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Grande interview d'Ahmed Lahlimi, : L'indicateur est juste, le commentaire est libre
Publié dans Challenge le 19 - 07 - 2008

Tout le monde se souvient de lui comme de la cheville ouvrière du premier gouvernement de l'alternance formé par Abderrahmane
El Youssoufi en 1998. Il était, en effet, sur tous les fronts même si, à titre officiel, il ne veillait qu'aux affaires du ministère des... Affaires générales du gouvernement. Puis il occupe les fonctions de ministre chargé de l'Économie sociale, des PME et de l'artisanat. Une mission qu'il conservera jusqu'au législatives de 2002. Une année après l'investiture de Driss Jettou à la Primature, sous ordre royal, il est à la tête du Haut Commissariat au Plan, poste qu'il occupe encore aujourd'hui. Mais c'est au sein de l'université marocaine qu'il démarre sa carrière, notamment politique. De 1958 à 1963, entre les villes de Fès et de Rabat, il est l'un des meneurs de l'Union Nationale des Etudiants du Maroc. Il revient en 1966 de l'université de Bordeaux, en France, avec en poche un DESS en géographie économique. Deux années plus tard, il occupe différentes fonctions publiques : en 1971, il est directeur des études techniques et économiques puis directeur adjoint au sein de la CNCA. Ensuite, il devient secrétaire général au ministère du Tourisme, et en 1973, secrétaire général du Plan et du Développement régional. Sa proximité avec Abderrahim Bouabid et l'USFP le plonge dans le bain politique. Loin des grands discours et de la théorie, il est l'homme du terrain. Directeur de cabinet de la figure historique du parti socialiste, en 1983, il deviendra même responsable de la Fondation qui porte le nom de ce dernier. Depuis octobre 2003, il est le «Monsieur chiffres du pays». Les publications du Haut Commissariat au Plan alimentent autant les colonnes de la presse que les débats de salon. Pour Challenge Hebdo, il se prête au jeu de l'interview et nous éclaire sur des données dont le sens paraît bien incongru au citoyen lambda...
Challenge Hebdo : comment se porte notre pays ? À vue d'œil, les prix augmentent, les ménages s'endettent davantage, les signes de grandes richesses se multiplient, la classe moyenne est en voie de disparition…
Ahmed Lahlimi : il se porte bien, si l'on se réfère aux indicateurs en termes de croissance, d'augmentation du pouvoir d'achat, de baisse du chômage, de celle de la pauvreté, du rattrapage des disparités entre monde urbain et monde rural. C'est ce que montrent l'ensemble de ces indicateurs. Est-ce là une contradiction ? Non. Plus un pays a une économie qui se développe, qui produit du travail et du pouvoir d'achat, plus les disparités se renforcent et les aspirations à une vie meilleure se constatent. Et les gens s'endettent : l'endettement est un signe de confiance en l'avenir.
C.H. : ce n'est pas plutôt un signe de désespoir ?
Non, celui qui a une mauvaise évaluation de l'avenir a plutôt tendance à épargner. En revanche, celui qui a confiance en l'avenir a tendance à s'endetter et aide quelque part à l'augmentation des prix.
A.L. : toutefois, en contrepartie, les frustrations et les exaspérations s'amplifient… Certes. Plus la richesse se crée et se manifeste, plus ceux qui commencent juste à en profiter désirent plus. Et ceux qui en profitent ne sont pas toujours disposés à en céder une part. Comme c'est le cas dans tous les pays, les revendications, les aspirations sont plus fortes. Dans les régimes totalitaires, elles se font d'abord dans les têtes, dans les cœurs et cela aboutit parfois à des situations dramatiques. Au Maroc, cela se réalise dans l'option de la démocratie. Il est naturel que les revendications se manifestent, s'expriment et cela est une situation plus saine que celle que j'ai citée ultérieurement.
C.H. : les chiffres officiels représentent-ils la réalité des choses ? Les gens sont-ils de plus en plus sceptiques ?
