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ENTRETIEN : La médiation bancaire, un réflexe culturel à développer
Publié dans Finances news le 04 - 07 - 2016

Mohamed El Ghorfi, le Médiateur bancaire, directeur du Centre marocain de médiation bancaire (CMMB), nous reçoit dans les locaux casablancais de Bank Al-Maghrib, où le Centre est installé. Au menu de cette entrevue à bâtons rompus : le bilan du CMMB après deux années d'activité, les litiges les plus récurrents, les avantages de la médiation et, plus globalement, de la culture de la médiation au Maroc, et les relations entre consommateurs et établissements de crédit.
Finances News Hebdo : Quel bilan faites-vous du CMMB après deux années d'activité ?
Mohamed El Ghorfi : Il faut appréhender ce bilan sous deux paramètres. Le premier concerne le nombre de dossiers que nous avons reçus jusqu'à aujourd'hui. Il avoisine les 690 plaintes et nous en recevons tous les jours.
Le deuxième concerne la capacité de règlement de ces plaintes ou taux de résolution. Les plaintes viennent en vrac puis passent à travers un tamis, pour exclure tout ce qui est hors-champ de compétences ou tout ce qui n'est pas recevable. Sur le stock de dossiers traitables, nous en avons résolu à peu près 80% au terme de l'exercice 2015 (la norme internationale situe le taux de résolution des dossiers traités entre 80 et 85%).
Ce que l'on peut dire de ce bilan, le CMMB n'a pas encore atteint sa vitesse de croisière, mais s'installe pro­gressivement en tant qu'acteur reconnu dans le règle­ment amiable des litiges soumis en médiation. Nous sommes aujourd'hui dans une courbe ascendante.

F.N.H. : Quel est le profil des plaignants et quels sont les litiges les plus récurrents ?
M. E. Gh. : La première des choses à savoir, c'est qu'environ 90% des litiges concernent les particuliers. Sur les 10% restants, il y a essentiellement des TPME et peu de grosses entreprises.
En termes de litiges, nous retrouvons quelques diffé­rends récurrents qui ressortent, comme la clôture de compte. Sur ce point précis, je dois dire qu'il y a un important effort engagé par les établissements de cré­dit depuis deux ans. Mais il ne faut pas perdre de vue l'existence d'un stock. Nous avons instruit des dossiers de demande de clôture qui remontent à 1995 et 2000.

F.N.H. : Comment est-ce possible ?
M. E. Gh. : Très souvent les clients font leur demande verbalement ou déposent aux guichets de leurs banques une demande de clôture de compte, mais ne suivent pas la bonne fin. La clôture de compte n'étant pas exécutée de manière effective, elle génère un solde débiteur résultant des agios, et des agios sur agios, jusqu'au jour où le client reçoit de son établissement de crédit une mise en demeure suite à l'envoi du dossier au contentieux pour récupération de la créance en souffrance. Le client ne réagit qu'après avoir reçu la lettre de ce service ou d'une société de recouvrement l'invitant à régulariser sa situation.
Outre la clôture de compte, l'interprétation des disposi­tions contractuelles fait aussi partie des litiges les plus récurrents que nous traitons. Cela est surtout vrai en matière de taux, dans la mesure où le client se perd parfois entre taux fixes et variables. Cela est dû le plus souvent à la négligence du client. Quand un client choisit un taux variable, il doit surveiller la date anni­versaire du crédit. Mais outre cette négligence, cela est dû également au manque d'informations du chargé de clientèle sur les conditions et modalités de variation au moment du choix du taux.
Un autre aspect que nous traitons concerne les cas sociaux. Avec l'entrée en vigueur du décret d'applica­tion de la loi 31-08 sur la protection du consommateur, l'article 111 précise que tout client qui connaît une «situation sociale imprévisible», peut s'adresser à sa banque pour lui demander de suspendre le plan de remboursement. Lorsqu'un débiteur perd son travail à la suite d'un licenciement abusif ou économique ou autres, et qu'il n'arrive plus à honorer ses rembour­sements, le législateur a prévu, pour ne pas l'accabler davantage, une pause au maximum de deux ans. La médiation est compétente pour cela. D'ailleurs, le décret précise bien que l'établissement de crédit doit dans ce cas-là recourir à la médiation avant d'aller en justice. C'est à mon sens une avancée louable dans l'intérêt du client ayant subi une situation dont il n'est pas toujours responsable. Le Centre de médiation instruit les dossiers au cas par cas pour apprécier les conditions dans lesquelles cette situation imprévisible est intervenue. Ce type de litige représente à peu près 10% des dossiers que nous recevons.

F.N.H. : Comment faire pour rendre l'institution du médiateur plus accessible ?
M. E. Gh. : Nous avons simplifié au maximum la sai­sine du centre. Nous pouvons être saisis par courrier électronique, par courrier postal ou par visite au centre. Il y a toujours un cadre pour accueillir le plaignant. Mais bien entendu, la médiation bancaire a ses règles, et il faut que le client ait au préalable saisi sa banque contre accusé de réception. Si le client reçoit une réponse favorable dans les 15 jours, tant mieux. S'il reçoit une réponse qui ne le satisfait pas ou s'il ne reçoit pas de réponse, il peut s'adresser au centre.
Nous avons réglé beaucoup de différends de Marocains résidents à l'étranger avec leurs bailleurs sans que ces derniers se déplacent physiquement chez nous. Nous avons pu régler des différends qui datent parfois de 7 à 8 ans. Le CMMB a su faire preuve d'efficacité à cet égard, et vous pouvez consulter notre site pour certains témoignages reçus.
Il y a un autre élément sur lequel j'aimerai insister, c'est le règlement des litiges à titre gracieux.

