Le secteur financier marocain, privé et public, a dévoilé à Marrakech la feuille de route du secteur en vue de son alignement sur les objectifs de développement durable. Cette feuille de route traduit les engagements forts, d'aucuns diront historiques, pris par les banques, les compagnies d'assurances ainsi que différents régulateurs pour faire émerger un marché de capitaux verts efficient, liquide et encadré. Les détails. La feuille de route dévoilée lundi à Marrakech par Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib, au cours d'une conférence de presse qui a fait salle archi-comble, sonne la mobilisation générale du secteur financier marocain, dans toutes ses composantes. L'objectif poursuivi est de permettre au Royaume d'atteindre son engagement, pris l'an dernier à Paris, de réduire de 32% des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l'horizon 2030. Il faut dire que l'enjeu est de taille, comme l'a rappelé Mohamed Boussaid, ministre de l'Economie et des Finances, en préambule à la conférence de presse : «le Maroc a besoin de 45 milliards de dollars pour réaliser son engagement de réduction de 32% de gaz à effet de serre à horizon 2030». L'émergence d'un marché domestique de capitaux verts, durable, liquide, et encadré, est donc la réponse du secteur à l'engagement historique du Maroc en termes de réduction d'émissions de CO2. Les fondements d'un marché de capitaux verts L'ingénierie financière des banques, mais aussi celle des assureurs et des sociétés de gestion d'actifs sera très sollicitée dans les prochains mois. Ces derniers se doivent en effet d'adapter et de verdir leur gamme de produits financiers afin de faciliter la mobilisation de ressources vertes diversifiées et stables. Des ressources qui devront financer les projets de développement durable, «sur le long terme», précise A. Jouahri, et qui doivent contribuer à la création d'un marché de capitaux verts. Emissions de green bonds, mise en place de fonds d'investissement verts, création de produits d'épargne verts vont ainsi se multiplier dans les prochaines années. Pour permettre à un tel écosystème financier vert d'éclore, l'ensemble des opérateurs du secteur devra d'abord adopter une définition commune des projets, actifs et instruments verts. L'établissement de standards de labélisation des projets est également un prérequis. Livrets d'épargne verts dans le pipe Cette étape franchie, les banques, tout d'abord, s'engagent à développer des fonds d'investissement verts, comme vient de le faire Attijariwafa bank (voir encadré) et à recourir à l'émission d'obligations vertes, comme vient de le réaliser BMCE BoA. La mobilisation de l'épargne, notamment la petite, est un autre engagement des établissements bancaires. La feuille de route préconise ainsi la création d'un livret d'épargne vert, qui pourrait bénéficier d'un cadre fiscal incitatif. Sur le plan de la gouvernance, le secteur bancaire opérera un changement dans sa manière de cartographier et gérer les risques, en ajoutant les risques environnementaux dans les systèmes de notation interne. Les critères écologiques font ainsi leur entrée dans le processus de prise de décision de crédit ! Dans le même temps, les banques s'engagent à identifier le risque carbone compris dans leurs portefeuilles d'actifs et à en évaluer les impacts. Assurances : 6 milliards de DH à placer dans des actifs verts Les assureurs ne sont pas en reste. Le secteur s'engage fortement à travers plusieurs actions et mesures, à l'image du développement des produits d'épargnes verts, tels que des produits d'épargne retraite, dont les primes seraient placées dans des actifs verts. L'objectif fixé par la feuille de route est de drainer 500 millions de DH annuellement. Les compagnies d'assurances s'engagent par ailleurs à élargir l'offre de couverture des risques climatiques et développer des solutions d'assurances des risques environnementaux. Surtout, les portefeuilles d'actifs des compagnies vont également se mettre au vert. Le secteur des assurances s'engage en effet à placer 6 milliards de dirhams de l'actif sous gestion dans des actifs verts dans un horizon de 5 ans. Lancement d'un indice ESG à la Bourse L'Autorité marocaine du marché de capitaux (AMMC), et toutes les composantes du marché de capitaux marocain, dont la Bourse de Casablanca, sont également à pied d'œuvre pour favoriser l'émergence d'un marché de capitaux verts. La mesure la plus emblématique consiste à mettre en place un indice ESG (Responsabilité environnementale, sociale et de gouvernance). Cet indice devrait voir