A.L. : il s'agit des indicateurs économiques et sociaux, qui sont issus d'enquêtes menées selon les règles, les concepts, les méthodes de collecte scientifiques, reconnus sur le plan international ou à partir de la comptabilité nationale parfaitement conforme aux concepts et aux méthodes de comptabilisation reconnus par les Nations Unies. Ils sont officiels dans la mesure où ils représentent la réalité économique du Maroc.
C.H. : peut-on y croire ?
A.L. : les chiffres qui émanent du Haut commissariat au Plan, de la Banque Centrale, du ministère des Finances sont des chiffres de référence pour connaître la réalité économique et sociale du pays. Il n'y a pas l'ombre d'un doute à avoir sur ces chiffres. Le Maroc est un pays ouvert ; il y a des organismes, des associations, des partis politiques. Que ces derniers puissent avoir une appréciation subjective ou politique sur ces chiffres pour contester l'action du gouvernement et ses performances, c'est un autre débat. L'indicateur est juste, il représente une réalité, le commentaire sur ces indicateurs est libre. Il est laissé à la discrétion de toutes les parties prenantes.
C.H. : de plus en plus, les chiffres que vous avancez et ceux avancés par le ministère des Finances ou encore le CMC ne correspondent pas. Quelles explications pouvez-vous nous donner ?
A.L. : il n'y a jamais eu de contestation sur les chiffres que publie le Haut Commissariat au Plan, concernant le taux de croissance réel, celui du chômage, le taux d'activité, les indicateurs sociaux et de développement humain, ceux sur la consommation des ménages et la pauvreté. Car ce sont des chiffres basés sur des concepts, des méthodes et des techniques parfaitement conformes aux normes internationales et reconnus par le FMI, qui les publie d'ailleurs. Nos outils de statistiques et de comptabilité nationale sont suivis par le FMI, la Banque Mondiale et par l'OCDE. En revanche, ce qui crée souvent des polémiques, ce sont les prévisions. Le HCP publie en juin-juillet de chaque année un budget économique exploratoire. Il consiste à présenter l'évolution de l'année entérinée et ce que pourrait être l'année à venir. Nous réalisons cela à partir des enquêtes que nous faisons. C'est ainsi que nous prévoyons qu'en 2009, le Maroc aura un taux de croissance de 5,3%, si la politique économique, financière, sociale du gouvernement est maintenue. Nous transmettons le document au ministère des Finances, qui prépare la loi de Finances et introduit un certain nombre de mesures. Quand la Loi de Finances passera devant le Parlement, nous nous en saisirons pour évaluer les effets des mesures que compte prendre le gouvernement. Et nous allons reconsidérer le 5,3%. En janvier-février 2009, nous prévoirons ce que pourrait être le taux de croissance et les autres indicateurs économiques. Nous ferons une révision. Et ce ne seront que des prévisions, qui par définition, seront appelées à être révisées. Il n'y a qu'à se pencher sur ce qui se passe en France. L'INSEE a annoncé que le taux de croissance serait de 1,5%. Le gouvernement, quant à lui, a annoncé 2%. Et le Président, à qui la question a été posée, a tout simplement répliqué qu'il ne s'intéressait pas aux prévisions qui pouvaient changer d'un jour à l'autre.
C.H. : si ces chiffres sont muables, pourquoi les sortir finalement ?
A.L. : comment voulez-vous que le gouvernement élabore la Loi de Finances, il faut des prévisions. Même l'opérateur économique doit pouvoir savoir comment évolue l'année. Et même au cours de l'année, il doit pouvoir réajuster sa politique.
C.H. : pourquoi n'uniformisez-vous pas les techniques de calcul avec celles des autres émetteurs de chiffres du pays ?
