Faut-il supprimer la contribution de l'Etat au régime de pension de retraite des parlementaires ? Recentrer le débat sous cet angle, loin de toute polémique politicienne, soulève l'épineuse problématique de sauvegarde des acquis. Supprimer le régime actuel géré par la CNRA à la faveur d'un autre système dont la gestion serait confiée aux compagnies d'assurances apparaît comme une solution parfaitement plausible. Mais à quel prix ? La polémique sur la retraite des parlementaires a fait son temps. Fini ! la surenchère, place à la réalité. Entre-temps, rien n'a changé et les parlementaires retraités continuent de percevoir leurs pensions au moment même où ceux qui sont encore en âge parlementaire actif continuent de cotiser au régime. La polémique a mélangé les genres entre les parlementaires et les ministres. Rares sont ceux qui savent que la retraite des parlementaires, quoique dépendante en partie de la contribution de l'Etat, relève d'un système de répartition basée sur la solidarité : les cotisations des parlementaires «actifs» servent au versement des pensions de ceux, dits retraités, qui ont déjà bouclé leur mandat au Parlement. Contrairement à l'indemnité des ministres qui émane en totalité du budget de l'Etat sans conditions de ressources. Voilà ce qui fait dire à Wahid Khouja (voir p.10) qu'«une partie de la population a un problème avec l'institution et non pas avec les parlementaires». Car, après tout, les parlementaires sont élus par cette même population qui clame aujourd'hui haut et fort ce qu'elle appelle la rente du Parlement. Partout dans le monde, les parlementaires ont droit à une retraite. Mais chaque pays a sa propre expérience. En France, par exemple, la retraite des élus est gérée par l'Assemblée nationale et le Sénat, en fixant à 60 ans l'âge d'éligibilité à la prestation. A l'inverse du Maroc où la retraite est gérée par la Caisse nationale de retraites et d'assurance (CNRA), filiale de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), sans avoir fixé aucune limite d'âge pour en bénéficier : un jeune parlementaire élu à l'âge de 18 ans a droit, dès l'âge de 23 ans, à une retraite de 5.000 DH par mois (le calcul de la pension retient une indemnité de 1.000 DH pour chaque année passée au Parlement). C'est l'une des aberrations du modèle marocain, d'autant plus que la cotisation est versée à parts égales entre l'Etat et le parlementaire. Cela dit, il faut savoir que le calcul actuarial du système des pensions parlementaires tient compte de cette anomalie. Car il s'agit d'un système à prestations définies. Autrement dit, le parlementaire connaît dès le départ de son mandat ce qu'il aura comme montant de prestation, mais la cotisation reste à définir et peut évoluer à tout moment. L'application de ce même mécanisme actuarial à la première Chambre au Parlement devra, selon une source à la CNRA, conduire les députés à doubler le montant de leur cotisation, début 2017, pour rétablir l'équilibre de leur caisse interne, de façon à maintenir le même niveau d'indemnisation. Mais est-il logique que l'Etat verse la moitié de la cotisation des heureux élus ? Là encore, contrairement à ceux qui y voient une aberration supplémentaire du système, le parlementaire est partout dans le monde considéré comme un employé passager de l'Etat. Ce dernier est dans l'obligation de mettre à sa disposition un cadre de couverture convenable (assurance santé, retraite, etc). En effet, parmi les 120 élus de la deuxième Chambre, il y a à peine 29 fonctionnaires de l'Etat qui, naturellement, bénéficient d'une retraite (CMR ou RCAR) tout en ayant la possibilité de reprendre leur fonction et leurs droits à la fin de leur mandat. Les élus issus du secteur privé, quant à eux, sont souvent en rupture de contrat de travail avec leurs employeurs et doivent ainsi éprouver davantage le besoin d'une couverture sociale, notamment la retraite. Vers une solution radicale ! Faut-il maintenant supprimer la contribution de l'Etat ? Dans ce cas de figure, se pose ainsi le problème de sauvegarde des acquis. Car il faut respecter les engagements antérieurs vis-à-vis des parlementaires actuellement retraités. Qui va prendre en charge le passif ? Autre conséquence directe : le montant de la pension sera réduit de 50%, passant de 1.000 à 500 DH pour chaque année d'exercice parlementaire. Ce sont là les paramètres techniques et juridiques sous-jacents au débat sur la retraite des parlementaires. Certains élus auront beau surfer sur la vague, chacun se vantant de sa prédisposition à se passer de cette indemnité, mais aucun d'eux n'a daigné ouvrir un compte dédié pour offrir sa pension à une association caritative ou bien à des personnes nécessiteuses de sa circonscription électorale. Ils font semblant d'omettre de signaler que l'indemnité, au même titre que la cotisation, revêtent un caractère obligatoire dans le système actuel. La proposition de loi faite par le groupe parlementaire du PPS à la première Chambre, bien qu'elle se démarque à plusieurs égards, pèche par manque d'appui technique et actuarial. Les élus de l'ex-parti communiste recommandent une suppression pure et simple de la contribution de l'Etat et veulent arrimer l'âge de départ à la retraite à celui prévu dans la loi pour les fonctionnaires de l'Etat. «Nous avons voulu encadrer le débat sur la retraite parlementaire en le remettant dans un cadre institutionnel. Ce n'est qu'une plate-forme de discussion et d'échanges. Le consensus de toutes les composantes est essentiel pour réformer ce système», nous confie le chef du groupe parlementaire du PPS, Rachid Rokbane. Ce dernier estime que ce dossier doit faire l'objet d'un traitement politique en premier lieu, avant d'attaquer ses aspects juridiques et financiers. Compromettant le principe sacré de sauvegarde des acquis, l'annulation de la contribution de l'Etat balise le terrain à la suppression du système actuel. «Allons alors vers des solutions radicales», affirme Khouja. Ce dernier se montre favorable à l'installation d'une couverture obligatoire à géométrie variable, dont la gestion serait confiée à la compagnie d'assurances la plus offrante, à l'instar du système chilien. «C'est une solution certes radicale, mais vendable», conclut Khouja.