Face à la crise planétaire, le monde cherche des solutions durables et soutenables. Un nouveau régime est en gestation, mais peine à résoudre les tensions faute d'avoir trouvé sa gouvernance. Le centre de gravité de l'économie mondiale s'est déplacé vers le Sud-Est asiatique. ‘‘Où devons-nous placer le curseur ? La démocratie avec ses enjeux immédiats ou bien la croissance et l'environnement durables ?». Le président du Forum de Paris-Casablanca Round, Albert Mallet, donne ainsi le ton à l'ouverture de la sixième édition, en présence du ministre des Finances, de la présidente de la CGEM et de pas moins de 800 décideurs relevant des secteurs public et privé. Le thème choisi cette année, «Challenges inédits cherchent politiques soutenables», coïncide à juste titre avec une conjoncture internationale assez tendue, marquée par la persistance d'un climat de crises complexes et multidimensionnelles. «Le monde unipolaire imaginé il y a 25 ans au lendemain de la chute du mur de Berlin n'est plus de mise. Nous vivons désormais dans un monde multipolaire, voire a-polaire», souligne José Piqué, l'ancien chef de la diplomatie espagnole, faisant allusion à l'idée de la fin de l'histoire chère au philosophe américain Francis Fukuyama. Fini l'hégémonie des USA, l'hyper puissance ou bien la puissance indispensable pour reprendre les expressions respectives du Français Hubert Védrine et de l'Américaine Madeleine Albraight. Le centre de gravité du monde, selon Piqué, s'est déplacé vers le Sud-Est asiatique, plus précisément au Détroit de Malacca. La crise financière de 2008, qui s'est par la suite transformée en une crise économique, politique puis sociale, a fini par amplifier le désordre et le chaos planétaire. Mais cela ne devait en aucun cas pousser au pessimisme. En effet, l'histoire nous montre que, souvent, le désordre est une promesse d'un monde nouveau. Et que de ce chaos peut naître un nouvel équilibre. L'ancien ministre espagnol donne l'exemple de l'émergence de la souveraineté du consommateur, rendue possible par la prolifération des NTIC. Il en veut pour preuve aussi, sur le plan politique, la montée en puissance de nouveaux courants politiques, notamment en Espagne (Podemos) et en Grèce (Syriza), qui puisent leur force de persuasion dans leur capacité de mobilisation à travers les réseaux sociaux. C'est le même phénomène qui explique l'émergence du nouveau mode de financement alternatif, le crowfunding. En réalité, à en croire l'éminent économiste français, Christian de Boissieu, la crise que nous vivons actuellement, outre le fait qu'elle soit politique, économique et sociale, est aussi une crise de la pensée économique. «Le monde a besoin d'un nouveau Keynes», dit-il. Il s'agit aussi d'une crise de la prévision, ajoute-t-il, en reprenant ironiquement une citation de l'économiste Karl Galbraith : «Si on a inventé la prévision, c'est pour rendre l'astrologie respectable». Un nouveau régime mondial en gestation Christian de Boissieu, qui occupe également le poste de président du Conseil d'analyse économique, se distingue en développant une thèse pour le moins originale sur la nature de la crise mondiale. Ce à quoi nous sommes en train d'assister, selon lui, c'est bien l'accouchement douloureux d'un nouveau régime (et non d'un système, puisque le capitalisme reste dominant) qui n'a toujours pas engendré ni son mode de gouvernance ni sa régulation. C'est de cet écart que proviennent les difficultés actuelles. Deux grands pôles seront décisifs pour dessiner l'avenir de ce nouveau régime, aux yeux de C. de Boissieu. L'éducation et la formation d'une part; et les NTIC, l'innovation et la R&D, d'autre part. «Nous sommes impressionnés par la vitesse par laquelle la Chine a rejoint la frontière technique. Les pays émergents sont en train de rattraper l'Occident et peuvent le dépasser», souligne l'économiste. L'ennemi a aussi changé. Ce n'est plus l'inflation qui menace les économies, en témoigne d'ailleurs la conjoncture déflationniste en Europe. Le nouvel ennemi n'est autre que le «chômage structurel», notamment celui des jeunes qui atteint des niveaux record (50% en Grèce et en Espagne, 24% en France et même en Suède). Le défi consiste donc à ne pas se tromper d'ennemi et à laisser aux jeunes autre chose que de la dette et du chômage. Une autre caractéristique de ce régime en gestation réside dans le nouveau modèle de croissance et de développement à mettre en place. Celui-ci s'appuie notamment sur les technologies vertes, l'écologie et la lutte contre le réchauffement climatique. A cet égard, la conférence de Paris sur le climat en fin d'année 2015 (COP21) sera très attendue pour établir un consensus mondial sur les solutions urgentes à apporter à la problématique du changement climatique. Par ailleurs, la question des inégalités devra être au coeur de ce nouveau modèle de développement. La prégnance de ce problème des inégalités explique d'ailleurs en grande partie le succès du livre de Thomas Picketty, «Le capital au 21ème siècle». Pour C. de Boissieu, «il faut absolument retrouver le sens du long terme, que ce soit au niveau des investissements, du développement durable ou encore du poids de la RSE», pour que ce modèle de développement soit pérenne. «C'est le sens du futur», à ses yeux. Enfin, l'économiste français rejoint l'analyse de José Piqué selon laquelle le centre de gravité mondial s'est déplacé vers le Sud-Est asiatique. «C'est une transition irréversible», insiste-t-il. Cela dit, cela n'a pas empêché l'ensemble des intervenants de souligner le rôle central que l'Afrique sera amenée à jouer à l'avenir sur l'échiquier économique planétaire.