A.L. : le problème ne se situe pas à ce niveau. Les références sont communes, mais chacun a un niveau et un type de capacité pour produire les éléments essentiels au budget économique prévisionnel. Parfois, le ministère des Finances, même s'il s'aligne sur un taux plus faible que celui que nous avions prévu, le majore pour en faire un objectif du gouvernement. Et cela se passe ainsi dans tous les pays du monde.
C.H. : comment travaillez-vous ?
A.L. : nous avons un certain nombre d'attributions que nous assumons régulièrement et en toute liberté en n'ayant comme référence que les normes internationales.
C.H. : vous ne subissez de pression d'aucune sorte ?
A.L. : nous ne subissons pas et personne ne peut nous faire subir une quelconque influence que ce soit. D'ailleurs, nos chiffres sont audités et suivis par les experts de la Banque Mondiale et du FMI.
C.H. : en principe, les enquêtes que vous réalisez devraient servir de base de travail à des actions gouvernementales. Mais nous avons comme l'impression qu'il n'est question en pratique que «d'une guéguerre»
de chiffres.
A.L. : nos travaux servent au gouvernement. Les résultats de l'enquête sur la Prospective 2030 sur l'énergie n'a-t-elle pas servi au programme mené actuellement ? Les travaux que nous avons menés sur l'agriculture ne se retrouvent-ils pas dans le Plan Vert ? Ce que nous avons fait sur le tourisme ne se retrouve-t-il pas dans la vision 2020 ? Du reste souvent, il est demandé au HCP d'envoyer les cadres qui ont travaillé sur ces études pour faire partie des comités de pilotage.
C.H. : alors, pourquoi de telles références ne sont-elles jamais mises en avant ?
A.L. : il s'agit d'une culture nationale. Elle semble ne pas être très soucieuse de la déontologie. C'est notre «petit pêché national». En revanche, ce qui est plus contestable, c'est lorsque des sociétés d'études soumissionnent à des marchés et s'approprient systématiquement nos données, nos thèses, nos analyses et nos projections. Encore plus, elles ne défalquent pas de leurs marges le coût de ces travaux. Mais, pour nous l'essentiel, c'est que cela soit bien utilisé. Nous ne nous attendons pas à recevoir le prix Nobel de la statistique ! Il faut dire aussi que la guéguerre des chiffres fait la joie des médias et de leurs auditoires : les Marocains aiment bien les matchs (rires).
C.H. : quelles seront les utilisations de l'enquête sur les niveaux de vie des ménages ?
A.L. : ce qu'il faut savoir, c'est que le sujet a déjà fait l'objet d'une enquête en 2001. Ce sont des enquêtes lourdes qui s'étalent sur une année, durant laquelle nous suivons la consommation des ménages. De ces enquêtes, nous sortons la facture, la qualité, les dépenses de la consommation alimentaire et non alimentaire. Nous nous intéressons également aux sources de revenus des ménages et à l'accès des ménages aux services de base. Les objectifs de l'enquête sont multiples. Jusqu'à présent, nous n'avons sorti que les résultats qui touchent à la consommation. Et à partir de là, nous avons pu déterminer les catégories de consommation et définir la pauvreté. Dans deux à trois mois, à travers des techniques que nous allons définir avec la Banque Mondiale, nous parviendrons à déterminer les revenus, et puis également les sources de revenus, les transferts intérieurs et extérieurs, et les flux de migration des populations internes et externes.
C.H. : y a-t-il baisse de la pauvreté au Maroc ou cette dernière prend-elle un autre aspect ? À travers quels éléments les personnes sondées apprécient-elles la pauvreté ?
