Dans la gestion de leurs créances, les sociétés de financement recourent à des cabinets de recouvrement pour récupérer leurs dûs. N'étant soumis à aucun texte réglementaire, ces cabinets opèrent souvent dans un flou juridique. Ton menaçant, intimidation, usurpation d'identité du personnel de justice..., toutes les méthodes sont bonnes pour ces chasseurs de dettes. Aujourd'hui, tous les opérateurs, commerçants, sociétés de financement, assurances... se heurtent dans le quotidien de leurs affaires, à des degrés différents certes, au principal écueil qu'est le retard ou quasiment le non-paiement. Ils font ainsi appel aux services des cabinets de recouvrement. Le but pour certaines sociétés de financement est surtout d'externaliser le recouvrement des petites créances et mieux optimiser la gestion des grands comptes. Un responsable explique que lesdites sociétés recourent aux recouvreurs selon la phase du recouvrement ou la classe de la créance. «Dans le cadre du recouvrement contentieux, le processus est enclenché une fois toutes les tentatives amiables épuisées et le recours au cabinet de recouvrement se fait plutôt pour exécuter les ordonnances et jugements rendus à l'encontre du débiteur», annonce-t-il. Ces cabinets de recouvrement se veulent des sociétés indépendantes dont la vocation est de pousser le débiteur à rembourser volontairement ce qu'il doit. Le plus fréquent est que le spécialiste du recouvrement agit sur la base du mandat. Ainsi, et contrairement à d'autres pays, la profession n'est encadrée par aucune réglementation spécifique. Un vide juridique entoure l'activité et par ricochet, risque de ne pas être exempt d'incidences sur l'économie marocaine. «Ce sont des conventions de droit commun qui régissent les relations entre les cabinets et les sociétés de financement. Les garanties sont des engagements contractuels désignant les droits et obligations de chaque partie. En cas d'abus de confiance ou de non-respect de ces engagements, ce sont les tribunaux compétents qui sont à saisir», explique notre source. Interpellé sur les risques encourus face à ce vide juridique, une source au sein d'une autre société de financement répond : «Nous n'avons que très peu recours aux cabinets de recouvrement, car nous gérons ce volet en interne avec des équipes phoning et des équipes terrain propres. Nous pouvons faire appel aux cabinets de recouvrement pour des opérations limitées en montant et en temps, mais nous interdisons ces prestataires de recevoir les fonds entre leur main. Les règlements se font directement à la société». Si cette société de financement gère son service de recouvrement en interne et ne cède pas ses créances dans la mesure où le règlement se fait directement dans ses agences, il n'en est pas de même pour d'autres qui reconnaissent que le flou juridique et le manque de sanctions en la matière poussent parfois certains recouvreurs à garder les créances remboursées dans leurs comptes. «En cas de non reversement des sommes recouvrées par le cabinet, le client débiteur en reste redevable, charge à lui de prouver le contraire par son quitus. S'il s'avère vrai, la société de financement demande alors au cabinet de reverser le montant apparent sur le quitus et à défaut, elle peut recourir aux tribunaux», dixit l'autre source. Une vraie galère dans la mesure où ces dossiers croupissent dans les tribunaux. Elle rappelle à juste titre que pour se protéger contre les mauvaises intentions du cabinet de recouvrement, les sociétés de financement doivent être vigilantes. Avant la signature de toute convention, le promoteur du cabinet doit justifier d'une bonne moralité et d'une expérience assez longue dans le domaine, garder le contact avec les débiteurs en parallèle avec le cabinet, échanger en permanence des informations à travers des rapports périodiques sur l'état d'avancement des relances. Des mesures que malheureusement d'autres sociétés ignorent. Autres pratiques malsaines Autre écueil et pas des moindres : comme cité par un bon nombre d'opérateurs, les cabinets de recouvrement ont peu de moyens pour récupérer les créances. Elles se parent souvent des atours des huissiers de justice, en adoptant la forme des papiers officiels, en faisant référence à des textes de lois, en utilisant des termes intimidants, voire comminatoires. Certes, le débiteur est dans