Hormis une croissance soutenue de certaines de ses économies, l'Afrique peut-elle prétendre au statut de locomotive de croissance ? Plusieurs pays africains ont amorcé des politiques d'industrialisation, d'autres continuent à séduire par des ressources naturelles, un capital humain à un prix compétitif, ainsi que des marchés intérieurs et régionaux affichant un potentiel intéressant. Mais des boulets persistent encore, notamment d'ordre social comme les tensions sociales, l'insécurité... La question devient récurrente ! Est-ce dû au défi que pose la mondialisation à l'Afrique ou bien à la timidité des pays africains qui ne croient pas en le potentiel du continent à devenir une locomotive de l'économie mondiale ? La question est donc de savoir comment les économies africaines peuvent-elles rejoindre le bal des pays émergents ? Ce questionnement semble de plus en plus préoccuper entrepreneurs, économistes, financiers et politiques puisque depuis plusieurs années, certains pays, à l'instar du Maroc, se sont inscrits dans des politiques de transformation de leurs économies. L'objectif étant de procéder à une industrialisation de l'Afrique et son intégration aux chaînes de valeur mondiales, pour aboutir à une transformation structurelle du continent. Rappelons d'abord qu'une économie est dite émergente lorsqu'elle est en transition rapide, en cours d'industrialisation, enregistrant des taux de croissance élevés et présentant des opportunités d'investissement. Selon le rapport Perspectives économiques en Afrique (PEA), issu d'un travail de collaboration de trois partenaires internationaux : la Banque africaine de développement (BAD), le Centre de développement de l'OCDE et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la croissance ne s'est pas seulement accélérée en Afrique, mais s'est également diversifiée, avec l'émergence d'importants marchés intérieurs. Bien évidemment avec quelques variations selon les pays et régions. Les dragons africains Pour ne pas passer pour des chauvins, commençons par un autre pays que le Maroc qui s'est également inscrit dans cette dynamique de restructuration de l'économie : le Nigeria. Ce pays a mis à jour la base de calcul de son PIB, en prenant 2010 comme année de référence au lieu de 1990 jusqu'à présent. La taille estimée de l'économie s'est ainsi accrue de 89%. Le pays s'enorgueillit d'être la première économie d'Afrique avec un PIB nominal en 2013 estimé à 510 milliards de dollars américains, bien supérieur aux 352 milliards USD de l'Afrique du Sud. 26ème économie mondiale, le Nigeria a enregistré une expansion au cours de la dernière décennie, avec une croissance record de son produit intérieur brut (PIB) estimée à 7,4 % en 2013, contre 6,7 % en 2012. Ce taux de croissance est supérieur à la moyenne de l'Afrique de l'Ouest et beaucoup plus élevé qu'en Afrique subsaharienne. L'agriculture, le commerce et les services sont toujours les principaux moteurs de la croissance du secteur non-pétrolier. Le pays affiche des perspectives de croissance économique vigoureuses, malgré des risques de fléchissement. Autre mastodonte du continent est l'Afrique du Sud. Le rapport Perspectives économiques en Afrique qualifie de maillon important de la chaîne de valeur minière mondiale, un centre régional d'assemblage dans la chaîne de valeur automobile mondiale et un acteur majeur des chaînes de valeur régionales pour les services financiers et le commerce de détail. Le pays qui a connu en 2012 des tensions sociales, demeure très sensible à la reprise mondiale mais tire profit d'un environnement des plus propices dans le continent. Le pays a couplé son développement économique d'une politique sociale pour réduire les inégalités qui ont tant tiraillé la société sud-africaine. L'Etat a adopté un programme complet de protection sociale pour s'attaquer à l'extrême pauvreté et à la faim. En 2012, une part de 29,6% (dont 70% des enfants) de la population touchait une aide sociale, contre 12,7% en 2003. Ainsi, selon les estimations, les dépenses sociales en Afrique du Sud représentaient 58% de la dépense publique en 2012, contre 49% une décennie plus tôt. Les places financières : facteur clé de succès ? Lors d'une récente rencontre sur l'Afrique, Said Ibrahimi, CEO de Casa Finance City, estime que le problème des IDE destinés au continent est celui de l'inefficience de l'allocation des capitaux. Néanmoins, Ibrahimi rappelle que malgré la fragmentation de son économie, le continent reste attractif pour les IDE. «On recense 1.000 milliards de dollars de capitaux qui cherchent du papier africain mais ne trouvent pas les canaux adéquats», estime le CEO de CFC qui compte à ce jour une soixantaine d'entreprises notamment internationales, opérant sous le statut CFC. D'où le besoin d'un hub ou de place financière. D'ailleurs, le CEO a qualifié la présence d'une place financière comme l'ingrédient fondamental de développement d'un pays et d'une région. Et en Afrique, la première place financière est celle de l'île