Le décès dimanche dernier de Fatima, 14 ans, a relancé le débat autour de la protection des petites bonnes. La société civile crie son indignation et interpelle le gouvernement. «Aujourd'hui c'est Fatima, avant c'était Khadija, Zineb... mais elles sont 60.000. Le carnage doit cesser», s'est indignée Houda El Bourahi, directrice opérationnelle de l'Institution nationale de solidarité avec les femmes en détresse (INSAF), appelant le gouvernement à assumer ses responsabilités en accélérant la promulgation de la loi devant protéger les employés domestiques. Et le combat pour lutter contre le fléau est à mener sur différents fronts (législatif, juridique, institutionnel et social). La société civile se mobilise, mais de l'autre côté les institutions peinent à réagir. «Il est possible de sauver les petites bonnes, nous avons réussi à insérer 250 d'entre elles dans la vie scolaire. C'est un travail de longue haleine, dans lequel le gouvernement est tenu de mettre du sien», a déclaré la directrice d'INSAF. «Parce qu'on est très en retard», déplore Mme El Bourahi. En effet, le projet de loi relatif au travail domestique traîne depuis l'ancien gouvernement et n'a toujours pas été voté au Parlement, bien qu'il ait été mis à jour et adopté par l'actuel gouvernement. «Nous avons adressé une lettre au ministère de l'emploi en mars 2012 à l'issue de laquelle il nous avait répondu 4 mois après, nous promettant un vote imminent de cette loi au Parlement. Aujourd'hui, huit mois après, on attend toujours», a pour sa part indiqué à ALM Abdelali Ramin, président de l'Association forum de l'enfance. Selon lui, la loi traîne à cause de la confusion qu'il y a entre le ministère de la solidarité et de la famille et le ministère de l'emploi, par rapport aux mécanismes d'application de cette loi : qui doit contrôler les domiciles, est-ce les inspecteurs du travail ou les assistantes sociales ? Ainsi en attendant plus de coordination entre les différents intervenants institutionnels mais aussi associatifs, les victimes sont les petites bonnes. Contactés à plusieurs reprises par ALM, Bassima Hakkaoui, ministre de la solidarité, et Abdelouahed Souhail, ministre de l'emploi, sont restés injoignables. Mais pour l'association INSAF (voir encadrés p 5), une telle loi n'est pas suffisante. Ce qu'il faut c'est une loi spécifique pour lutter contre ce phénomène. D'autant que seuls deux textes protègent les employés mineurs, qui plus est, ne sont pas appliqués par manque de mécanismes et de moyens d'intervention. Il est question de la loi obligeant la scolarisation des jeunes de moins de 15 ans, et la loi interdisant le travail des enfants. Ce qu'il faut aussi, estime le collectif associatif pour l'éradication du travail des «petites bonnes» regroupant 35 associations, ce sont des sanctions lourdes et des mesures dissuasives envers les coupables de maltraitance des bonnes (employeurs, «semsar» et parfois certains parents sans scrupule). Le collectif qui avait adressé au gouvernement un mémorandum appelle l'Exécutif à incriminer l'emploi de jeunes filles et à mettre en place un organisme permettant la collecte de plaintes et l'activation de poursuites, ainsi que la mise en place de mesures d'accompagnement des victimes du travail domestique. Rappelons que Fatima, la petite bonne, est morte dimanche à l'hôpital Hassan II d'Agadir des suites de brûlures de troisième degré sur plusieurs parties de son corps causées par ses employeurs, un couple formé d'un gendarme et d'une enseignante. Eradication de l'exploitation des filles mineures dans le travail domestique : Que reproche-t-on à la législation? En octobre 2011, un projet de loi sur le travail domestique a été adopté en Conseil de gouvernement. Le projet validé traite des «filles mineures exploitées dans le travail domestique». Il interdit et sanctionne leur exploitation. La question qui se pose toutefois serait de comprendre ce que changerait réellement l'adoption de cette loi, jugée incomplète, par la société civile. Dans un mémorandum du collectif associatif «pour l'éradication de l'exploitation des filles mineures dans le travail domestique», 34 associations et réseaux marocains de différents horizons se sont alignés pour reprocher à ce texte le fait qu'il ne fasse pas obligation aux personnes au courant de cas de petites bonnes d'en informer les instances ayant l'autorité d'intervenir sur le lieu de leur exploitation. Ledit texte ne traite ni des dispositions légales ni du mode et encore moins des conditions de retrait et d'accueil des petites bonnes retirées de ces lieux d'exploitation pour les remettre en état sur les plans physique et psychologique et les préparer à leur réinsertion et suivi familial, social et scolaire. La responsabilité de l'Etat dans ce processus demeure non apparente dans ce texte où on aurait omis également de traiter de la responsabilité des parents qui mettent leurs filles mineures en «location». Ne devrait-on donc pas amender d'urgence ce texte avant de s'extasier autant pour son adoption?