande d'adhésion à la CEDEAO formulée par le Royaume sont des tournants géopolitiques qui ont provoqué des séismes au sein de la classe dirigeante en Algérie. La réussite du Maroc dans l'établissement de nouvelles connexions économiques et stratégiques avec des espaces géographiques différents hors UMA, hélas qui n'existe que sur le papier, a exacerbé l'Algérie. De ce fait, le Maroc est devenu un soft power dans le continent. Sa capacité d'exercer une influence politique, de faciliter la conquête des marchés africains lui ont valu un statut qui commence à inquiéter la politique algérienne qui continue de camper sur des positions passéistes. Si la globalisation a modifié les notions de l'espace et de temps, l'Algérie croit malheureusement encore à l'édification des barrières et des frontières. Le polisario n'est qu'une forme de la privatisation de la guerre que mène l'Algérie contre le Maroc. Les mercenaires qui sont dans la zone tampon mènent en effet une guerre par procuration. F.N.H. : Le mandat de l'Envoyé spécial pour le Sahara expire fin mars, en quoi le départ de Christopher Ross peut-il servir la position du Maroc dans le dossier du Sahara marocain ? Ch. R. : La démission de Christopher Ross après huit ans en tant qu'Envoyé spécial du SG de l'ONU est la fin d'une période dans laquelle le dossier a été mal géré. Ross n'a pas été un fin connaisseur du dossier et l'histoire de la rivalité dans la région. Je pense que le nouveau SG de l'ONU, Antonio Guterres, et avec son passage en tant que Haut responsable du HCR, appréhende les différents prismes de la solution du problème. Le Maroc, avec le retrait unilatéral, suite à l'appel de la communauté internationale, a montré sa bonne foi et sa volonté sempiternelle de solutionner le différend avec l'Algérie dans la sérénité et la responsabilité conformément aux dispositions du Conseil de sécurité. Néanmoins, il est très important de tirer la sonnette d'alarme sur le fait que la perpétuation des opérations de pillage des produits marocains et le blocage des voies commerciales pourraient avoir des répercussions stratégiques majeures et mettre en jeu la sécurité de la région et la sous-région. D'ailleurs, le Maroc ne peut permettre une prolifération d'une piraterie terrestre et maritime. Il semble fort que le nouvel Envoyé spécial du SG ne peut omettre les réalités sécuritaires et géopolitiques de la région, comme a eu le courage de rappeler le prédécesseur de Ross, Peter van Walsum, que la création d'un «micro état» est inconcevable dans la région.