Maurice, ce pays qui fait partie des têtes de peloton africain. A y voir de plus près, la croissance de l'économie mauricienne a ralenti, passant de 3,4 % en 2012 à 3,3 % en 2013, freinée par la faiblesse de la demande extérieure et par des investissements intérieurs au point mort, mais les prévisions du PEA pour 2014 et 2015, respectivement de 3,5 % et de 4,1 %, font apparaître un rebond. Tirant parti des effets des réformes structurelles de grande ampleur introduites depuis 2006 et d'une saine gestion macroéconomique pendant la crise économique mondiale, Maurice a ravi en 2013 à l'Afrique du Sud le titre d'économie la plus compétitive d'Afrique subsaharienne, bien que l'apparition de problèmes de gouvernance et de goulets d'étranglement structurels dans l'éducation préoccupent les investisseurs. Doté du meilleur environnement d'affaires et de l'économie la plus compétitive de la région, le pays est bien placé pour capitaliser ses avancées en participant aux chaînes de valeur mondiales dans l'industrie et les services. Pour sa part, le Maroc, et en dépit de certains dysfonctionnements, fait prévaloir son modèle de développement qui a atteint un certain niveau de maturité lui permettant de rejoindre le peloton des pays émergents, bien que le pays traîne quelques casseroles. En plus d'un effort colossal constaté au niveau de la réalisation d'infrastructures, le Royaume a fait le pari depuis plus d'une décennie de politiques sectorielles qui ont donné une certaine visibilité aux investisseurs, malgré l'absence d'une stratégie globale qui puisse regrouper l'ensemble de ces politiques sectorielles, assurer une harmonisation et contrer toute vulnérabilité du modèle industriel actuel. Aussi, le pays a opté pour une politique commerciale reposant sur une intégration et une coopération économique forte, tant au niveau de la région méditerranéenne que de l'Afrique Subsaharienne. Autre atout dont vient de se doter le pays, est Casablanca Finance City qui à l'échelle continentale arrive au second rang derrière Johannesburg (38e rang) et devant l'île Maurice (69e), sachant que les places du Caire et de Tunis que l'on cite souvent comme concurrents directs de CFC ne sont même pas répertoriées dans l'indice international global Financial Centers Index. Le pays affiche son ambition de devenir ainsi un hub financier africain et oeuvre en conséquence ! Pas d'émergence économique sans équité sociale Tensions sociales et insécurité sont les pires ennemis du développement en Afrique. De l'exclusion sociale à l'inégalité des revenus en passant par la vulnérabilité aux risques économiques, sociaux et environnementaux, sont autant de facteurs qui freinent un développement harmonieux et équitable et qui empêchent le continent de concrétiser ses aspirations de long terme, à savoir assurer la prospérité des populations. BAD : L'intégration régionale au service de la croissance inclusive L'intégration régionale de l'Afrique est une aspiration majeure, tant économique que politique, depuis les indépendances dans les années 1960 – il y a une cinquantaine d'années. C'est également un pilier important sur lequel se fonde le travail de la Banque africaine de développement (BAD). La banque a d'ailleurs publié le Rapport 2014 sur le développement en Afrique, qui examine de nouveau l'impérieuse nécessité de l'intégration pour que se poursuive le développement du continent africain : étudier ce qui a changé, en termes d'arguments et d'actions sur le terrain au cours du demi-siècle écoulé ; et en quoi poursuivre une intégration économique et politique plus intense est toujours d'actualité pour le continent. Le Rapport compte six chapitres. Y sont traités la pertinence de l'intégration régionale dans un monde en pleine mutation ; l'importance et le rôle des communautés économiques régionales (CER) ; l'impact des infrastructures régionales ; les enjeux de la migration interrégionale des facteurs de production, notamment la main d'oeuvre; l'intégration financière régionale et les plateformes nécessaires pour que celle-ci ait un vrai impact sur le commerce régional et la croissance économique ; et de quelles façons intégrer au mieux l'Afrique à la production et aux échanges mondiaux via les chaînes de valeur régionales. Afrique de l'Ouest : La croissance la plus rapide L'édition 2014 des Perspectives économiques en Afrique témoigne de l'amélioration constante des conditions économiques et sociales en Afrique de l'Ouest qui reste la région du continent qui connaît la croissance la plus rapide. Les perspectives macroéconomiques de la région sont favorables. Après un léger fléchissement en 2013, la croissance est attendue à plus de 7% en 2014 et 2015, comparée à 4,8% et 5,7 % en 2014 et 2015 pour tout le continent. Ceci atteste une fois encore de la résilience de l'Afrique de l'Ouest face aux turbulences internationales et régionales. La croissance concerne toute la région, la plupart des pays affichant une croissance d'au moins 6%. Soubha Es-siari & Imane Bouhrara