Désormais, la loi interdit formellement et immédiatement le travail des moins de 16 ans, mais les moins de 18 ans devront encore trimer à cause de la période transitoire de 5 ans. Pour la société civile, il aurait suffi d'un an ou deux ans pour mener les campagnes de sensibilisation et mettre en place le dispositif de retrait pour les mineurs. Le Collectif pour l'éradication du travail des «petites bonnes» poursuivra son plaidoyer pour éviter la prorogation de cette phase transitoire, comme ce fut le cas de l'article 16 du Code de la famille. Ce 31 mai, la société civile retenait son souffle car devait être adopté en séance plénière au Parlement le projet de loi n°19.12 fixant les conditions de travail et d'emploi relatives aux employés de maison. Il faut dire que ces dernières semaines, dans sa mouture initiale fixant l'âge légal du travail à 16 ans, ce projet de loi avait provoqué le tollé général poussant les associations à se regrouper en Collectif pour dénoncer une régression. D'ailleurs, le Collectif pour l'éradication du travail des «petites bonnes» n'a ménagé aucun effort pour sensibiliser l'opinion publique à cette question, ni à saisir l'Exécutif pour lui signifier son opposition à ce projet de loi qui prévoit une interdiction immédiate du travail des moins de 16 ans, avec une phase transitoire de 5 ans pour porter la limite d'âge autorisé à travailler à 18 ans. Ce report de vote au 31 mai pour une nouvelle concertation concernant l'âge minimal d'accès au travail domestique a été d'ailleurs perçu comme un signe positif de la société civile. Finalement, cette dernière a vite déchanté puisque ce mardi 31 mai à 23h30 le projet de la loi a été voté (46 voix pour et 7 contre) tel qu'il a été présenté en Commission des affaires sociales de la Chambre des représentants. Désapprouvant cette période transitoire de cinq ans, Bouchra Ghiati, présidente de l'association Insaf et membre du Collectif, estime que «L'application de la loi doit être immédiate dès sa publication dans le Bulletin Officiel. Il faut marquer fortement la volonté de l'Etat de ne plus admettre l'accès de nouvelles mineures au travail domestique car c'est le devoir de l'Etat que de protéger les enfants contre toutes formes d'exploitation et de leur garantir leurs droits fondamentaux (éducation, santé, protection, développement, ...) conformément à la Constitution et aux conventions internationales ratifiées par notre pays. Ce qui est important, c'est de mettre en place le dispositif et les organes pour permettre et assurer dans les meilleures conditions le retrait des enfants actuellement exploités dans le travail domestique dans les maisons». Avant même le vote de ce projet de loi, beaucoup de questions taraudaient la société civile, notamment l'identification des cas et leur traitement, les organes habilités à intervenir, selon quel procédé et quelle prise en charge des mineurs, surtout les petites filles fortement exploitées dans ce genre de travaux, et leur réhabilitation. Une loi, et alors ? Comme pour toutes les lois à ramifications sociales complexes, celle relative au travail des employés de maison pose énormément de problèmes d'ordre organisationnel pour en assurer le strict respect. Pis encore, pour la présidente d'INSAF, les mécanismes de contrôle qui sont prévus dans le projet ne peuvent absolument pas être exercés du fait de l'inviolabilité des domiciles. «Dans le projet, il est question que des inspecteurs de travail et des assistantes sociales contrôlent les conditions de travail des mineures. Au-delà du problème de disponibilité des ressources humaines, personne ne peut pénétrer un domicile et une fille mineure ne peut aller porter plainte après qu'elle a subi un préjudice quel qu'il soit... De même, pouvez-vous imaginer une employée mineure dire à son employeur qu'elle sort voir l'inspecteur du travail pour se plaindre ?», déplore Bouchra Ghiati. Aujourd'hui encore, le Collectif n'est pas près de baisser les bras. Au contraire, le plaidoyer sera poursuivi, notamment à travers les médias, une pétition en ligne, un blog qui réunit l'ensemble des retombées et des argumentaires, des documents de plaidoyer, des rencontres avec les partis politiques, avec les parlementaires, le rapprochement avec d'autres groupes mobilisés pour la cause comme les Associations de psychiatres, de pédiatres, l'UNICEF, ONU Femmes, le CNDH, le CESE... Tout sera fait d'ailleurs pour éviter que cette loi ne subisse le même sort que l'article 16 du Code de la famille. «Pour rappel, l'article 16 du Code de la famille, qui devait permettre d'officialiser les pariages par Fatiha, prévoyait également une période transitoire de 5 ans pour permettre sa mise en application. Prorogé à deux reprises, cela fait désormais 15 ans qu'il est utilisé pour contourner la loi et faire reconnaître la polygamie et le mariage des mineures», s'inquiète la présidente d'Insaf. Et de conclure : «Inscrire 18 ans dans la loi est une avancée qui honore notre pays, 5 ans de transition est injustifiable et n'a pas été justifiée par le gouvernement. Nous attendons l'arrivée du texte à la 2ème Chambre pour plaider cette disposition. La loi ne règlera pas le problème des petites bonnes même si elle constitue une étape essentielle». Le vote de cette loi et même sa publication dans le Bulletin Officiel ne marquent en fait que le début d'un processus qui promet d'être difficile et douloureux en l'absence de concertation avec la société civile en matière de sensibilisation mais aussi en l'absence d'un mécanisme fiable de sa mise en application. Ce sera certainement le test de la volonté de l'Exécutif de l'après-octobre 2016 de protéger réellement les mineurs de ce pays. Une cinquantaine d'associations mobilisées contre l'exploitation des jeunes filles Le Collectif pour l'éradication du travail des «petites bonnes» est composé d'une cinquantaine d'associations. Il milite pour interdire l'exploitation des mineures dans le travail domestique en dessous de 18 ans et pour que le gouvernement mette en place le dispositif qui va intervenir au lendemain de la publication de la loi pour gérer le retrait de toutes les fillettes en situation de travail domestique actuellement. En effet, le Collectif contre l'exploitation des petites bonnes, à l'instar d'autres organismes tels que CNDH, CESE, UNICEF, diverses associations de psychiatres, prône une interdiction en dessous de 18 ans et attire l'attention des parlementaires sur la nécessité de prévoir en urgence le dispositif et les organes qui permettront d'assurer le retrait des petites bonnes en situation d'exploitation et leur réinsertion au sein de leur famille.