F.N.H. : Globalement, comment jugez-vous la relation entre le client et les établissements de crédit ? La relation banque-client est-elle équilibrée selon-vous ?
M. E. Gh. : La médiation bancaire entre dans le cadre d'une série de mesures édictées par la Banque cen­trale pour améliorer la relation établissement de crédit/ consommateur. Rappelons que nous avons pour cela deux dispositifs. Le premier est la médiation institution­nelle qui est gratuite pour tout litige dont le montant est inférieur à 1 million de DH, et le deuxième est la média­tion conventionnelle qui est payante (grille tarifaire très attractive par rapport au recours judiciaire) pour tout litige dont le montant est supérieur à 1 million de DH.
A ce niveau, il y a deux éléments importants à retenir dans cette protection du client en médiation institution­nelle qui est une protection concrète.
La première est que le client peut se retirer du proces­sus de médiation s'il le désire, alors que l'établissement de crédit ne peut pas se retirer à l'intérieur d'un certain plafond. Dans ce cas, vous voyez que la position du client est plus confortable et nous avons voulu volon­tairement faire bénéficier au seul client le droit à la rétractation.
Le deuxième élément est que le Médiateur dispose d'une force de proposition jusqu'à un certain seuil obli­geant l'établissement de crédit à appliquer la solution négociée avec les parties. L'établissement de crédit doit s'exécuter dans les dix jours.
Au niveau de la médiation conventionnelle, le client et la banque sont traités chez nous sur un même pied d'égalité. Nous ne sommes pas là pour défendre les intérêts des banques, ni ceux des clients. Notre rôle est de résoudre les différends soumis en médiation en totale équité.
Par ailleurs, nous sommes tenus à la confidentialité et au secret professionnel. Les différends ne sont divul­gués aux tiers qu'avec l'accord des parties, ce n'est pas le cas au niveau d'un tribunal où les audiences sont ouvertes au public. Je précise que pour les litiges de plus d'1 million de DH, le Médiateur fait émerger la solution des parties et les dispositions légales sont respectées à la lettre.

F.N.H. : Pourquoi chez le consommateur lamda, la banque souffre toujours d'une mauvaise image ?
M. E. Gh. : Il est vrai qu'il y a un problème d'image. Justement, le but de toute cette série de mesures qui ont été prises ces derniers temps et que je viens d'évo­quer, ont pour but d'améliorer cette image pour que le particulier ne se sente pas toujours le maillon faible dans un litige avec un établissement de crédit. Il fau­drait que ce dernier puisse soigner la relation d'affaires avec les clients, essentiellement au niveau du réseau, au niveau des points de vente les plus excentrés. Les efforts à déployer doivent se faire sentir essentiellement au niveau de l'accueil et de l'écoute.

F.N.H. : Comment peut-on développer davan­tage au Maroc le réflexe médiation ?
M. E. Gh. : C'est un élément fondamental. La média­tion doit être aujourd'hui un réflexe, non pas pour supplanter les réflexes d'aller en justice ou en arbitrage, mais pour pouvoir donner la possibilité aux parties en litige de choisir entre les avantages de ces différents modes de résolution des conflits.
Dans le subconscient populaire, nous n'avons pas encore le réflexe médiation, mais c'est plutôt le réflexe justice qui domine. Je dirais que la Médiation en général est un acte civilisationnel car elle évite la confrontation entre deux parties grâce à l'aide d'un tiers, le média­teur. Ce dernier a la charge de vider tout conflit de sa charge émotionnelle pour ramener les parties vers des positions plus rationnelles. Plus une nation se déve­loppe plus la médiation trouvera un réel droit de cité. Il faut dire que le recours à la justice dans notre tissu socioéconomique est très présent pour moult raisons. Parfois, c'est juste un moyen de gagner du temps et je m'en tiendrai là. Le changement des mentalités évolue très lentement, nous n'avons pas encore cette culture du dialogue responsable pour trouver des solutions aux différends. A ce niveau, le recours à la médiation consti­tue en soi une prédisposition à un règlement amiable.
Enfin, il faut que le médiateur soit à la hauteur de la confiance des parties et bénéficie d'une certaine noto­riété sur la place car il reste la pièce maitresse de tout le processus de médiation. Pour pouvoir développer ce réflexe de médiation, une grande responsabilité repose sur les épaules du Médiateur. Cela dépend de sa capacité à résoudre un litige efficacement au gré des parties, dans les délais impartis et surtout en totale indépendance.

F.N.H. : Les établissements de crédit sont-ils convaincus par ce réflexe ?
M. E. Gh. : Les établissements de crédit (banques, sociétés de financement, AMC mis à part) sont des organisations structurées mais qui prennent leur temps de murir leur réflexion. De ce fait il y a toujours une période entre l'introduction d'une procédure nouvelle et son entrée en fonction, donc il y a naturellement un temps de latence à observer. L'important pour nous c'est qu'il y a une volonté indéniable au plus haut niveau, pour recourir à la médiation. Maintenant, il y a toujours du travail de proximité à faire au niveau des rangs inférieurs pour affiner davantage les méthodes de travail, les prises de position, et par conséquent insuffler ce reflexe «médiation» pour un changement des habitudes en douceur. Cela prendra certes un cer­tain temps et c'est normal mais nous nous inscrivons dans la durée. Nous recherchons l'adhésion et pour ce faire, il faut convaincre que la médiation n'a que des avantages et qu'elle reste le chemin le plus court pour régler les litiges.


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