A.L. : d'abord, définissons la pauvreté à partir des indicateurs. Trois types de pauvreté existent : la pauvreté alimentaire, c'est lorsque les dépenses alimentaires et non alimentaires ne permettent pas à l'individu d'atteindre le nombre de 1.984 kilocalories par jour et par personne. C'est une norme recommandée par l'OMS et la FAO. Au Maroc, elle est faible; elle est de l'ordre de 0,9%. L'autre pauvreté est dite absolue : lorsqu'un ménage n'arrive à régler ses dépenses non alimentaires qu'en amputant sur le budget de ses dépenses alimentaires. Et enfin, celle à laquelle nous nous référons est la pauvreté relative. Il y a un seuil fixé pour chaque pays. On détermine dans la consommation des ménages les besoins pour atteindre ce seuil. À ce seuil sont ajoutées les dépenses non alimentaires et nous fixons le seuil de pauvreté nationale. Tous ceux qui sont en dessous sont considérés comme pauvres. Pour ceux qui sont au-dessus, dans une marge de 1,5%, ne sont pas considérés comme pauvres mais ils sont menacés. C'est ce que nous nommons le taux de vulnérabilité. Ces indicateurs montrent que le Maroc est passé de 15,3% en 2001 à 9% en 2007. Objectivement, voici la situation. Dans le monde rural, on est passé de 25,1% à 14,5%, et dans le monde urbain, de 7,6% à 4,8%. Sur le plan statistique, la baisse est réelle. Mais, sur le plan subjectif, la perception des gens est complètement différente. Par ailleurs, nous avons demandé aux personnes sondées de nous donner leur perception de la pauvreté. Et d'elles-mêmes, elles ont fixé leur propre seuil de pauvreté. 53% d'entre elles ont fixé des seuils de dépenses inférieurs à ce qu'elles dépensent réellement.
C.H. : comment l'expliquez-vous ?
A.L. : d'abord, ce sont les ménages qui considèrent qu'ils ne sont pas menacés. Ils dépensent par exemple 10.000 DH par mois. Ou bien ils ont des revenus multiples et ne savent pas exactement ce qu'ils dépensent. Il y a également ceux qui, par divers travaux, ont plusieurs sources de revenus et se réfèrent par exemple à un salaire convenu permanent dans l'administration. Alors qu'en réalité avec ces travaux et ces différents emplois, ils gagnent plus d'argent. Mais pour plus de précisions, il faut attendre que nous ayons réalisé l'exploitation complète et fait des recoupements avec le type de travail, les sources de revenus, la situation socio-professionnelle…
C.H. : réellement, peut-on dire qu'aujourd'hui, le taux de croissance n'est plus lié aux «aléas climatiques» ?
A.L. : ce n'est pas qu'il n'en dépend plus ou qu'il ne va plus en dépendre. Je crois que c'est aller trop vite en besogne. L'agriculture participe pour 15 à 20% dans le PIB. Ce qui n'est pas négligeable. Et le secteur emploie pratiquement 40% de la population active. Mais l'impact des aléas climatiques devient de moins en moins fort sur le taux de croissance global. Car les secteurs non agricoles commencent à avoir un taux de croissance soutenu et de plus en plus fort. Alors, le poids du non agricole augmente et par conséquent atténue les effets des fluctuations climatiques sur l'agriculture. Mais cela ne signifie pas que le taux de croissance n'en dépendra plus : quand il y aura une mauvaise année, il baissera. Toutefois, beaucoup moins qu'avant. Je vais vous donner une illustration parfaite de ce phénomène. En 1999, le Maroc avait connu une année au moins aussi dure que celle de 2007. Cependant, la production agricole avait baissé de 16%. Et nous avons eu un taux de croissance du PIB national de 0,5%.
En 2007, nous avions eu une année aussi catastrophique sinon plus qu'en 1999, et la production était de 20% et nous avions quand même enregistré un taux de croissance de 2,7%. Car le taux de croissance non agricole avait commencé à afficher une tendance historique de l'ordre de 3,5% à 5,5% et il a atteint 6% en 2007. Les autres secteurs notamment financier, tertiaire, industriel, celui des télécommunications, du BTP se développent. Peut-être que si cette tendance se poursuit effectivement, la place de l'agriculture tendra à s'amoindrir. Ceci étant, l'agriculture a un potentiel de développement immense. S'il est valorisé, nous pourrons avoir une contribution combinée avec la tendance du non agricole et nous pourrons nous attendre à un taux de croissance de l'ordre de 6% dans les cinq à six années à venir. Signe d'une véritable émergence du pays.
