* Les quotas imposés à la Chine par l'Union européenne ont fait du bien au textile marocain. * L'enjeu ne se situe pas au niveau des prix, mais il s'agit plutôt d'être réactif vis-à-vis des donneurs dordre. * En expert avisé, Karim Abdelaziz Tazi, président de l'Amith, analyse les contraintes auxquelles le secteur du textile-habillement fait face. Finances News Hebdo : Comment se comporte le secteur du textile après la mise en place de l'AMF (accord multifibres) ? Karim Tazi : On constate aujourd'hui qu'il y a eu un bon comportement du secteur du textile en 2006. Mais il faut dire que ce bon comportement est dû d'abord à la signature d'un accord sur d'autres limitations entre la Chine et l'Union européenne qui a rétabli les quotas; et les donneurs d'ordre européens sont revenus chez leurs fournisseurs traditionnels. Le Plan Emergence, qui est un plan extrêmement important, ne doit commencer à donner ses fruits que dans le moyen terme, c'est-à-dire dans 3 à 4 ans. Cependant, la crise intervenue le premier janvier 2005 a eu comme conséquence le plan lui-même qui a été conclu sous la pression de la concurrence chinoise. Autre conséquence : la prise de conscience du gouvernement et des unités industrielles qui ont accéléré leur mise à nouveau. Aujourd'hui, les industriels marocains dépendent de leur capacité à être extrêmement réactifs vis-à-vis des donneurs d'ordre et nous savons que ce n'est pas sur les prix que nous allons pouvoir nous battre : la Chine sera toujours plus compétitive que nous dans ce domaine-là. Par contre, nous pouvons préserver nos parts de marché par la réactivité et la rapidité avec lesquelles nous répondrons à nos clients et ceux qui s'activent de plus en plus dans le secteur du «Fast Fashion». F. N. H. : Donc, le textile chinois sera toujours une menace pour le secteur marocain K. T. : C'est indéniable. Ce pays a réalisé une intégration totale de son tissu industriel, c'est-à-dire que les Chinois fabriquent tout ce qui entre dans la confection des vêtements produits : les tissus, les fils, les accessoires, les fournitures, les boutons et ils disposent d'une main-d'uvre qualifiée et de prix exceptionnellement bas. Heureusement, il leur reste quand même un handicap. La distance entre la Chine et les grands marchés du monde fait que c'est sur de petits segments qui sont ceux de la mode rapide que la Chine sera toujours défavorisée. Ainsi, les produits qui sont soumis à la mode (et la mode est éphémère), c'est-à-dire qui changent tout le temps (produits pour les jeunes adolescents, les jeunes femmes, les femmes branchées ), on n'a pas le temps de les faire venir de Chine. Le consommateur ou la consommatrice est impatient et il lui faut être à la mode avant que cette mode change; et c'est en cela que réside la chance des secteurs industriels du sud méditerranéen comme le secteur marocain, tunisien et autres. F. N. H. : Les pays sud-méditerranéens ont constitué, dans le cadre de Collabotex, un front uni. Comment vont-ils procéder pour faire valoir leurs intérêts ? K. T. : Tout d'abord, en se regroupant comme nous sommes en train de le faire actuellement à Tanger au sein d'une instance qui s'appelle Collabotex, laquelle regroupe les associations professionnelles textiles des pays du sud de la Méditerranée. Cette initiative, lancée au départ par les Turcs, a vu son aboutissement aujourd'hui, à Tanger. Maintenant, tous les pays, même ceux qui ont un secteur textile modeste comme le Liban et la Jordanie, sont regroupés au sein d'une instance informelle qui est Collabotex, mais qui va certainement se structurer pour faire défendre son point de vue auprès de l'Union européenne, de l'OMC et même de la Chine qui doit prendre conscience que son expansion ne doit pas se faire au détriment des pays qu'elle courtise. F. N. H. : Quels sont les premiers fruits du Plan Emergence ? K. T. : Les premiers fruits du Plan Emergence ont été d'abord une réduction spectaculaire des droits de douane sur les matières premières importées par les industriels marocains. Je rappelle que les tissus importés de l'Union européenne, ou même des Etats-Unis, sont aujourd'hui d'un prix extrêmement réduit. La deuxième conséquence, c'est l'amélioration des rapports entre les entreprises et la Douane. Il y a l'initiative de l'Amith avec un programme très important : celui de la catégorisation des entreprises qui vise à distinguer les entreprises les plus sérieuses et les plus transparentes pour leur accorder un statut préférentiel. Je rappelle que ce programme pionnier va, par la suite, être repris par d'autres secteurs. C'est une conséquence du Plan Emergence. La 3ème conséquence, est la décision du gouvernement marocain d'encourager l'association des textiliens marocains en matière de promotion de ses produits et de son image. Ainsi, il lui a été octroyé un budget relativement important, par rapport aux années précédentes, de 20 millions de DH pour favoriser son export et aussi son image. F. N. H. : Sur un autre registre, la hausse des prix des hydrocarbures a-t-elle eu des effets négatifs sur l'exportation du textile ? K. T. : Non, la hausse des prix des hydrocarbures n'a pas eu de grands effets négatifs. Au contraire, l'année 2006 a été une belle année pour l'export du textile puisqu'elle a connu une progression qui varie entre 11% et 13%, ce qui indique en tous cas que le marché du textile-habillement a bien absorbé le choc de la hausse des prix du pétrole. Je vous rappelle que nous dépendons totalement du marché du textile-habillement européen. F. N. H. : Et le Sourcing Maroc, où en est-il ? K. T. : Le Sourcing Maroc est encore très faible. Aujourd'hui, il y a trois filières qui tirent un peu leur épingle du jeu. Une filière relativement bien intégrée, le jean, puisque le Maroc est devenu aujourd'hui un leader en la matière, et deux filières un peu moins bien intégrées. Il y a la grosse maille, c'est-à-dire le pull, pour lequel nous avons quelques acteurs nationaux intégrés, relativement créateurs; et dans la maille fine, le genre T-shirt, quelques acteurs relativement intégrés. Le tout reste quand même de taille modeste. Et pour ce qui est de la section chaîne et trame, que ce soit en habillement féminin ou masculin, la totalité des tissus est importée soit d'Europe, soit de Turquie.