le jour «à court terme», précise A. Jouahri. L'AMMC, de son côté, a d'ores et déjà sorti son guide sur les green bonds, destiné aux émetteurs. L'objectif est de faire du Maroc un marché de référence au niveau régional pour les émissions de green bonds. Des véhicules d'investissement spécialisés pour mobiliser l'épargne seront aussi créés. Ils pourront prendre la forme d'OPCVM, dont l'univers d'investissement est dicté par des critères environnementaux. Les fonds de titrisation pourront également constituer un canal de financement de projets durables. La discipline de marché sera renforcée à travers la mise en place de nouvelles exigences en matière de reporting. Les sociétés de gestion d'actifs devront évaluer l'empreinte carbone des fonds gérés, tandis qu'il sera exigé des émetteurs une note relative à l'impact environnemental de l'activité. Cette mesure sera par la suite généralisée à l'ensemble des sociétés faisant appel public à l'épargne. Signalons enfin qu'une Charte finance durable chapeautant l'ensemble des actions et engagements du secteur financier sera établie et adoptée prochainement. A. Elkadiri 3 questions à Nizar Baraka, président du Comité scientifique de la COP22 : «L'ensemble des acteurs est déterminé à traduire la feuille de route en réalité» Finances News Hebdo: Quels sont les grands enjeux de cette feuille de route ? Nizar Baraka: Comme vous le savez, l'essentiel des projets qui sont portés par les pays africains, dont le Maroc, portent sur l'adaptation. Par conséquent, cette feuille de route vise essentiellement à mobiliser l'épargne en faveur de ce type de financements, et mobiliser également les différents acteurs du secteur, notamment les banques et les assurances, pour qu'ils puissent accompagner l'innovation en matière de financement climatique. Cette feuille de route vise aussi à faire en sorte que les engagements pris par le Maroc au niveau de la réduction de ses émissions de GES puissent être intégrés dans le Budget de l'Etat, et que l'on puisse assurer un véritable effet de levier entre la finance publique et la finance privée. F.N.H.: Pouvez-vous nous en dire plus sur la genèse de cette feuille de route ? N. B.: Le comité de pilotage de la COP22 a fixé comme l'une de ses priorités pour la COP de Marrakech, la finance climatique. Au niveau de la commission scientifique, nous avons donc été amenés à travailler sur une feuille de route Maroc, en créant une sous-commission finance, qui a regroupé tous les acteurs présents à cette conférence de presse. Nous avons aussi considéré que, vu l'engagement de SM le Roi au niveau africain, il était important que l'on puisse dégager une feuille de route au niveau africain. F.N.H.: A-t-il été difficile de faire travailler tout le monde sur un tel projet ? N. B.: Il y a eu un véritable engagement de la part de l'ensemble des acteurs du secteur financier marocain, et une très belle collaboration. C'est ce qui nous a permis d'arriver à quelque chose de concret, que l'on vient de présenter. C'est une feuille de route engagée et l'ensemble des acteurs est déterminé à la traduire en réalité. Cela a déjà démarré de manière concrète à travers les émissions de green bonds et la signature de nombreuses conventions, dont la création du FAEE. Propos recueillis par A. Elkadiri La dimension africaine de la feuille de route «La feuille de route» comporte également un volet africain. La communauté financière marocaine agira ainsi en concertation avec les acteurs financiers africains pour l'émergence d'une finance verte à l'échelle du continent. Une première initiative sera lancée à l'occasion de la COP22, par l'AMMC et la Bourse de Casablanca, visant à fédérer les régulateurs et les Bourses des pays africains autour d'engagements en faveur de l'émergence des marchés de capitaux verts. Casablanca Finance City, la place financière casablancaise, a pour sa part l'ambition de se positionner en tant que hub dans le domaine de la finance climat. Cela passe, précise A. Jouahri, par la mise en place d'un cadre dédié aux fonds d'investissement «verts», s'appuyant sur des conventions incitatives. Un centre de recherche et d'expertise «finance climat» (ingénierie, montages financiers verts, ficelage de projets verts, etc.) au service de l'Afrique, verra aussi le jour. Cet élément est primordial car l'Afrique demeure, et de loin, le parent pauvre du financement climatique. «Il y a un vrai déficit de mobilisation des fonds pour l'Afrique, notamment dans le volet adaptation», a d'ailleurs alerté Nizar Baraka, président du Comité scientifique de la COP22