C.H. : si nous considérons que nos fondamentaux économiques sont maintenus, l'accélération du développement économique ne favorisera-t-elle pas alors la rupture du lien social ?
A.L. : en théorie, si le développement économique s'accélère, les richesses augmenteront et tout le monde en profitera. Nous avons toutefois constaté qu'au cours de ces dix dernières années, le revenu disponible au Maroc a été de l'ordre 2,3%. En se penchant sur la répartition de ce revenu, nous avons relevé qu'il a profité à tout le monde. L'enquête sur la consommation a montré que l'écart, en termes de consommation, entre le monde rural et urbain s'est atténué : le niveau de consommation dans le rural a augmenté plus que dans les villes. De même que la catégorie des «pauvres» a connu un taux d'augmentation beaucoup plus fort que les autres catégories. Les classes moyennes en auraient aussi profité mais avec un taux de croissance plus faible. Cela signifie que cette augmentation de la croissance a contribué à l'amélioration du niveau de vie de tous. Sauf que le niveau des disparités n'a pas bougé. On pourrait s'estimer «déjà heureux» que cela ne se soit pas détérioré, comme on pourrait le penser, d'ailleurs votre question l'insinue. Quant à l'avenir, avec l'INDH, les réformes de l'enseignement, de l'agriculture, et une meilleure gestion des ressources publiques plus orientées vers les catégories les plus vulnérables, nous pouvons espérer que la croissance se faisant, ces correctifs du jeu spontané des marchés remodifient ce modèle.
C.H. : qu'en est-il des classes moyennes ?
A.L. : il est difficile de les fixer. C'est une catégorie difficile à cerner. Va-t-on les définir par les revenus ? Ce n'est pas suffisant car il faut intégrer les modes de comportement, le modèle de consommation, etc. Et comme le Maroc est très divers…
Par exemple, où allez-vous situer un artisan ? Par son comportement social, sa culture, son style vestimentaire, ses traditions et ses valeurs, il sera plutôt assimilé aux classes moyennes. En revanche, quand vous scrutez son revenu, vous constaterez qu'il gagne parfois le salaire d'un ouvrier spécialisé. Alors est-ce que ce dernier représente la classe moyenne ? Or, par son comportement, ses aspirations et sa culture, il s'identifie davantage à la catégorie des salariés. La question reste posée également pour l'agriculteur moyen.
C.H. : est-ce que ces considérations sont purement marocaines ou sont-elles valables pour les autres pays ?
A.L. : quand vous avez des sociétés à dominance salariale, à hauteur de 90% ou 95%, ces questions ne se posent pas. Nous sommes une société avec plusieurs types de sociétés: patriarcales, agricole… Il suffit de savoir que 32% des revenus de l'agriculture viennent du monde urbain. Il y a une difficulté conceptuelle et méthodologique à définir la classe moyenne. Mais il est admis que lorsque l'on se réfère à l'enquête sur la consommation, il y a une catégorie, les 20% qui consomment le plus, qui a augmenté sa consommation d'une manière importante. Encore faut-il savoir que dans cette catégorie, la consommation atteint un certain niveau, elle est saturée.
C.H. : à quelle échéance pourrons-nous dresser un topo de la situation ?
A.L. : il faut une étude beaucoup plus fine pour voir comment les choses se sont passées durant ces dix dernières années. Et il faut attendre que nous ayons recoupé l'ensemble des données disponibles actuellement, pour évaluer l'impact de l'INDH, des orientations vers des politiques publiques dans le domaine de la lutte contre la pauvreté, la répartition des richesses.
