Autant le dire d'emblée : jamais la question du plan n'a occupé le haut du pavé comme elle le fait actuellement. Plus le temps passe, plus la norme de prospecter l'avenir s'affirme et s'enracine dans l'actualité. L'histoire très brève certes, des démarches du Haut commissaire au plan, est celle d'une dynamique qui va crescendo. En témoignent, d'abord les forums, journées d'études et séminaires qui se succèdent et ensuite, la portée des questions abordées et les méthodes de le faire. Organisé les 8 et 9 avril 2005, le dernier forum en date est un vrai pari. “Maroc 2030 : environnement stratégique et économique", est en effet une rencontre interdisciplinaire, où d'éminentes personnalités, d'ici et d'ailleurs, nourrissent la réflexion sur le devenir du monde, et le Maroc aussi. Economistes, chercheurs, responsables internationaux, experts, universitaires et diplomates, tous ces intervenants de haute culture ont, deux jours durant, développé une "synergie" érudite pour alimenter le débat sur l'avenir du Maroc. Aussi, les domaines visés n'étaient-ils non seulement les questions des "équilibres entre puissances concurrentes", mais également la Méditerranée, l'Afrique et, en général le voisinage proche dont le devenir influera sans doute sur le nôtre. A propos de la méthode : pour mener à bien une si lourde tâche, Ahmed Lahlimi fait savoir que la rigueur de la réflexion , l'appréhension d'itinéraire assuré et les finalités vertueuses sont les mots-phares de cette entreprise. D'où la volonté d'aborder sans complexe aucun, les problèmes de la société " en analysant les ferments permettant le changement et les tendances de résistance qui inhibent la capacité de la société ". Débat L'avenir est donc un défi à se lancer à soi-même. Un challenge, faut-il le rappeler qui n'interpelle pas uniquement les seuls spécialistes. Sans être un futurisme aux relents prémonitoires, la prospective est en premier lieu un exercice de réflexion documentée, audacieuse et sans complexe auquel doivent se livrer toutes les forces de la nation. En un mot, Ahmed Lahlimi appelle, sinon œuvre pour un " débat national” pour définir, et le rythme et la teneur des réformes qui s'imposent. Pour ce, le Maroc a viscéralement besoin de croire en lui-même. L'effort prospectif qui s'en suivra, aura à examiner, plusieurs scénarii : primo, ce que Lahlimi appelle " le scénario tendanciel". En clair : que pourrait devenir le pays si les tendances lourdes se poursuivraient et quels en seraient les implications et les risques. Secondo, les scénarii "alternatifs, le souhaitable et le possible", pour évoluer dans un développement durable. L'un des passages obligés pour atteindre cet objectif est sans ambages l'exploration des scénarii relatifs à la "géostratégie et à l'économie mondiale". Il faut donc se poser les questions, celles qui dérangent plus que d'autres, afin de libérer les énergies et se frayer une voie vers l'avenir quelques soient les incertitudes. " En matière d'avenir, disait Jean Cocteau, il n'y a pas de précurseurs " car, il n'appartient à personne. " Il n'y a que des retardataires". Un monde en mutation En rappelant cette expression de l'écrivain français, qui sonne d'ailleurs comme une maxime, Xavier Guillon, l'un des expert mondiaux de renommée, a ouvert la voie à une approche volontariste, d'autant plus incontournable que, faute de quoi on se résignera à un fatalisme étouffant. Vu sous cet angle, le travail prospectif est une "réelle dynamique" qui, à terme, changera la donne. L'avenir du monde, libéré des débats passionnels, sera ce qu'en fera de notre intelligence. Encore faut-il qu'on n'en fasse pas l'économie. Entrée depuis un certain temps, dans une logique qui dépasse, de loin, les schémas préalables, la situation du monde n'est plus "un continuum ou succession de réajustement". Son modèle démocratique, qui concerne de plus près le Maroc, est davantage " symbiotique ", où il n'y a pas de centre que le "modèle est une hiérarchie périphérique ". Le leadership, lui, est devenu "synonyme de l'intelligence des réseaux". Plus : de l'équilibre de la terreur on est passé à la "terreur des déséquilibres". Bref, le monde de demain sera "réorganisé sur d'autres paramètres", et pour que "le Maroc y trouve une posture intelligible", ses forces vives doivent "pousser encore plus les frontières de l'exercice de la réflexion". La perspective, outil plus que nécessaire, ne peut s'apparenter, à cet effet, "ni à une projection, ni à une prévision", comme souligné par Christian Boissieu. Pour ce spécialiste international, président du Centre de l'analyse auprès du Premier ministre français, "le Monde est difficilement prévisible", et "la capacité de se projeter de tout un chacun est très différentielle". Reste donc, la prospective. Autrement : "La distance par rapport au passé récent et au présent". A cela, deux qualités sont requises : humilité et volontarisme. Qui, elles, reflètent "cette capacité de lire l'avenir différemment" tout en introduisant " une arithmétique plaisante "très en réaction à la mode de déclinisme et autre pessimisme à la mode". Défis Et si la dynamique de l'humanité est justement régie par "la course éternelle entre la crise et la quête de son remède", le meilleur a les mêmes chances, ou plus, que le pire. Le chemin, le cas échéant, ne peut être unidimensionnel : économique ou géostratégique. Dans l'impossibilité de séparer les deux disciplines, la solution est de traiter l'interface des questions soulevées. Ainsi, la réflexion doit s'articuler autour de la démographie, la régionalisation de la mondialisation, le futur des énergies, le chômage des jeunes, les nouvelles technologies, la croissance, le type de capitalisme de demain, les finances et les monnaies du futur, et enfin la gouvernance du monde. Pour Christian Boissieu, "le monde ne cessera jamais de se mondialiser", sauf, bien évidemment, crise financière majeure, à l'image de celle de 1929, ou choc sismique du genre de la deuxième guerre mondiale. Effet d'entraînement : "la régionalisation de la mondialisation tous azimuts". L'espace européen, déjà en quête de symbiose, sera l'entité régionale la plus intégrée. Conséquence pour le Maroc : l'option euro-med est une chance pour mettre le paquet afin d'entrer de plain-pied dans le futur. L'association renforcée, proposée par l'Union européenne, est un outil de taille. L'autre "leçon" à tirer de la réflexion de C. Boissieu est que le premier problème sera toujours le chômage, "celui des jeunes en particulier. Il importe à tous les pays donc de se poser la question, très pertinente, de la nouvelle division internationale du travail" dans laquelle on est censé s'installer dans 10 à 20 ans. En d'autres termes : le Maroc a beaucoup à gagner d'une stratégie industrielle innovée (Services et banques compris), et d'une sortie par le haut via les nouvelles technologies de l'information et et de la communication(NTIC)). S'inscrivant dans cette vision, le projet de soutien à la planification du Haut commissariat au plan mené avec le PNUD, "et relatif à la prospective et à la planification stratégique se focalisera, explique Ahmed Lahlimi sur la construction des scénarii sur les futurs possibles qu'offre au pays l'évolution de son environnement régional et international." C'est là, pertinemment que l'avenir est, aussi, marocain. Goethe disait : "Ils ne savaient pas que c'était impossible. Ils l'ont fait".