Frédéric Elbar est spécialiste en droit des affaires et conseiller fiscal. Il aide les expatriés et les binationaux à y voir clair dans les subtilités, pas toujours évidentes, de la fiscalité et de la réglementation des changes du Maroc. Egalement conseiller consulaire de la ville de Casablanca, ce natif de Marrakech milite pour améliorer la vie quotidienne de ses compatriotes expatriés et des binationaux qui vivent au Maroc. Entretien. Finances News Hebdo : Dans quels cas les Français du Maroc et les Marocains doivent-ils subir la fiscalité française ? Frédéric Elbar : Ils seront soumis à la fiscalité française s'ils tirent des revenus depuis la France, par exemple s'ils perçoivent des loyers, des dividendes ou des intérêts. Dans certains cas, ces revenus seront imposables uniquement en France, c'est le cas des revenus fonciers. Dans d'autres, ils seront imposés en France et au Maroc, c'est le cas des revenus de valeurs mobilières où la France dispose du droit de prélever un impôt. Le Maroc dispose aussi de ce droit, mais l'impôt est en fait réparti entre les deux Etats compte tenu de la convention fiscale de non-double imposition qui les lie. Sur le sujet récurrent des revenus fonciers, je rappelle qu'ils sont soumis en France à une imposition au minimum de 20%, en sus de la CSG (contribution sociale généralisée) et la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale) au taux de 15,5%. Donc, quand on réside au Maroc, on est imposé en France à 35,5% sur les revenus qu'on peut tirer d'un appartement mis en location. C'est très important, voire excessif, compte tenu du fait que les cotisations CSG et CRDS sont normalement destinées à couvrir des prestations sociales dont les non-résidents ne bénéficient pas ! F.N.H. : Est-ce que les Marocains ayant payé la contribution libératoire sont également soumis à ces règles fiscales ? F. E. : Tout dépend de la convention fiscale qui lie l'Etat marocain au pays où sont détenus les avoirs étrangers de ces Marocains. Par exemple, s'ils possèdent des biens en Espagne, c'est la convention de non-double imposition entre le Maroc et l'Espagne qui sera s'appliquée. Je rappelle que les Marocains disposant de revenus à l'étranger doivent les déclarer aux autorités fiscales marocaines, et dans la mesure où il y a eu paiement de la contribution libératoire, ils peuvent le faire de manière anonyme en passant par leur banque. F.N.H. : Qu'en est-il des binationaux au titre de cette contribution libératoire. Bénéficient-ils d'un régime spécial ? F. E. : Malheureusement non. Si l'on prend l'exemple d'un Franco-marocain disposant d'un compte bancaire en France, il doit rapatrier au Maroc les fonds qui y sont déposés, alors même que c'est également un ressortissant français. Pourtant, la réglementation marocaine des changes a beaucoup fait pour le compte des MRE et ex-MRE (qui sont souvent des binationaux), notamment en permettant à ces derniers, qui détenaient des avoirs à l'étranger obtenus lors de leurs séjours à l'étranger avec des revenus étrangers, de déclarer ces avoirs sans s'acquitter de la contribution libératoire. F.N.H. : Outre les aspects fiscaux que nous venons d'évoquer, quelles sont, au vu de votre expérience, les difficultés auxquelles sont confrontés les ressortissants français (mixité, succession, enseignement, etc.) ? F. E. : Principalement l'enseignement du français à l'étranger, par son coût mais aussi par sa qualité. Vous évoquez la mixité, effectivement dans un pays comme le Maroc, le fait de soumettre au code de la famille marocaine des ressortissants français qui se convertissent à l'Islam suppose des cas complexes en termes de succession. La question des binationaux, qui ne doit pas être un sujet tabou, doit également être évoquée, notamment sur le fait que la réglementation des changes leur interdit de disposer d'un compte en banque en France, alors qu'ils sont Français. F.N.H. : Quels genres d'actions préconisezvous pour mieux défendre les intérêts de vos compatriotes au Maroc ? Comment comptezvous les mettre en pratique ? F. E. : Rien ne peut se faire sans une réelle volonté politique. Il faut donc que des élus français agissent en faisant de vraies actions de lobbying auprès du gouvernement français, mais qu'ils sachent également sensibiliser les élus marocains, car ils ont des intérêts communs. Il faut réfléchir à de nouvelles approches quant à l'enseignement du français à l'étranger en développant notamment les partenariats public-privé et en donnant plus d'autonomie de gestion aux établissements. Il est également nécessaire de multiplier les expériences comme en Chine, où la France et l'Allemagne ont uni leurs efforts pour mettre en place un campus commun. Il faut faciliter la vie quotidienne des gens, en adaptant les législations en vue de leur permettre de se marier et de disposer de leur succession sereinement. Le Royaume du Maroc et la République française ont beaucoup de choses en commun. Ils doivent agir de concert pour le bien-être de leur population nationale et immigrée respective. F.N.H. : Vous avez actuellement un mandat politique en tant que conseiller consulaire. La primaire de la droite, votre famille politique, vient de s'achever par la victoire de François Fillon. Quelle est votre lecture de ce vote inattendu ? F. E. : Que premièrement, on ne peut décidément plus se fier aux sondages ! Que deuxièmement, les électeurs ont choisi quelqu'un qui incarnait au mieux la fonction présidentielle dans la mesure où Alain Juppé semble revenir d'un lointain passé et donc d'un autre âge, et que Nicolas Sarkozy, qui avait déjà été rejeté lors des présidentielles de 2012, n'a pas semblé avoir changé en quoi que ce soit.