Du reste, nous sommes actuellement en train de boucler un travail qui sera d'une extrême importance aussi bien par le modèle sophistiqué que nous avons maîtrisé que par le travail réalisé, qui nous permettra de suivre les politiques publiques et de pouvoir évaluer leur impact sur la pauvreté. Ainsi nous pourrons mesurer l'impact de toutes les actions gouvernementales dans leurs moindres détails. D'ici la fin de l'année, nous aurons complètement maîtrisé cet outil d'évaluation. Cela permettra aux décideurs d'ajuster et d'élaborer leurs politiques sur la base de données économiques.
C.H. : en résumé, si l'argent qui va aux riches était redirigé vers les pauvres, les écarts entre riches et pauvres s'en trouveraient réduits. Depuis des décennies, la problématique est la même. Quels sont les éléments qui bloquent une meilleure redistribution des richesses? Défaut de volonté politique ou difficulté d'ébranler les acquis ?
A.L. : c'est le marché qui détermine. Il n'est plus protégé. Si le Maroc a connu cette croissance, c'est qu'elle a été insufflée par l'investissement. Il est aujourd'hui à plus de 30% du PIB. Et il est généralement admis de par le monde qu'au delà de ce taux, on rentre dans la zone des pays émergents. Nous n'en sommes pas encore là, mais cette tendance tend à s'affirmer. Par conséquent, vouloir limiter les bénéfices de ceux qui s'enrichissent est difficile. Il n'y a pas de capitaux nationalistes.
C.H. : la politique de développement humain lancée par le pays n'est-elle pas remise en cause par l'augmentation des produits énergétiques et alimentaires ?
A.L : C'était vrai pendant un certain temps. Je pense qu'il faut attendre entre quatre et cinq ans pour voir la situation des marchés internationaux se réajuster. En ce qui nous concerne, nous avons un potentiel pour assurer notre sécurité alimentaire.
C'est pourquoi dans le cadre du Plan Vert, l'investissement et l'encadrement doivent être forts en matière de production céréalière. En matière d'énergie, nous devons faire moins de gaspillage. Par ailleurs, il y a la politique libérale en matière de prospection, rien n'exclut que nous puissions découvrir des ressources nouvelles ; sans oublier le solaire et l'éolien, les schistes bitumeux.
C.H. : et dans l'immédiat ?
A.L. : il faut voir dans quelle mesure maintenir une certaine subvention pour ne pas avoir de choc qui atteindrait notre dynamique économique.
C.H. : mais il semble que ceux qui croient en cette dynamique soient minoritaires ?
A.L. : nous avons une culture traditionnelle dominante et une aspiration à vivre mieux qui relèvent de valeurs modernes. C'est cette contradiction qui crée aujourd'hui cette désaffection vis-à-vis des types d'organisation, de comportements et de gestion des partis traditionnels. Et la recherche se fait dans les deux sens : revenir à des cadres de gestion des partis traditionnels ou rechercher des choses nouvelles que l'on ne voit pas encore arriver. Et les uns et les autres restent liés au symbole de l'unité qu'est la monarchie.
C.H. : voyez-vous une évolution dans les missions
assignées aujourd'hui au ministère des Affaires
économiques et générales par rapport à l'époque où vous en étiez responsable ?
A.L. : je constate qu'il y a un retour à certains projets auxquels je tenais beaucoup, qui avaient été délaissés par les gouvernements précédents. Je parlerai notamment de la concurrence, de l'économie sociale, de la gestion de la caisse de compensation. Il m'a été donné de me pencher sur cette question.
C.H. : cela a-t-il été repris dans le même esprit ?
A.L. : je pense que oui, pratiquement. La question est bien posée. En revanche, je persiste à croire que l'on n'accorde pas suffisamment d'importance à la PME. Bien que l'agence de promotion de la PME ait été créée et qu'elle s'active aujourd'hui beaucoup plus que durant le gouvernement précédent. En matière de fiscalité, toutes les données inclues dans la charte ne sont pas encore appliquées. Le tout est de capitaliser. Et je crois que c'est l'un de nos grands défauts nationaux, celui de ne pas capitaliser sur ce qui a déjà été fait.


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