le tort de ne pas honorer ses dettes à temps, mais cela ne doit pas non plus être une aubaine pour les recouvreurs. Et c'est là où le bât blesse. Parce que certains cabinets de recouvrement recourent carrément au harcèlement pour déstabiliser les débiteurs souvent fragilisés. Ton menaçant, intimidation, usurpation d'identité du personnel de justice... toutes les manipulations sont bonnes pour faire pression, récupérer les créances et, surtout, percevoir les commissions. Les témoignages ne manquent pas à cet égard. Interrogé sur les moyens utilisés par certaines sociétés de recouvrement pour arracher le paiement des créances, un juriste dénonce formellement ce genre de pratiques. D'après ses propos, le cabinet de recouvrement ne peut entamer une procédure judiciaire de sa propre initiative et encore moins de se substituer à un représentant la justice. Dans ce genre de situation, le maillon faible de la chaîne est le débiteur qui ignore souvent ses droits. «Certes, il n'existe aucun texte réglementaire qui régit l'activité, mais ce dernier a la latitude de recourir à la justice et de porter plainte contre les pratiques illégales du recouvreur», annonce-t-il. Le respect du secret professionnel par les organismes de crédit est un autre problème sur lequel bute ce genre d'opérations. Les opérateurs sont soumis au secret professionnel concernant leur relation avec leurs clients. Une clause qui n'est pas souvent respectée, ce qui dérange foncièrement de plus en plus de clients. Lahousseine Anis, secrétaire général de la Commission nationale des données personnelles (CNDP), nous informe : «La loi 09-08 relative à la protection des personnes à l'égard du traitement des données à caractère personnel permet aux organismes de recourir aux services d'un sous-traitant afin de lui confier une partie ou l'ensemble d'un traitement portant sur les données personnelles de leurs clients. Mais à condition de l'obtention du consentement des personnes concernées et le respect des droits d'accès, de rectification et d'opposition». Or, souvent, les sociétés de financement font fi du consentement de la clientèle. Dans le même sillage, le secrétaire général du CNDP rassure que la commission mène des missions de contrôle auprès des différents acteurs pour vérifier si leurs pratiques respectent les dispositions légales en vigueur. Dans le cas d'une infraction grave, la CNDP transmet le dossier au procureur du Roi aux fins de poursuite. A ce titre, la loi prévoit de lourdes amendes et des peines privatives de liberté (voir encadré). Une chose est cependant sûre : l'encadrement de l'activité des cabinets de recouvrement s'avère nécessaire non seulement pour protéger les débiteurs, mais également pour garantir les droits des sociétés ayant recours à eux. Parce que le manque de sanctions en la matière peut pousser certains recouvreurs à garder les créances remboursées dans leurs comptes. Mieux encore, l'agrément de ces cabinets par Bank Al-Maghrib pourrait limiter un tant soit peu les pratiques malsaines de certains cabinets de recouvrement. Protection des données : Ce que fait la CNDP La Commission est habilitée à traiter les plaintes des personnes qui subissent un préjudice du fait d'une utilisation abusive de leurs données personnelles. D'ailleurs, le nombre de plaintes reçues par la CNDP augmente à une vitesse vertigineuse (d'une plainte enregistrée en 2011, le nombre est passé à 400 en 2015), ce qui montre que nos concitoyens sont de plus en plus conscients de leurs droits. La Commission mène aussi des missions de contrôle auprès des différents opérateurs pour vérifier si leurs pratiques respectent les dispositions légales en vigueur. A ce jour, la CNDP a réalisé environ 80 opérations de contrôle sur place. Dans le cas d'une infraction grave à la loi, la CNDP transmet le dossier au procureur du Roi aux fins de poursuites. Ainsi, la Commission a transmis 7 dossiers à la justice. D'ailleurs, la loi prévoit de lourdes amendes et des peines privatives de liberté. De façon générale, quand une personne constate une violation de ses droits liés à ses données personnelles; laquelle violation découle d'un manquement à des obligations légales, celle-ci est en droit de porter plainte devant la CNDP ou de soumettre l'affaire à la justice. Ceci s'applique bien évidemment à un débiteur qui s'estime lésé.