Le ministère des Finances planche actuellement sur la mise en place d'un cadre juridique adapté au crowdfunding. Ce nouveau mode de financement alternatif, qui connait une croissance exponentielle dans le monde, pourrait s'insérer parfaitement dans la stratégie nationale pour la promotion de l'entrepreneuriat et des jeunes porteurs de projet. La réflexion des autorités sur le cadre juridique pour le crowdfunding bénéficie de l'expertise américaine en la matière. "Au début, le crowdfunding était considéré comme un gadget. Il est aujourd'hui perçu comme un moyen de financement sérieux qui connait une croissance importante». La phrase est de Tarik Sijilmassi, président du Directoire du Groupe Crédit Agricole du Maroc, qui s'exprimait à l'occasion d'un séminaire sur le crowdfunding (qui signifie littéralement le financement par la foule), organisé récemment par le magazine Economie Entreprises, en partenariat avec l'Ambassade américaine à Rabat. Cette phrase résume assez bien l'état d'esprit qui préside actuellement au développement de ce mode de financement alternatif, dont la croissance de l'encours au niveau mondial ne cesse de s'accélérer ces dernières années. Selon une étude de Goldman Sachs, les fonds levés par les plates-formes de crowdfunding dans le monde atteignent la somme de 33 milliards de dollars en 2015, en progression de 113% par rapport à 2014. Selon la même étude, ce montant atteindrait 50 milliards de dollars en 2016. Ce phénomène planétaire ne pouvait laisser indifférent le Maroc qui a mis l'entrepreneuriat en général, et celui des jeunes en particulier, au coeur de l'action publique. Driss El Azami, ministre délégué chargé du Budget, rappelle à ce titre que le gouvernement a fait de l'inclusion financière des jeunes une priorité, avec le lancement d'un vaste programme dédié aux TPE et aux jeunes porteurs de projets. «L'objet de notre présence à ce séminaire est d'enrichir la réflexion du ministère des Finances pour la définition d'un cadre juridique clair et adéquat pour le crowdfunding. Nous pensons que c'est un outil qui serait amené à jouer un rôle pertinent pour le Maroc», fait savoir le ministre. Le législateur marocain compte pour cela s'appuyer sur l'assistance décisive et le retour d'expérience des Etats-Unis, premier pays au monde à avoir défini en 2012 une réglementation pour le crowdfunding, en réformant la loi sur les titres, vieille de plus de 80 ans. «Nous serons le premier pays africain et le premier pays de la région MENA à mettre en place un cadre juridique pour ce nouveau mode de financement alternatif», indique El Azami, sans donner plus de détails sur le calendrier. Soutien américain Le crowdfunding sous toutes ses formes (dons, prêts, participation au capital, ou préventes) est considéré comme un outil qui répond aux besoins d'un pan de la population non bancarisée. C'est également un instrument alternatif au capital-risque et à la microfinance. Pour Dwight Bush, ambassadeur des Etats-Unis au Maroc, qui rappelle que le crowdfunding est un mécanisme en ligne, qui facilite la mise en commun d'un petit nombre de montants issus d'un grand nombre d'investisseurs, la contrainte majeure des entrepreneurs réside dans l'accès au financement pour sécuriser leurs projets. Il estime à ce titre que le crowdfunding est une potentielle solution et qu'il faut ouvrir les voies réglementaires à ce mécanisme. «L'entrepreneuriat au Maroc est inépuisable, et suite au GES organisé à Marrakech (Global entrepreneurship summit), nous continuerons à travailler avec le Maroc pour renforcer le tissu entrepreneurial», fait-il remarquer. Avec le soutien des Etats-Unis pour développer le cadre légal du crowdfunding, le Maroc dispose d'une expertise de taille. En effet, le pays de l'Oncle Sam est à l'avant-garde mondiale en matière de financement par la masse, comme en témoigne Jason Best, entrepreneur américain, que beaucoup considèrent comme le «père ou le gourou du crowdfunding». C'est grâce à son activisme que le premier projet de loi US en la matière est né en 2011. Un projet de loi qu'il a défendu au Congres américain à maintes reprises avant son vote définitif en 2012. Aujourd'hui, il prêche la bonne parole de par le monde, notamment dans les pays émergents pour les inciter à mettre en place le cadre juridique le mieux adapté. «Dans notre travail, nous avons élaboré un canevas pour les gouvernements, qui définit les équilibres à trouver entre les différentes parties prenantes», explique-t-il. Il faut ainsi trouver le juste équilibre entre la protection des investisseurs, le capital pour les entrepreneurs, la transparence pour le régulateur et une certaine liberté pour les plates-formes. «Grâce au crowdfunding, les pays émergents intermédiaires ont l'opportunité de faire un bond de géant au niveau de leur tissu entrepreneurial», affirme-t-il. D'ailleurs, les pays d'Asie du Sud Est l'ont bien compris, et adoptent l'un après l'autre un cadre juridique pour le crowdfunding. C'est le cas de la Malaysie (le gendarme de la Bourse malaysien a donné des licences à 6 plates-formes), de la Corée du Sud et de la Thaïlande en 2015, ou encore de Singapour et de Hong Kong en 2016. Et les banques dans tout cela ? Se sentent-elles concurrencées par cette nouvelle forme de financement qui échappe à leur champ d'intervention ? Tarik Sijilmasi répond par la négative. Au contraire même: «La banque serait la première bénéficiaire du crowdfunding. Ce mode de financement permet de renforcer les fonds propres des petites entreprises que nous ne pouvons pas financer. Nous avons justement besoin que le projet démarre bien. Avec l'amélioration des fonds propres et du gearing, nous pourrons octroyer plus de financement à ces mêmes entreprises», explique-t-il. En outre, cela va accélérer la bancarisation des porteurs de projet. Et d'ajouter : «Il faut absolument faire cette loi, d'autant que nous avons un régulateur fort et un système bancaire qui permet de huiler les rouages».