En une dizaine d'années, l'OCP est passé d'une entreprise étatique moribonde à un faiseur de marchés capable de dissuader les concurrents d'investir dans des projets phosphatiers. Comment cette transformation a-t-elle été menée ? Eléments de réponse avec Mustapha Terrab, PDG de l'OCP, qui tenait récemment une conférence devant les élèves de l'ISCAE. Si aujourd'hui l'OCP est considéré comme un leader mondial, et s'il est aujourd'hui capable de lever des fonds sur les marchés internationaux sans sourciller, cela n'a pas été toujours le cas. Lorsque Mustapha Terrab, PDG de l'OCP, hérite en 2006 de l'Office, il trouve une situation pour le moins compliquée : une entreprise étatique peu agile, gangrénée par la bureaucratie, endettée, avec des capitaux propres négatifs. 10 ans plus tard, l'OCP devient une SA (avec l'entrée au capital de la Banque Centrale Populaire), agile, avec un bilan assaini (la gestion de la Caisse de retraite interne a été externalisée) et dotée d'un programme d'investissement colossal de près de 20 milliards de dollars sur la période 2008-2025, dont près de 7 milliards de dollars ont été investis jusqu'à aujourd'hui. Un parcours remarquable que Terrab a partagé avec les étudiants de l'ISCAE lors d'une conférence organisée récemment par l'école casablancaise. Une conférence qui a fait salle comble. Durant sa présentation, le dirigeant de l'OCP a expliqué comment cette mutation a été menée. Il faut d'abord garder à l'esprit que l'Office chérifien, en étant assis sur les premières réserves phosphatières du monde, bénéficie d'une position stratégique en matière de sécurité alimentaire dans le monde. La démographie mondiale augmente constamment ( 53% entre 2000 et 2050), le nombre de bouches à nourrir aussi. La stratégie de l'OCP vise donc à capter cette demande grandissante en phosphates et produits dérivés. «Nous souhaitons capter plus de la moitié de la demande mondiale», souligne Terrab. Comment ? D'abord en investissant massivement dans la modernisation de ses actifs industriels et dans l'augmentation de ses capacités de production. 4 nouvelles mines, 4 nouvelles unités de production d'engrais et des unités de granulation doivent permettre à l'Office de doubler sa production de minerais bruts, et tripler celle des engrais. Celle-ci devrait atteindre 12 millions de tonnes en 2017, ce qui fera du groupe le leader mondial sur ce marché. Quant à la production de phosphates, elle devrait atteindre 50 millions de tonnes en 2020. Le deuxième levier est l'optimisation des coûts de production. Grâce à ses réserves en phosphates de grande qualité, à ses sites de mines à ciel ouvert, aisément accessibles, à ses coûts de transport réduits, à l'optimisation de l'efficacité des chaînes d'approvisionnement, l'OCP dispose des coûts de production les plus bas du marché. La construction du Slurry Pipeline (minéroduc) de 240 km entre Khouribga et Jorf Lasfar, opérationnel depuis 2014, répond à cet impératif de réduction des coûts de transport. «Etre leader de coûts nous permet d'être crédible», souligne Terrab. Surtout, l'OCP, en ayant les coûts les plus bas du secteur tout en étant capable d'approvisionner sur le long terme plus de 150 clients dans le monde, a toute la latitude pour piloter l'offre selon l'évolution des prix, et selon les cycles, un peu à la manière saoudienne en matière de pétrole. Avoir les coûts les plus bas et la possibilité de faire l'accordéon avec sa production en fonction de la demande, permet de dissuader les concurrents d'investir. Et cela fonctionne : «de nombreux projets phosphatiers dans le monde ont été annulés», se félicite Terrab. L'autre levier de développement du groupe est relatif au capital humain. Et c'est peu de dire que l'Office vit actuellement une véritable révolution organisationnelle. «Diriger l'OCP, c'est prendre 1.000 décisions par jour», affirme Terrab. Il faut donc que tous les collaborateurs puissent prendre des décisions, que les groupes de travail soient des sources d'innovation, et des centres de décision selon une approche Bottom-up. Et c'est précisément la mission que s'est vu confier Jamal Belahrach, DGA de l'OCP, ex-directeur Maghreb de Manpower : décentraliser et supprimer les cloisons, au sens propre comme au figuré et fludifier les relations entre collaborateurs. A .Elkadiri Des engrais sur-mesure pour l'Afrique L'Afrique est au cœur de la nouvelle stratégie de développement du groupe OCP. Et pour cause, le continent a le plus bas niveau d'utilisation d'engrais au monde. Il représente à ce titre une opportunité et un enjeu majeur pour le géant des phosphates. Mais, insiste Terrab, le marché africain possède ses spécificités et proposer aux fermiers africains des engrais standards est infructueux. «Il faut introduire de l'innovation sur le terrain. C'est la raison pour laquelle nous réalisons des cartes de fertilité des sols, que ce soit en Côte d'Ivoire, en Guinée ou en Ethiopie. Nous nous appuyons sur des technologies high-tech, des drones, des laboratoires d'essais, etc... pour le faire. Nous dispensons aussi de la formation aux fermiers africains. L'idée au final est d'adapter nos engrais à leurs besoins à partir des données recueillies et de les accompagner. C'est de la customisation. Il n'y a que nous qui faisons cela», explique Terrab. En février dernier, l'OCP a lancé sa filiale OCP Africa destinée exclusivement au marché africain. L'Office a prévu l'ouverture de pas moins de 14 nouvelles filiales en Afrique subsaharienne.