Le Maroc doit-il se doter d'un marché à terme des matières premières ? Ce n'est pas exclu, d'autant que certains sous-jacents qui pourraient y être cotés ont d'ores et déjà été identifiés, notamment le maïs, les dérivés climatiques, les warehouse receipts ainsi que les produits de la pêche. Les détails avec Hassan Boulaknadal, DG du Conseil déontologique des valeurs mobilières. Finances News Hebdo : Globalement, pensez-vous qu'il est opportun pour le Maroc de mettre en place un marché à terme des matières premières et quel serait son apport pour le développement du marché financier ? Hassan Boulaknadal : Durant les vingt dernières années, plusieurs pays africains ont lancé, avec plus ou moins de succès, des programmes de mise en place d'un marché local des matières premières. Je peux citer l ́exemple de l'Afrique du Sud, l'Ethiopie, le Madagascar et plus récemment la Tanzanie. S'agissant du Maroc, il est certain que l'idée de mettre en place un marché local des matières premières mérite réflexion. Nous avons plusieurs secteurs pour lesquels la couverture des risques constitue un élément stratégique ; le secteur céréalier, des oléagineux et minier sont de bons exemples. Les offres d'accompagnement des opérateurs sur les couvertures des produits de base au Maroc restent rares. L'implication de plusieurs intermédiaires agréés idéalement au sein d'un marché organisé permettrait le développement du marché des couvertures et apporterait un fort gain en transparence des prix domestiques et de corrélation de ces derniers aux marchés internationaux. F.N.H. : En ce moment, le Maroc dispose-t-il des outils réglementaires et techniques pour s'inscrire dans ce sens ? H. B. : Une place financière multi-produits capable de rivaliser avec les places financières internationales se doit d'offrir aux investisseurs de tout horizon des services et produits répondant à leurs besoins; l'atteinte de cet objectif passe inéluctablement par le développement juridique de tous les pans du marché financier marocain. Toute démarche de mise en place d'un marché de matières premières au Maroc devra au préalable être conditionnée par plusieurs facteurs clés de succès. Le marché doit tout d'abord avoir pour premier objectif d'être au service des transactions réelles du marché physique, afin que les prix affichés sur le marché boursier reflètent au plus près les prix appliqués sur le marché physique, servant ainsi le besoin de couverture. Il faut également s'assurer que la régulation des secteurs économiques relatifs aux matières premières objet de ce marché, ne présente pas d'obstacles ou de restrictions sur le recours à la Bourse pour réaliser des transactions sur les matières premières. F.N.H. : Quels seraient, à votre avis, les sous-jacents qui pourraient être cotés sur ce marché à terme ? H. B. : Tout d'abord, il est utile de rappeler que le Maroc dispose d'une expérience dans la cotation de l'or, et ce depuis la création de la Bourse en 1929. Par ailleurs, dans le cadre d'une étude réalisée par le CDVM, nous avions relevé, à travers un benchmark des expériences africaines, qu'il existait une corrélation entre le volume de production domestique de matières premières et la performance d'une Bourse locale. Pour le cas du Maroc, la même étude a permis de proposer quelques pistes de réflexion, notamment le marché maïs, les dérivés climatiques, les warehouse receipts ainsi que les produits de la pêche. F.N.H. : En parlant de cette étude, d'après le benchmark que vous avez établi, de quel modèle le Maroc pourrait le mieux s'inspirer, en tenant bien évidemment compte de ses spécificités économiques ? H. B. : Dans un souci d'accompagnement du développement des acteurs locaux opérant sur les matières premières, le CDVM s'interroge sur la pertinence de la mise en place d'un marché à terme marocain des matières premières, sur lequel seraient cotés quelques sous-jacents pour lesquels le pays est réputé être un grand consommateur ou exportateur. Pour ce faire, nous avons dressé un état des lieux des marchés des matières premières mondiaux avant d'élaborer un benchmark des principales expériences récentes, avec un focus sur le continent africain. Nous avons remarqué que de plus en plus de pays africains réfléchissent à la mise en place d'un marché local des matières premières et la majorité prennent pour exemple le cas de l'Afrique du Sud, qui reste à ce jour l'expérience la plus réussie du continent. F.N.H. : Aujourd'hui, le marché des couvertures reste peu développé au Maroc. Comment l'expliquez-vous et qu'est-ce qui pourrait être fait pour le booster davantage ? H. B. : Afin de comprendre le comportement du système de couverture au Maroc, il faut remonter à l'année 2004, quand l'Office des changes a publié une circulaire dans ce sens, suivie par une publication, par Bank Al-Maghrib, des modalités d'application. Les entreprises marocaines sont autorisées, depuis cette date-là, à couvrir leur exposition au risque des prix des produits de base, avec des contreparties intermédiaires agréés ou courtiers négociateurs internationaux, à charge que les flux en devises relatifs à la couverture transitent par un compte dédié, ouvert auprès d'une banque marocaine. La réglementation est restée assez large quant à la nature des instruments de couverture, avec une exigence d'adosser les opérations de couverture à des risques réels, excluant toute spéculation, et une limitation des encours de couverture à la moyenne du volume réalisé sur ledit produit de base sur les trois années précédentes. Mais depuis 2004, les offres d'accompagnement des opérateurs sur les couvertures des produits de base restent rares, et l'implication davantage d'intermédiaires agréés contribuerait fortement au développement du marché des couvertures. F.N.H. : Vous avez dit lors de votre allocution durant le séminaire que le marché des matières premières est un «champ fertile pour les financiers». Or, là où sont présents les financiers, il y a forcément de la spéculation, d'où l'importance du régulateur. Quelles sont alors les dispositions à mettre en place pour garantir à un marché des matières premières une efficacité optimale tout en limitant la spéculation ? H. B. : Dans la majorité des pays étudiés ayant entamé une réflexion sur l'opportunité d'implémenter un marché des matières premières, la Bourse a été rattachée à des entités de régulation étatique et/ou gouvernementale appliquant le droit en vigueur, tout en y apportant des complémentarités à travers des circulaires spécifiques à ce nouveau marché. Le rôle du régulateur au sein du marché des matières premières ne diffère aucunement de son rôle actuel. Ses prérogatives vont de la protection des acteurs contre toutes pratiques et manipulations frauduleuses, à la transparence et l'intégrité du marché, en passant par la sécurité opérationnelle dans le traitement des opérations, depuis le passage de l'ordre jusqu'au dénouement final de l'opération.